Si la tradition alchimique tente d'inscrire le carré dans un cercle à partir de la supposition d'une représentation du monde…
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"Melancholia", longue de 36 mètres, qui se déploie à partir de deux structures de soutien en acier, un cercle de 6,8 mètres de diamètre et un carré de 6,8 mètres de côté, réunis par une toile blanche translucide, a d'ailleurs été spécialement conçue pour le lieu. Ce cône opalescent dévolu à l'obscur présente à chacune de ses extrémités un orifice s'ouvrant sur une perspective sans fond véritable. Captant la lumière du jour, cette nouvelle pièce rappelle la longue trompe de "Marsyas" qui occupa le hall des turbines de la Tate Modern Gallery en 2003. Un titre évocateur déjà, puisque "Marsyas", ce faune joueur de flûte écorché vif sur l'ordre d'Apollon, hante la tradition picturale de la Renaissance.
Là, il n'est pas fait allusion à Dürer sauf à voir, dans cette proposition formelle qui ne réprésente rien d'autre qu'un vide circonscrit grâce à la toile étirée comme une peau de tambour, un gouffre en suspension. Ce dessin possible du néant marquerait donc moins un état psychologique qu'un continuum entre des temps de lumière et d'obscurité dans un espace-temps sans début ni fin. Si la tradition alchimique tente d'inscrire le carré dans un cercle à partir de la supposition d'une représentation du monde que l'on pourrait mathématiser jusqu'à l'absurde, faisant de ces deux figures les formes archétypales de la création, Kapoor semble plutôt prêter attention à l'éphiphanie des phénomènes physiques qu'à la géométrie euclidienne. De sorte que c'est à la cosmologie orientale que l'on pense, Anish Kapoor privilégiant une réponse cyclique pour la préférer à la réprésentation du monde, et la ligne plane habitée par le sens pour la préférer à l'histoire.
Anish Kapoor, Melancholia, 2004
toile polyester, acier, 680x3600x1120 cm
propriété de la Communauté fran¨aise
Co-production MAC's, Anish Kapoor, Lisson gallery
C'est qu'il ne faudrait pas trop vite prendre Kapoor pour un formaliste, son travail qu'il ne verbalise guère, s'ancre pour l'essentiel dans une poétique intime qui ne relève pas d'un aride minimalisme, mais pencherait plutôt du côté de la sensation pure.
On voit à ce titre la place prépondérante qu'occupe la couleur dans ses travaux, soit qu'elle pigmente ses surfaces et excite l'œil, soit qu'elle donne chair à des formes abstraites. C'est ainsi qu'il sculpte la paraphine vermillon jusqu'à faire émerger une piste circulaire pour "My Red homeland", une des pièces, avec "Melancholia", les plus impressionnantes de l'exposition.
On pense alors au bindi sur le front des femmes mariées en Inde, (le rouge apportant la prospérité à la nouvelle maison) qui signale que l'épouse devient la gardienne du foyer et du même coup qu'elle n'est plus libre. Une métaphore qui pourrait être aussi une incitation à considérer l'appartenance culturelle comme richesse autant que comme clôture.
Raya Baudinet Paris, février 2005, paru dans Art Press n° 308
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