Silencieux, retenu, le travail que présente la galerie Anne Barrault n'est pas de l'ordre du spectacle. Pourtant, les photographies de Philippe Mazaud, français qui est né, a grandi et est actif aux Etats Unis d'Amérique, ont l'aspect impressionnant de l'irréalité. En noir et blanc, les prises de vue sont réalisées de nuit dans des endroits industriels, aux carrefours de banlieue résidentielle, des parkings… La figure humaine en est absente, seules animent ces scènes "vides" les lumières des réverbères ou celles de la ville, vibrantes de halos plus ou moins violents.
Mazaud ne construit pas le sujet de son image. Bien entendu, les cadrages sont soigneusement choisis. Au-delà, la photographie s'effectue à l'aide de la lumière ambiante, sans artefact supplémentaire. Pour autant, l'impression qui se dégage de la dizaine d'images présentées est celle d'une ambiguïté entre réalité et fiction, entre observation attentive et construction savante.

A travers ses images, Philippe Mazaud cherche à percevoir la nature de ces espaces déserts et par trop singuliers, à déchiffrer à la fois l'hyperréalité de ces lieux urbains, de ces zones péri-urbaines et leur aspect chimérique. Evoluant entre décors de science fiction et banals paysages des villes d'aujourd'hui, Mazaud révèle combien la nuit transforme. Transformation non seulement de l'environnement, mais surtout de la perception dont les certitudes vacillent et qui se laisse prendre au piège de l'ombre.

Alors oui, les photographies de Mazaud ont un effet dramatique (notons qu'il réalise lui-même des tirages d'une autre finesse que les ersatz numériques qui nivellent toute particularité). Toutefois le drame se joue sans bruit, sans fard, sans tapage. Chaque image est assez forte et s'impose pour rappeler le caractère de véracité contestable de la photographie. Elle donne à notre regard une teinte inquiète, à l'affût de la nature véritable de ce que nous voyons.
Cette première exposition personnelle en France est une réussite.

Greg Larsson
Paris, mars 2004