Claude Lévêque – Le Grand Sommeil, MAC/VAL, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Claude Lévêque – Le Grand Sommeil
 
 
"Je pense que l'art contemporain peut provoquer un espace différent de redécouverte des choses, indépendant des obligations de consommation dictées par des médias avilissants, des politiciens corrompus et des marchands de jeux, de pavillons ou de bagnoles".
Claude Lévêque, cité par Eric Troncy dans Claude Lévêque, 2001, Hazan.
On
pénètre
dans
l'immense
espace
d'exposition
temporaire
du Mac/Val
comme
dans
un rêve
Claude Lévêque
 
Claude Lévêque, Le Grand Sommeil, MAC/VAL, 2006
 
 
Parce qu'il laisse s'exprimer l'émotion et n'impose pas au visiteur un discours formaté et uniquement intellectuel, Claude Lévêque est certainement l'un des artistes français actuels les plus attachants, s'il n'est pas le plus doué. L'installation Le Grand Sommeil, présentée actuellement au Mac/Val de Vitry-sur-Seine, en est un beau témoignage.

On connaît l'histoire de Lévêque, de ses origines modestes et de son enfance à Nevers aux années 70-80 à Paris, où, le jour, il invente pour des vitrines de boutiques de mode de véritables mises en scène, ses premières réelles installations, et la nuit, fréquente le Palace et ses habitués, sorte de jet-set punk où se retrouvent les graphistes (Bazooka, Un Regard moderne), artistes et musiciens (Jacno…) d'une génération plus ou moins nihiliste. Ancien étudiant des Beaux-Arts de Bourges, Lévêque a découvert l'art contemporain par l'intermédiaire de Christian Boltanski au CNAC au début des années 70 : l'influence de cet artiste, explorateur du souvenir et de l'enfance dans des installations où la lumière joue un rôle majeur, sera déterminante dans son œuvre.

Ainsi, sa première œuvre importante, Grand Hôtel, installation présentée à la Maison des Arts de Créteil en 1982, annonce les œuvres suivantes tout en étant, d'une certaine manière, proche de celles de Boltanski : des photos d'amis, montées dans des cadres dorés kitsch, sont installées sur une table recouverte d'un tissu en velours rouge. Des éclats de verre sont répartis avec précision devant la table, en empêchant l'accès au spectateur. L'artiste élabore une variation sur la notion sacrée de l'image et de son "apparition", c'est-à-dire de sa mise en scène, en jouant sur le mot "hôtel", que l'on peut entendre comme l'"autel" d'église, lieu de la "révélation", terme également propre à la photographie. La théâtralité, le cérémonial, la création d'un univers plus encore que d'une simple atmosphère, et cette beauté magique, et pas seulement esthétique, indispensable à la réception de l'œuvre d'art, sont déjà là.

Plus encore que de l'installation Grand Hôtel, Le Grand Sommeil est, d'après les propos mêmes de l'artiste (Interview parue dans le Journal des Arts du 26 mai 2006), proche d'une de ses œuvres présentée à l'ARC en 1984, intitulée La Nuit, nous chanterons à la mémoire des passions aujourd'hui disparues. On y retrouve la pénombre propice à l'imagination et le thème de l'enfance. Après une série d'œuvres fortes et violentes où il donne délibérément dans la provocation, comme, par exemple, l'installation à la Galerie de Paris de mangeoires de porcherie en 1991, ou plus récemment l'inscription "punk" au néon Je suis une merde (2001), Lévêque semble donc revenir à un certain onirisme.
 
 
 
Claude Lévêque
 
Claude Lévêque, Le Grand Sommeil, MAC/VAL, 2006
 
 
On pénètre dans l'immense espace d'exposition temporaire du Mac/Val comme dans un rêve. Une lumière bleutée de mille et une nuits apaise immédiatement l'œil et fait phosphorer les éléments installés dans la pièce. Au plafond sont suspendues, à l'envers, des structures de lits identiques, blanches, alignés avec rigueur ; sur les barreaux sont enfilées des boules, évocation du boulier chinois et du temps qui passe, mais aussi des jouets pour bébés. Des demi-globes transparents accueillent au sol d'autres boules blanches, peut-être tombées des lits où elles se sont égrenées. La déambulation se fait la tête à l'envers, les repères temporels et physiques sont perdus, l'immersion, totale. Une musique asiatique, douceâtre, ajoute encore à l'ambiance douce et surréelle du lieu. Aussi tous les sens sont-ils sollicités, dans une sorte d'"œuvre d'art total", à la manière de l'opéra tel que le concevaient Richard Wagner et la génération symboliste. La lumière colorée est perçue par l'artiste comme un transmetteur d'émotions, dans une conception proche de celle de Dan Flavin : "Je me dois d'inventer un langage à la lumière, de manière à ce qu'on ne l'appréhende plus en tant que source, en tant même que lumière, mais davantage dans son impact", cité par Eliane Brunet dans "Les aires de réactivité de Claude Lévêque", Art Press, n°321, mars 2006. L'artiste parvient, par cette mise en condition, à plonger le visiteur dans l'univers qu'il a créé, mais dont le sens n'est pas déterminé d'avance, et qui laisse une grande place à l'imagination et aux fantasmes personnels.

Selon Lévêque, "l'exposition correspond à [ses] préoccupations d'aujourd'hui : une certaine raideur qui a trait à l'aliénation, à l'enfermement, à cette espèce d'anonymat, et qui a un côté "dressage"" (Interview Journal des Arts, op. cit.). Déjà les mangeoires de porcherie de 1991 et diverses autres installations dénonçaient les modes de normalisation contemporains, les lieux de la vie normative que sont le bureau, le supermarché, ou, comme ici, le dortoir. Car c'est toujours à l'enfance que revient Claude Lévêque, avec son lot de peur et de frustration, mais aussi avec ses capacités infinies de réenchantement du monde. L'installation Le Grand Sommeil peut évoquer l'enfer de la claustration, telle celle d'Auschwitz, dont la visite marqua fortement Lévêque, la maladie ou l'absence (les lits, mémoires et réceptacles du corps humain, ne sont-ils pas comme abandonnés ?). Mais elle peut aussi bien faire ressurgir ces moments précis de l'enfance, si bien décrits par Proust, entre l'état d'éveil et celui de sommeil, où l'on ne distingue plus très bien le rêve de la réalité, où l'on est entre deux mondes, entre deux espaces-temps, et où tout semble possible.

Lévêque renoue ainsi avec le programme surréaliste et le profond désir d'André Breton : réconcilier rêve et réalité, car, après tout, peut-être la vie est-elle un rêve, et les rêves, la réalité…
Magali Lesauvage
Paris, juin 2006
 
Mehdi El Glaoui
 
Claude Lévêque, Le Grand Sommeil, MAC/VAL, 2006,
Mehdi El Glaoui dans le feuilleton de Cécile Aubry Belle et Sébastien. © Gaumont/INA 1965.

MAC/VAL, Musée d'art contemporain du Val-de-Marne, Place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine,
Tél. +33 (0)1 43 91 64 20, du 19 mai au 10 septembre 2006

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