Document de présentation de l'exposition artistes autres à Yaroslav en 1999.
En bas à gauche, moulins à vent d'Alexandre Lobanov
Cet artiste singulier vit toujours dans l'hôpital psychiatrique où il est entré jeune homme
Douleur d'être au monde |
Si la douleur d'être au monde s'est incarnée dans un homme, c'est bien dans Alexandre Lobanov. Quel destin, le sien ! Et quelle extraordinaire volonté habite cet homme pour lui donner l'énergie de résister à toutes les oppressions, pour réaliser une oeuvre stupéfiante, dont une partie sera bientôt visible en France, pendant un temps malheureusement trop court.
Pour une appréciation plus juste de cette oeuvre, pour la présenter au regard dessillé des amateurs sans préjugés, il est important de la faire sortir de son encadrement psychiatrique. Or, une chance inattendue s'est présentée à l'artiste interné. Il se trouve que la ville de Yaroslav est jumelée à Poitiers. Sous l'égide des dieux protecteurs des villes jumelles, les universités de Poitiers et de Yaroslav organisent conjointement en février 2002 la première exposition monographique d'Alexandre Lobanov.
Sa grande originalité apparaît dans le détournement des images. Ce guerrier implacable, armé jusqu'aux dents, part en fait à la chasse aux gibiers, accompagné d'un brave toutou. Derrière eux les canards sauvages volent en rangs serrés dans le ciel bleu. Parfois même il se livre à une "autocritique" souriante: le chasseur est renversé par un sanglier qui l'emporte sur son dos, comme une quelconque Europe enlevée par son Jupiter taurin. Le caractère cocasse vient de ce que les personnages couchés sont en fait des personnages debout qui ont été placés à l'horizontale. L'artiste, en effet, reprend les mêmes figurines pour les placer dans des situations différentes. Il serait donc plutôt (à en juger d'après l'échantillon de ses oeuvres arrivé en France) dans la lignée des Naïfs.
Les spécialistes ont analysé la genèse des oeuvres du Douanier Rousseau et d'autres. Ils ont reproduit les catalogues, prospectus, affiches, calendriers et autres documents qui ont nourri leur imagination. Pour Lobanov, nous ne savons encore rien. Quels livres, quels illustrés ont fixé son imagination pendant soixante ans de solitude ? Que lui ont glissé sous les yeux les infirmiers et les autres malades dans l'hôpital qui est sa résidence obligée ? A bien regarder son monde iconique, on peut postuler des catalogues d'armes, des images sans bavures de soldats en guerre, des remises de prix aux combattants et aux travailleurs méritants. Une imagerie de propagande triomphaliste et militante. Son personnage solitaire la reprend à son compte pour s'affirmer dans sa singularité et montrer jusqu'à satiété le drame de la solitude. Il fait valoir les droits de <i>l'idiot</i> (en grec: le seul), de <i>l'aliéné</i> (l'étranger à lui-même) sur la dictature de la société. Sur d'autres oeuvres où il ne paraît pas, il réarrange le monde environnant à sa façon. Ainsi, sur un dessin intitulé <i>Moulin à vent,</i> deux moulins sont placés avec d'autres emblèmes ruraux sur le toit d'une caserne jaune et inhumaine, dont la façade est soutenue par des kalachnikov hautes de trois étages. Peut-on dire qu'une paysannerie nostalgique. avec ses attelages, ses girouettes et ses moulins à vent est à la fois refoulée et exaltée au sommet de l'implacable univers militaire ?
L'une des premières oeuvres de Lobanov n'a pas fait le voyage en France. L'artiste s'y est représenté en affreux Jojo, adulte de petite taille, comme dans la vie. De la gauche il tire la nappe pour faire tomber de la table les fleurs et la bouteille de vodka. De la droite il fait feu avec un pistolet sur un infirmier en blouse blanche, sous le regard d'un témoin impuissant, que l'on peut identifier comme un psychiatre. Le fond de la scène est occupé par une porte géante, verrouillée, avec une serrure bien visible. Belle image confession.
L'oeuvre de Lobanov, comme celle des solitaires des asiles et des prisons, montre la puissance de cette pulsion imageante (Bildtrieb), que Burckhardt et Riegl ont mis à l'origine de l'art. Une pulsion irrésistible qui traverse toutes les barrières et s'exprime avec les seuls moyens formels que le créateur a pu connaître. C'est pourquoi l'oeuvre se source en elle-même et transcende le pouvoir de son auteur.
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Exposition Alexandre Lobanov du 20 février au 6 Mars 2002 du lundi au vendredi, de 9 h à 19 h
Maison des sciences de l'homme et de la société, 99, avenue du recteur Pineau 86000 Poitiers tél : 05 49 45 46 00 fax : 05 49 45 46 47
Les titres des oeuvres ont été donnés par les exposants ou par l'auteur de l'article
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