Présentées jusqu'au 24 août au centre d'art contemporain le Plateau, les photos de Valérie Jouve et de Jean-Luc Moulène érigent en œuvres des instants fugaces de la réalité quotidienne qui habituellement n'appartiennent pas au monde de l'art. En puisant leur esthétique dans la banalité de moments passagers, leurs images interrogent notre rapport à la réalité et à notre environnement immédiat.

Des photos de rues, de la place d'Italie, d'un rayon de grand magasin ou d'un passant : chaque image est un défi aux normes et aux conventions photographiques. Sans surprise ni recherche esthétique particulière, ces photos donnent à voir la réalité sous un angle différent, proposant un autre regard sur des détails anodins de la vie quotidienne que nous sommes habitués à voir mais jamais à regarder. Ici, toute cette petite réalité insignifiante et qu'on ne remarque même plus, devient par le fait même d'être photographié le centre de notre attention.

Enigmatiques, des gens du quotidien sont captés au milieu de leur routine, dans ce qu'ils ont de plus anodin et de naturel. On regarde un piéton, une femme qui attend le bus, un homme qui parle à quelqu'un que nous ne voyons pas, et l'univers capturé dans cette image nous rattrape : on se demande ce qu'ils font, à quoi ils pensent, ce qu'ils disent. Ils marchent, parlent, regardent, et sont transformés dans la photo par un détail qui paradoxalement semble emplir tout l'espace. Surgi ce qu'ils recèlent de plus spontané et d'humain : leur regard, leur expression, la désinvolture de leur démarche, un geste qu'on ne voit pas mais qu'on devine.

Dans "Sortie de bureau", Valérie Jouve a photographié une série d'hommes et de femmes sortant de leur journée de travail. Coupés de tout contexte ainsi que du monde extérieur, cet étrange cortège de costards sombres et de tailleurs apparaît sur fond gris, isolant chacun dans son individualité. Ils sont figés dans un moment précis, celui de la sortie de bureau et tout, dans leur attitude, dans leur démarche et dans leur posture, traduit cet état de fait : stress, empressement, tête basse. Ils sont immobilisés au milieu de leurs pensées et du fourmillement d'idées de la fin de journée, captés en tant qu'individus alors qu'ils se fondent dans la masse.

Toutes ces photos ont en commun une simplicité reposante dans la mise en scène, dans les gestes, les poses ou les objets. En photographiant une rue, une nature morte ou une passante, Valérie Jouve et Jean-Luc Moulène nous révèlent la réalité brute de notre environnement quotidien, et dévoilent ce qui, par l'habitude, est devenu invisible.

Assïa Kettani
Paris, juillet 2003