Création du Jean's Chair Club. Au plus fort de sa renommée, à la fin des années 80, plusieurs commanditaires, attirés par le renom de l'artiste et le côté insolite sinon ludique de son oeuvre, ont commandé à Jean Tinguely les pièces qui constitueraient l'agencement d'un café. Ce fut le cas pour le Palace Hôtel à Lausanne, le café Münz à Zürich en Suisse. C'est aussi ce que le richisisme industriel japonais Nemura choisit de faire pour son immeuble de bureaux à Kyoto.

Bien que le montant de la conception parut à l'époque un peu élevé, un million de francs suisses (600.000 €), Monsieur Nemura se laissa convraincre et commanda pour son café, quatorze plafonniers confectionnés au Japon à l'aide de pièces de rebus de l'industrie mécanique locale (motos, etc…), 6 modèles de chaises et tabourets et des tables. Tinguely créa encore à cette occasion un foulard que les clients pourraient acheter, ainsi qu'un catalogue. La vaisselle et les menus portaient la signature de l'artiste.

Hélas, les temps changent. Alors que la direction du Palace à Lausanne a déjà depuis longtemps perdu le goût et l'intérêt pour l'exentricité des mobiliers signés Tinguely, le café Münz suit cet exemple et doit changer de décor dans un proche avenir.
Au Japon, les héritiers de Monsieur Nemura, ne sont pas non plus fascinés par l'oeuvre de cet original artiste suisse, dont les pièces donnent un caractère "hard" à un lieu qui, au départ voué au jazz, devrait maintenant devenir un havre de repos. L'oeuvre de Tinguely, mouvante, grinçante et hallucinante ne convenait certainement pas. De plus, elle "date" trop pour les nouveaux architectes d'intérieur et les gastronomes du 3ème millénaire qui se trouvent plus à l'aise dans l'atmosphère éthérée du Zen.

Donc le café Tinguely de Kyoto ferme aussi, tout au moins ses pièces n'ont plus droit de cité.

Un "riche collectionneur suisse", sans doûte la galerie Kornfeld de Berne, a saisi cette occasion pour acheter l'ensemble et, grâce au support technique et financier du musée Tinguely de Bâle, richement doté par la multinationale de la pharmacie "Roche", a ramené l'ensemble des pièces à Bâle où elle seront exposées jusqu'au 2 mai 2004.
En fait, il s'agit de faire la promotion de la vente des pièces qui ne sont pas gardées par le collectionneur ou "données" au musée. En effet, en dehors des lustres qui constituent une belle collection d'oeuvres lumineuses et qui resteront sans doute groupées, 50 sièges sont mis aux enchères, à partir de 2.800 francs suisse (1.900 €). Les heureux acquéreurs auront ainsi acquitté leurs droits pour devenir les membres d'un club très fermé, le "Jean's Chair Club". À partir du 18 mai 2004 pour la première fois, et ensuite chaque année à la même date, l'anniversaire de la naissance de Jean Tinguely, les membres seront invités à venir, munis de leur chaise, participer à des agapes, naturellement payantes…

Bernard J. Blum
Bâle, janvier 2004