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Interview de Béatrice Cussol


Lumiere

Cécile Marie :
Ce qui m'a frappé lors de ma première rencontre avec les images de vos dessins, c'est à la fois leur liberté extrême et l'énergie délivrée. Une énergie dans ce que l'on pourrait appeler le travail de la main et de la couleur mais aussi dans votre capacité à laisser apparaître des figures dans leur matière brute, sans censure. Une urgence de l'image se fait sentir. Comment naissent vos images ?

Béatrice Cussol :
Voici comment naissent les images que je dessine : tout à coup, je fixe quelque chose qui auparavant peut-être flottait, au risque d'en perdre d'autres.
Elles apparaissent comme quelque chose que je n'aurais jamais vu auparavant, et en même temps comme quelque chose que j'aurais déjà vu, quelque chose de familier.
Je crois que ce que je vois est déjà du dessin. Les traits sont là, leurs épaisseurs, moins souvent les couleurs. Son sens, ou plutôt la narration qu'il apporte, vient après ; on peut dire que je dessine quelque chose qui était déjà du dessin auparavant. C'est l'analogie, épidémie au cœur des ressemblances, qui m'aide à voir. Je pense par analogie au quotidien, j'essaie de me censurer le moins possible. Ça se passe comme si je ramassai quotidiennement des déchets de ma pensée, ceux ci se présentant sous la forme d'images ou plutôt de visions. Mais c'est peut-être encore plus juste de dire que ma manière de dessiner est une de mes façons de penser (et aussi une façon de vivre, du même coup).

Cécile Marie :
Pourquoi privilégiez vous la figure humaine ?

Béatrice Cussol :
La figure humaine que je déforme, au mieux pour elle, dans mes dessins est un lieu vide que le regardeur peut habiter à sa guise d'une personnalité de son choix, ou de la sienne, s'identifiant, ou peut-être du choix de son inconscient ou de sa mémoire ; un peu comme quand on jouait à la poupée. Je les manipule d'ailleurs comme si elles étaient mes petites poupées, habillage, déshabillage, relations sexuelles entre elles, dialogues inventées, rapports ludiques avec leur corps comme avec la nourriture.

J'ai beaucoup d'affection pour mes personnages, ce sont mes copines, elles vivent dans un monde de bonne humeur, tout de même, de manière générale. En guise de piste, la connaissance de soi est déjà une interprétation. Je m'identifie moi-même assez bien à mes petites amies de papier et de trait.
Dans mes dessins, leurs identités est déjà bien dessinée. Le corps, ce lieu hermétiquement fermé (par le trait), est aussi pour elles comme une maison, une cellule de laquelle elles ne sortent pas, dans laquelle elles sont enfermées, mais qui leur sert d'armure ou de protection, dans leur rapport à l'autre figure. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une relation entre deux figures. Il s'agit d'ailleurs beaucoup entre elles de pénétration et peu importe l'organe dont il est question. Des filles sont pénétrées par des maisons, des bouches par des cigarettes ou des bras entiers, des dents, des mains dans des sacs, etc... Elles se pénètrent entre elles, c'est-à-dire qu'elles s'invitent les unes chez les autres, elles baisent, elles communiquent.

Cécile Marie :
L'impertinence, l'humour et le libertinage de vos dessins en font des figures engagées, est-ce important pour vous que vos dessins donnent comme ceux de Brétécher, par exemple un regard sur des questions de société et sur l'identité sexuelle en particulier ?

Béatrice Cussol :
Mes héroïnes sont sans contexte, elles sont ignorantes de ce qu'il se passe en dehors d'elles-mêmes car il n'y a rien en dehors d'elles- mêmes, la guerre s'est achevée et le monde est allé à sa perte, mais elles, elles continuent, elles se dépassent, elles sont inextricablement absorbées par ce qu'elles font qui est ce qu'elles sont : simple constatation qui souligne ce détail: elles sont dans une situation d'indépendance, voire d'indifférence au masculin. Mais elles ne disent rien de plus que ça, rien de particulier ni rien d'autre que de montrer cette facilité et bonheur de vivre à l'intérieur de son corps comme dans une maison, ou à l'extérieur de son corps comme dans son jardin.

Propos recueillis par Cécile Marie,
novembre 2001.

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