Exposition Mark Dion au Château d'Oiron
 
 
Monument dédié à la relation entre patrimoine culturel et création contemporaine – par le biais de commandes passées à des artistes sur le thème de la collection et des cabinets de curiosité – le Château d'Oiron accueille le travail de l'artiste américain Mark Dion. Son exposition résulte d'une collaboration avec l'Atelier Calder, lieu de résidence situé près d'Azay-le-Rideau où l'artiste a passé la première moitié de l'année.
scientifique

botaniste

nature

mise

à mal

Mark Dion
 
Monument aux oiseaux de Guam, Mark Dion, 2005, ph. G. Blanc
 
 
C'est la démarche de Mark Dion, en écho au thème de la collection qui investit les espaces du château, Curios et Mirabilia, qui a suscité sa programmation. Elle interroge la notion de connaissance, de sa genèse à son organisation dans les sociétés occidentales. Au travers des objets, des sculptures et des installations, il observe d'un regard tantôt amusé, tantôt acide ou carrément incisif, les rites qui président à notre définition du savoir et sa classification. Ainsi, tel un scientifique botaniste, conservateur de musée ou explorateur, il dissèque puis réinterprète la façon dont les sociétés, désormais à l'échelle mondiale, fixent les catégories, hiérarchisent les connaissances, archivent objets, faunes, flores, témoins ou traces d'une activité terrestre.

Dans les combles de la galerie Renaissance, Mark Dion présente une série d'installations rassemblant tous les attributs du cabinet de curiosité à vocation (pseudo)scientifique. Sur une longue estrade de bois – qui n'est pas sans rappeler le Muséum d'histoire naturelle ou la classe d'école – elles évoquent avec le plus grand sérieux ou dans une parfaite dérision, l'idée de classification des éléments. Naturels comme culturels, ils sont pour l'essentiel rangés, répertoriés dans un ordre impeccable, signe de la rigueur à l'œuvre.

Une installation fait figure d'exception : La détermination d'une espèce de rongeur. Sur un bureau industriel des années 1950-60, trône une grande peluche de Mickey, accompagnée d'une pile de livres avec pour sujet les origines, un crâne humain, un squelette d'oiseau, un jouet dinosaure en plastique… Mickey tient dans sa main une baguette de maître d'école, en relation au tableau noir à proximité, où sont dessinées et datées à la craie blanche les évolutions stylistiques du dessin de la célèbre souris. Le fouillis du bureau allègue le labeur en cours, avant la stricte orthodoxie de l'archivage.

Rien de tel dans les autres installations, comme Souvenirs entomologiques – armoire en bois où est minutieusement disposé le nécessaire du chercheur (ouvrages reliés, planches d'insectes, bocaux, épuisettes, pelle, pot à pinceaux, etc.), ou L'inventaire botanique national – accumulation en rangs serrés (portemanteau garni, caisse remplie, piles de documents papier, meuble à plan, armoire métallique ouverte sur des dossiers étiquetés, etc.). Ces pièces fonctionnent sur le mode de l'inventaire. Ordonné, bien que fait de choses hétéroclites, il argue simultanément de l'objet de la recherche, de ses moyens et de ses buts. Les outils, l'intendance (cantines, caisses) figurent parmi des essences de bois que l'on imagine rares ou inconnues… Et le processus de transformation de la collecte en une méthodologie du savoir rationnel donne à ces ensembles une forme plastique quasi abstraite, où l'orthogonalité domine. Horizontalité des outils au sol, verticalité des meubles, empilement des documents et des boîtes…

Mais au fait, quelle part de connaissance ces accumulations d'indices donnent-elles au visiteur ? Pas grand-chose à vrai dire. Mark Dion nous fait le témoin obligé des sciences et de leur mécanisme, et pourtant cela reste énigmatique, fermé à une exploration approfondie. Tout est là devant nos yeux, sans que rien ne soit accessible, surtout pas les résultats de la recherche. L'artiste puise les ustensiles (de valeurs diverses) de ses œuvres partout, sans qu'ils entretiennent nécessairement de rapport avec ces dernières. Ce qui renforce le visiteur dans le sentiment ambigu de ne pas maîtriser ce qu'il voit, de douter d'être en présence de la véracité scientifique. Est-ce bien ce qui transpire de ces pièces, révélé par le truchement d'un savoir irrécusable, maintes fois prouvé ? Troublant.

Au-delà de cette constitution d'une mémoire collective improbable, Mark Dion affiche une préoccupation inquiète pour le sort réservé par l'homme à son environnement. Dans d'autres combles, il place derrière une lourde porte un ours brun endormi, enchaîné par le cou et ronflant. A l'extérieur, une bannière à l'effigie d'Ursus Arctos rappelle la fantasmagorie associée à l'animal dans l'imaginaire humain. Dans une grande salle contiguë d'où émerge une majestueuse charpente, il donne à voir le spectacle irréel de la Forêt fantôme. Cinq arbres morts, badigeonnés de peinture fluorescente, se tiennent droit dans une faible lumière. Pétrifiés, ils "gisent" debout, dans une atmosphère de silence. L'œuvre semble une apparition, suggère l'être décharné, le squelette. A la symbolique de vie qu'est l'arbre, Dion substitue celle des menaces qui pèsent sur une nature mise à mal.

La figure de l'arbre est reprise dans le parc au sein d'un bosquet, où est installé le Monument aux oiseaux de Guam. Un arbre mort goudronné, des branches duquel pendent des serpents attachés. L'œuvre "commémore" avec amertume la catastrophe vécue sur l'île japonaise, autrefois peuplée d'oiseaux rares. L'introduction fortuite de serpents a fait basculer ce microcosme. Les serpents ont dévoré les oiseaux, aujourd'hui ils se dévorent entre eux, les araignées dont se nourrissaient les oiseaux pullulent. Dérèglement et chaos, ironie en retour d'une communauté savante et sachante. Mark Dion choisit la forme du monument, dans une esthétique glaciale et hiératique, pointant la question de la mémoire. Car la dimension expiatoire du monument n'empêche pas le "génie" humain de reproduire ailleurs ses erreurs. Faut-il se résigner à ce cycle  ? Les serpents accrochés sont rappel de la faute.

En recourant au passé comme au présent, Mark Dion souligne son absence de nostalgie pour une époque révolue censée être celle d'une idylle. Ses œuvres faites d'éléments simples, d'un glanage perspicace, opèrent sur le mode de la métaphore ou du détournement. Un travail qui n'est pas spectaculaire et ne s'enferme pas dans les errements qu'il constate. De la question de la trace, du rapport nature-culture à la désinvolture face à un milieu fragilisé, il questionne notre relation au monde. Une prise de position, une approche critique, qui utilise subtilement les attendus de ses interrogations.
Greg Larsson
Oiron, juillet 2005

Château d'Oiron, 79100 OIRON, du 26 juin au 2 octobre 2005
tél. : +33 (0)5 49 96 51 25  
http://www.oiron.fr

accueil     Art Vivant     édito     Ecrits     Questions     Imprimer     haut de page