Abolition
du temps
extraordinaire
liberté
créatrice
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Le Musée National des Arts d'Afrique et d'Océanie (MAAO) présente la première exposition du quai branly.
Direction : Kodiak en Alaska aux 57°46' nord et 152°30' ouest.
Dans cet archipel, au sud de l'Alaska, s'est développée une tradition du masque à la fois prolixe et originale. Très peu d'exemplaires, témoins de cette culture aujourd'hui disparue, existent encore. Les anciens Alutiiq avaient en effet coutume de brûler leurs masques au terme des rituels. "En mettant aujourd'hui ces masques magnifiques et insolites en pleine lumière, nous souhaitons suggérer la puissance de ces figures dans leur contexte social et rituel initial" explique Emmanuel Dèsveaux, commissaire de l'exposition.
C'est grâce à la collection d'Alphonse Pinart (1852-1911), linguiste et ethnologue, qu'il est possible de découvrir quelque quatre-vingt spécimens appartenant à sa collection, constituée sur le terrain entre 1871 et 1872 lors de son premier voyage en Alaska.
Si l'un des objectifs de l'exposition "Kodiak, Alaska" était d'attirer l'attention du public sur un ensemble d'œuvres exceptionnelles et de le reconstituer dans son intégralité, c'est réussi. La scénographie d'Alain Batifoulier, notamment le "Défilé des masques", est saisissante. Abolition du temps dans un clair-obscur. Télescopage des matières : bois, verre et lave. Invitation à pénétrer dans un autre monde.
Si le visiteur ne connaît ni les traditions, ni les croyances, ni les fêtes ou les mythes des habitants de l'archipel, les masques lui parleront d'eux-mêmes grâce à l'audace de leurs formes et à la tonalité grave de leur esthétique. Leurs yeux sont presque invisibles mais pourtant perçants ou alors tout ronds, rieurs, interrogateurs, ou encore de simples fentes. Des sourires s'esquissent ou des langues se tirent. Des moues s'ébauchent. Certains fronts sont proéminents. Des moustaches en copeaux de végétaux ou algues sont attachées sous le nez. Des visages sont tatoués, peints, décorés, d'autres sont ornés de plumes. Des narines sont ouvertes, des bouches également. Des paupières sont tombantes. Certains masques sont tout ventrus, d'autres tout allongés. Des pommettes sont saillantes, des nez un peu épatés, sorte de queue de baleine…
Ici point de frayeur mais bien plutôt de la sérénité : les Esprits doivent être heureux et divertis. Les formes de ces masques dédiés à la chasse, aux danses et aux chants, tantôt abstraites tantôt expressives laissent poindre une extraordinaire liberté créatrice.
Murel Carbonnet-Caumes Paris, janvier 2003
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