Collections publiques
"Etatisation" de la culture
Exception française
Collections privées
Antoine de Galbert
Maison Rouge
Architecte Jean-Yves Clément
Jean-Michel Alberola
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Avec ses nombreux musées, (nationaux, départementaux et municipaux), ses centres d'art, ses fonds régionaux, ses FRAM et FNAC nationaux, l'Etat en France joue un rôle moteur et dominant dans la découverte et la consécration d'artistes plasticiens comme dans la promotion de leurs œuvres, avec tout ce que cela comprend de tâtonnements, d'erreurs, de favoritisme et d'injustices… mais aussi de bonnes surprises.
Avec les deniers de l'état, les différentes institutions espèrent débusquer des nouveaux talents, soutiennent la création, enrichissent les collections publiques et à chaque fois, de part leur entrée dans le patrimoine publique, les œuvres acquises deviennent, au regard du marché de l'art en France, des références pour les marchands puis pour les collectionneurs.
Depuis une vingtaine d'années la multiplication des musées et centres d'art contemporain, dont le réseau s'étend aujourd'hui sur toute la France, est impressionnante et non seulement cet accroissement profite à un grand nombre d'artistes français bien en cours auprès des institutions (élément indispensable) mais encore à un grand nombre d'artistes étrangers qui ne jouissent pas dans leur pays d'une telle aide substantielle. Ils arrivent des Etats Unis, du Japon, de Chine, des ex-pays de l'Est, d'Afrique et du moyen Orient avec en poche la liste précise des démarches à faire pour s'introduire dans le flux de la manne nourricière.
Or, cette "étatisation" de la culture n'est pas le lot commun des pays libéraux mais celui des pays "socialistes", lesquels se sont appropriés la création contemporaine -du moins celle partageant leur option politique- pour l'instrumentaliser au profit et à la gloire de leur idéologie… On se souvient des brimades et persécutions que subirent les peintres abstraits dans maints pays "amis" de l'ex-URSS.
En France, rien de tout cela ; au contraire on assiste à une ouverture à toutes les tendances voir même à une fuite en avant vers le "nouveau", le "jamais vu", même le scatologique, et quelqu'en soit l'intérêt plastique et intellectuel (fut-il nullisime). Une totale liberté est accordée aux commissaires d'expositions et aux achats des conservateurs, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les expériences.
Cependant paradoxalement, la culture en France est associée à une image de politique nationale et cela parce qu'entre les mains fiscales des gouvernements successifs, il est laissé peu de place aux initiatives privées. Ainsi, alors qu'à Berlin, le philosophe allemand Wolf Lepenies remarquait récemment à propos de l'effervescence des initiatives individuelles entreprises dans le domaine culturel : "en Allemagne, la culture vient se substituer à la politique" on peut dire qu' à l'inverse en France le politique oriente la culture. Ainsi en va-t-il de cette fameuse "exception française".
Dans la plupart des autres pays non-communistes, l'initiative des créateurs et les ressources financières qu'ils en tirent sont en phase avec les intérêts des collectionneurs privés, qu'ils soient individuels ou relèvent de fondations d'entreprises.
Point de budgets pharaoniques d'Etat mais des collectionneurs privés qui de leurs deniers et avec persévérance recherchent et accumulent au fil du temps, selon leurs intuitions, des oeuvres que les musées auront, plus tard et selon des conditions fiscales avantageuses, la chance et la possibilité de présenter au public.
C'est pourquoi il faut saluer l'initiative d'Antoine de Galbert qui souhaite montrer cette richesse et cette diversité des collections privées, collections qui "archéologisent" pour les temps à venir un patrimoine reflétant les goûts culturels des amateurs de ces cinquante dernières années, dans les pays industrialisés.
Souhaitant tisser un lien entre deux options jusqu'ici antinomiques : le Tout-Etat ou le tout privé des fondations monographiques ou exprimant les choix d'un seul collectionneur, Antoine de Galbert a investit dans la rénovation d’un local pour abriter une fondation reconnue d’utilité publique début 2003, dite "la Maison Rouge" (à deux pas de la place de la Bastille à Paris) où il se propose de faire découvrir diverses collections privées, constituées essentiellement d'art contemporain mais pas uniquement, car nombre de collectionneurs accumulent en même temps de l'art traditionnel africain, de l'art brut, et des objets traditionnels de diverses civilisations présentes ou disparues. Il faut noter que la propre collection d'Antoine de Galbert ne participe pas au patrimoine de sa fondation et qu'il n' a pas envisagé de l'exposer en ce lieu.
Sous la houlette de l'architecte Jean-Yves Clément de l'agence Amplitude à Grenoble (voir site www.amplitude-architectes.com), l'aménagement des locaux à partir d'un ancien et vaste atelier industriel de photogravure, est en bonne voie ; il devrait être terminé au printemps 2004. Ce nouveau lieu public de 2500 m2, se développe sur trois niveaux autour d'un ancien pavillon d'habitation et de son espace à ciel ouvert qui étaient inclus dans l'ex-atelier ; nouvellement ravalé et peint de rouge vermillon, ce pavillon (d'où le nom "Maison Rouge") abritera les services administratifs de la fondation, tandis que les nouveaux volumes s'organisent autour du patio qui servira lui aussi de lieu d' exposition. Sont encore prévus des espaces voués à la documentation, à des rencontres et à des conférences. L'agencement ne manque pas de grandeur et Antoine de Galbert a veillé à ce que les espaces de la fondation soient accueillants : l'artiste Jean Michel Alberola doit prendre en charge la mise en couleur des murs de la cafétéria qui sera directement accessible depuis la rue, aux visiteurs.
Alors que le patio permettra aux artistes de créer des oeuvres "saisonnières" et supportant les intempéries, la programmation s'oriente vers la mise en scène comparative de collections privées selon l'originalité et la spectacularité des démarches de leurs collectionneurs. Ainsi l'exposition inaugurale, au printemps 2004, s'ouvrira sur le thème de "L'intime, le collectionneur derrière la porte" : un concept initié par Gerard Wajcman et comprenant 15 ensembles d'oeuvres replacés dans une simulation de leur cadre d'origine, c'est-à-dire en reproduisant les pièces d'habitation, avec le mobilier, où les collectionneurs les ont confinés ; et ce, quelle que soit la fonction de la pièce où a été initialement accrochée ou installée l'œuvre présentée, que cela soit une chambre, un salon, une cuisine ou un sanitaire. Ainsi, alors que dans un musée les oeuvres perdent l'empreinte de l'esprit et de l'affectivité du cadre de l'atelier, cette mise en scène, cette recréation de l'intimité d'un intérieur, fera apparaître cette relation émotionnelle et spirituelle qui lie une œuvre à son collectionneur. Fin 2004, pour la première fois en France, suivra une exposition monographique de l'artiste américaine Ann Hamilton et en 2005, nous découvrirons les choix du collectionneur hambourgeois Harald Falckenberg : les créations de très jeunes artistes dont bien peu sont connus en France.
Ajoutons que La fondation Maison Rouge devrait, selon les dires d'Antoine de Galbert s'impliquer dans un accord de partenariat avec l'université de Paris-Nanterre, contribuant à la formation des étudiants en "Art de l’exposition". Plusieurs fois par semaine, ces étudiants poursuivraient leur cours à "Maison Rouge" sous forme de rencontre avec un artiste, un collectionneur ou un commissaire impliqués dans l'exposition en cours.
L'ambition de la Fondation de la Maison Rouge pourrait bien prouver qu'une autre approche pédagogique du patrimoine culturel est possible en France. Elle comble un vide, créant un lien entre la monstration muséale d'acquisitions publiques faites sur décisions –anonymes– des commissions de fonctionnaires de la culture qui ne s'engagent devant l'histoire ni sur leur nom ni sur leurs deniers et une monstration s'exposant au sein d'un lieu privé "une fondation" selon le choix subjectif d'un collectionneur qui prend tous les risques : tant intellectuels que financiers.
Voilà bien une opportunité qui pourrait devenir, au fil du temps, très instructive.
Liliane Touraine et Bernard J. Blum Paris, janvier 2004
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