la puissance visuelle de son langage métaphorique…
…évoquer plastiquement une pensée telle que celle de la fuite du temps, de la vie à la mort
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Dans le cadre "un intrus au musée", concept que le musée d'art moderne de la Ville de Paris réalise en introduisant des œuvres de sa collection en d'autres lieux culturels, il faut aller voir une vidéo-projection realisée par l'artiste contemporain Ange Leccia, en 1991, et intitulée "La Mer", au musée national de la Marine.
La projection ne donne rien d'autre à voir que la mer, une forte houle bleue que
I'artiste a su magnifiquement filmer. Masse d'eau déferlante dont la vision
éblouie comme une peinture de Turner, Monet ou Twombly. Les vagues, sans
cesse se projettent à la verticale, recouvrant tout l'écran. A leurs crêtes, une mousse laiteuse éclabousse ou recouvre l'opacité bleue sombre de la masse gigantesque en mouvement. Le plein écran et l'enregistrement en boucle, sans début ni fin, illustrent parfaitement l'infinité du temps, un temps immémorial à I'écoulement inexorable quand le battement repété des vagues résonne comme une pulsion de vie, une respiration au présent.
On a pu voir récemment au centre Electra à Paris, dans le cadre d'une
exposition sur l'Algérie, une autre vidéo de Leccia où la mer jouait aussi le rôle principal, on y voyait juste les remous du sillage laissé par l'éloignement d'un bateau (invisible) dans une mer rouge sang à l'eau épaisse et visqueuse.
Une image extrêmement poignante parlant autant aux français rapatriés des années soixante fuyant un massacre annoncé qu'aux exilés algériens d'aujourdhui se réfugiant en France pour échapper aux attentats meurtriers perpétrés par leurs amis d'hier.
Ces deux vidéos d'Ange Leccia témoignent de la puissance visuelle de son
langage métaphorique qui, à l'image des peintres d'autrefois et notamment de ceux du 17e siècle, savaient si bien évoquer plastiquement une pensée telle que celle de la fuite du temps, de la vie à la mort.
A voir en même temps l'exposition "Napoléon et la Mer" qui regroupe un ensemble important de peintures d'Horace Vernot - des très
grands formats sur les villes portuaires de France- dans une scénographie
prestigieuse à l'image de la Royale : une collection unique au monde de
vaisseaux, de maquettes et de sculptures du 18e siècle.
Liliane Touraine et Bernard J. Blum Paris, mars 2004
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