Blitzkrieg,
deviations,
ou
monde enfantin…
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Dominique Perben, le maire de Chalon devenu depuis ministre, disait déjà en 1998 que sa ville "souhaitait affirmer simplement la légitimité du développement culturel en soi : la politique culturelle est à Chalon au coeur de la politique de la ville car la culture est à la croisée de tous les developpements, économique...social... personnel"
Chalon, ville de 60.000 habitants fait dans ces conditions un effort financier important puisque plus de 14% de son budget annuel sont consacrés à la culture. Une place particulière est réservée à l'art contemporain. Il ne s'agit pas, comme c'est souvent le cas de montrer un art contemprain déjà "empesé" dans des structures culturelles rigides, mais de "laisser vivre ce qui est vivant".
Dès 1987 la mairie avait créé l'un des premiers festivals "des arts de la rue" : un festival qui est devenu au fil des ans l'un des plus importants de France. En même temps, dans ses anciens abattoirs , Chalon soutient la jeune création, une création surtout axée vers le spectacle. Mais se basant sur la tradition issue des travaux du chalonais Nicéphore Niepce, la photographie, mais aussi d'autres formes d' arts plastiques sont proposées au public.
Cette année, du 22 juin au 15 septembre 2002, sous le titre insolite de "Je suis le Photographe de vos Rêves", 4 artistes plasticiens accaparent les espaces publics: le musée Nicéphore Niepce pour Charlemagne Palestine et Roger Ballen, le musée Denon pour Gérard Collin-Thiébaut et tout simplement les rues de Chalon pour Patrick Tosani.
François Cheval, le conservateur du musée Nicéphore Niépce tente ainsi de faire que le rêve envahisse les rues de la ville et pousse ensuite les portes d'édifices considérés comme plus roboratifs: le beau musée de la photographie et celui, un peu poussiéreux, de la peinture classique.
Il ne s'agit pas d'un rêve anodin : Charlemagne Palestine investit et dérange l'ensemble de la collection du musée Niepce. Ses nounours en peluche se balançent dans les salles sous des parachutes bariolés ou bien sont accumulés au pied de photos et de video, tandis que des enregistrements diffusent les musiques et les chansons un peu retro des radio des années passées. Il a opèré, comme il le dit, une "Blitzkrieg", occupant par surprise et rapidité la collection et les salles du musée. Mais ce stratagème militaire conçu par les généraux nazi avait pour but de détruire, anéantir, aliéner : y a-t'il place au rêve dans une telle opération de guerre ? Ce rêve n'est-il pas un cauchemar.
De la même façon de quel le rêve Roger Ballen se fait-il le révélateur ?
Ce photographe américain après avoir abandonné son univers new yorkais se plait à enregistrer sur sa pellicule en noir et blanc les travers atroces, à la limite de la démence, d'une population sud africaine blanche marginale, parfois sujette à des déviations que d'autres considéreraient comme des cas pathologiques.
C'est cette société que Roger Ballen prétend présenter comme l'image "juste et douce", aussi "belle" prétend le concervateur du musée Niépce, de la communauté blanche sud africaine, "déchue du privilège du colonialisme". Politiquement, socialement et artistiquement, c'est une véritable imposture. Cette Afrique du sud, celle que nous connaissons porte en elle bien des problèmes. Si la société d'Afrique du Sud se sent abandonnée, c'est qu'elle doit résoudre seule les dures réalités de l'intégration de 2 groupes etniques qui hier se cotoyaient, sans se confondre. Les deviations psychiatriques d'individus malades n'ont pas grans chose à faire ici, et encore moins avec ce qu'on voudrait leur faire dire. Dans ce pays magnifique et riche, notre rêve ne saurait être l'image de la déchéance de cas pathologiques marginaux, mais la volonté et le courage des 2 communautés pour construire un avenir commun.
Au musée Denon dédié à la peinture classique, Gérard Collin-Thiébaut a choisi, comme Charlemagne Palestine de se glisser insidieusement entre les oeuvres en présentant les puzzles richement encadrés de reproductions commerciales d'autres tableaux de maîtres. Seule la qualité médiocre des ces "transcriptions", les couleurs un peu trop neuves, parfois un reflet de papier vernis permettent de repérer l'imposture. Que nous importe que Gérard Collin-Thiébaut prétende "comme tout artiste peintre, s'imposer des séances de peinture quotidienne. A ceci près, que le petit outillage traditionnel et la matière première (soit) remplacés par un puzzle, acheté dans le commerce, reproduisant une oeuvre d'art". Le rêveur n'est pas le spectateur, mais bien l'artiste, quant il se laisse penser qu'il est un artiste…, un peintre. Il n'est pas "le photographe de nos rêves", quand il nous présente ses propres élucubrations.
C'est à l'air libre, en sortant dans les rues de la bonne ville de Chalon et en suivant le "Parcours urbain" que nous offre Patrick Tosani que nous touchons au rêve. Ici les "abribus", les candélabres, les panneaux d'affichages présentent sur des bannières claquant joyeusement au vent ou sur les panneaux d'affichage détournés de leur vocation première, le regard neuf, parfois étonné d'un monde enfantin, naïf, innocent, à peine sorti de sa rêverie. Cette douceur, celle des couleurs aussi, pourrait avoir la vertu de nous faire retrouver cet univers candide que peut-être nous n'avons jamais réellement quitté, dans nos rêves.
Bernard J. Blum, octobre 2002
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