Pascal Colrat : faire résonner le sens, entretien avec Aurélien Bidaud
 
 
Images, messages, informations, communication, tout est langage, et lorsqu'un auteur se livre ou s'affiche, il crée un dialecte. Son support est nos sens perceptifs et son travail nous cherche.
Pascal Colrat s'affiche, se déplie ou se plie, se transporte et se colle.
Ce jeune graphiste-auteur développe une création singulière. En effet ses réponses aux commandes culturelles lui permettent de projeter un travail de recherche graphique et plastique hors des contraintes quasi rétrogrades liées aux entreprises. Il se distingue dans ses compositions par une rigueur de l'image dont il tire lui-même ses clichés, et une exigence dans ces choix typographiques éclairant le propos, fluidifiant l'image. Ces ponctuations articulent un langage clair et accessible. La photographie tient ici une place importante dans ses compositions, souvent en pleine page, à bords perdus, elles orientent une première lecture.
A l'occasion d'une commande réalisée pour l'AFAA1 (printemps 2001) sur la question de la Biélorussie, il interroge notre perception des choses à l'aide de diptyques de photographies. D'une manière quasi-systématique, une figure humaine s'oppose à un objet dont le cadrage reprend les codes de représentation publicitaire. Notamment de basculer une image dans l'autre. Par exemple sur le visuel de gauche, un tank-jouet et son emballage sont présentés comme sur un catalogue ; lui répond le visuel de droite, un autre tank sur un socle que l'on pourrait prendre pour un jouet en plomb, mais qui est bien réel.
Ainsi, semble nous dire Pascal Colrat, tout n'est que point de vue. Ouvert à l'actualité mondiale et cherchant à dénouer le nœud de nos questionnements, c'est d'un graphiste engagé dont il s'agit, perpétuant la tradition d'affichistes français, telsCieslevicz, Grapus, Nous travaillons ensemble, les graphistes associés, etc…
Si le graphisme a commencé avec l'affiche (Lautrec/Savignac), ce support reste aujourd'hui un médium privilégié, par son rapport presque physique avec le public, dans sa frontalité et dans la matérialité de l'espace qu'il habite.
C'est donc naturellement que Pascal Colrat oriente ses créations vers des supports tels que l'affiche, la carte postale, le textile, tous ces objets qui composent notre environnement contemporain urbain.
 

Pascal Colrat

Bags from India, 2003

 

Vous êtes artiste plasticien, photographe et graphiste, une approche de l'image sous différents angles. Vous développez le champ des possibles. Qu'est-ce qui vous a amené à l'affiche ?

Etre artiste est un engagement auquel j'ai toujours tenu. J'ai suivi l'enseignement des Beaux-Arts de Paris, mais ma première approche du graphisme fut de gagner deux concours importants d'affiches : celui de la Fiac, et celui du SAGA (Salon des Arts Graphiques Actuels) qui étaient ouverts aux étudiants des Arts Décoratifs et à ceux des Beaux-Arts. Alors que je cherchais un support de diffusion pour mon travail autre que celui de la galerie, je découvrais un outil qui m'offrait une réelle visibilité. J'étais alors fasciné par l'édition de multiples ainsi que par l'idée de sérialité qui se dégageait du graphisme : la notion d'auteur disparaît derrière la duplication incontrôlable de l'image. Je me suis également tourné vers le graphisme des pays de l'Est dont l'activisme revêtait un caractère singulier et très fort, là, l'affiche de rue, tirée à de nombreux exemplaires, déployait tout son sens.

Quel rapport votre propre travail entretient-il avec l'affiche ? Est-ce l'aboutissement de vos recherches ?

L'affiche est un outil. On pourrait dire que je suis un plasticien qui utilise les outils du graphiste. Ceux-ci sont finalement aujourd'hui une forme d'expression artistique. Il semble que le vieux clivage entre l'art et les arts dits mineurs s'estompe. Au même titre que le design et la photo, le graphisme introduit une réflexion sur notre quotidien, sur notre rapport aux objets et sur l'emprise qu'ont les signes sur nos comportements.

En tant que graphiste, vous avez plusieurs cordes à votre arc, comment déterminez-vous le support le plus adapté à votre message ?

Pour mon travail en Biélorussie, où j'ai répondu à une commande de l'AFAA lancée sur "l'après Tchernobyl", l'image m'a semblé intéressante car j'ai pu la mettre en regard des clichés pris à Los Angeles. Dans ces deux lieux, j'ai réalisé énormément de photographies. Et, si à Tchernobyl, je devais cacher mon appareil sous le manteau, à Los Angeles, j'avais l'impression de participer à un spectacle permanent, et j'aurais pu d'ailleurs assembler ces clichés sous la forme d'une vidéo. En ce qui concerne mon projet en Inde, il a été conçu dans le cadre d'une résidence d'artistes (…), et la question s'y est posée différemment : plutôt que le cliché, j'ai privilégié l'objet, le sac en toile, qui était accessible à toutes les bourses.

Dans le travail photographique que vous avez réalisé entre Los Angeles et Tchernobyl, les diptyques semblent porter une histoire au fil de la trame qui est créée entre deux images.

1+1=3, c'est la théorie de Cieslewicz : dans une affiche, l'association de deux éléments engendrera forcément un sens dont la portée dépassera l'addition de leurs significations. Ce type de confrontation caractérise pour moi la base de l'affiche. Une fois mise en situation dans l'espace urbain, celle-ci rentre en résonance avec les autres images, affiches, signalétiques, reflets, qui viendront interférer avec sa rhétorique. Cette lecture dynamique de l'image est comme une mise en abyme du sens, et surtout pose la question de la responsabilité de l'auteur. A quoi réagir en créant une image ?

Pascal Colrat

Dyptique pour "signes de la Biélorussie" (édition Textuel), 2002

Comment envisagez-vous votre regard critique ?

Nous sommes noyés dans un flux permanent d'images. Comment se définir, se construire vis à vis de cette masse, et par quels moyens comprendre le monde dans lequel nous sommes ? Je vois beaucoup de jeunes graphistes talentueux, le problème, c'est de savoir à quoi sera utilisé leur talent ? A remplir les pochettes CD des mêmes bacs ? Mais après ? Pour moi, un acte graphique est un acte signifiant, chargé politiquement.
Par exemple en Inde, j'aurais pu refaire les clichés que l'on en connaît tous : un contraste des richesses. Mais on trouve les mêmes sacs en toile portés aussi bien par une personne sans ressources que par la fille du Maharadjah. Cet objet traverse les castes, les clivages sociaux indiens, et se charge du même coup d'une force symbolique très forte. J'ai donc voulu reprendre cet objet, ce qui m'a semblé plus pertinent qu'une simple production d'images. Je voulais en faire un accessoire de mode équivoque, qui resterait abordable mais qui porterait la marque de mon identité graphique, une sorte de valeur ajoutée. Je pense qu'un auteur se doit d'être critique et extrêmement rigoureux à l'égard de ce qu'il montre ou de son discours. Sinon, on tombe dans la technicité talentueuse qui pense se suffire à elle-même.
Je crois que le problème est lié au temps. Pour répondre à une commande, il y a en amont un travail de réflexion nécessaire. Qu'est-ce que je veux dire, quel regard puis-je apporter sur les choses ? Très souvent les graphistes se jettent sur l'ordinateur et produisent une maquette "excitante", réalisée de façon impulsive, mais sans aucun concept qui la sous-tend. Faire la pochette d'un disque est, certes, séduisant mais il ne faut pas oublier ce que l'image doit porter. Par exemple, Laurent Seroussi, dans son travail pour Mass Hysteria, un groupe de musique pop, raconte une histoire liée aux artistes. Le danger aurait été de verser dans une production d'images "esthético-boulimiques", c'est à dire des images vides de sens, uniquement basées sur les effets visuels et dont on peut faire une grosse consommation.

Vous avez exposé à la Fiac 2004, pouvez-vous nous décrire votre travail ?

Avec Geneviève Gauckler, nous avons été présentés par la galerie, proposant du design et de l'art contemporain. Pour le travail qui y a été exposé, je suis parti d'un pictogramme, celui qu'on trouve sur les portes des toilettes et qui est censé représenter l'homme de façon universelle. C'est, pour moi, un élément graphique de base, un signe, presque un caractère. J'ai décidé de découper dans un miroir sa silhouette agrandie à taille humaine (1 mètre 70 de hauteur).
L'œuvre n'existe qu'avec le reflet du spectateur mais celui-ci ne peut pas être présent dans son intégralité, le standard de cette forme fausse la projection que l'on a de soi. L'interactivité entre l'oeuvre et le spectateur est essentielle pour moi.

Quels sont les artistes qui vous influencent ?

Beaucoup de photographes m'ont influencé. Barbara Krueger aussi, en jouant avec l'impact des moyens de communications de masse, tient un contre-discours sur l'ordre patriarcal et ses représentations. Par ailleurs, Roman Cieslewicz a réussi un travail plastique extraordinaire avec son journal "Kamikaze". Il y a vingt-cinq ans, il avait compris avant tout le monde ce qui allait se passer aujourd'hui : "L'affiche va disparaître, il faut se rabattre sur les petits formats", et ce, bien avant l'arrivée des flyers et des labels de musique indépendants.

Propos recueillis par
Aurélien Bidaud
février 2005

Pascal Colrat

Miroir pictogramme "you & me", 2004 (FIAC 2004)

Pascal Colrat

Reperdu mon chien, 2004 (Art Grandeur Nature 2004)

Association française d'action artistique
Mouvements modernes, 68, Rue Jean Jacques Rousseau, 75001 Paris, France, tél : +33 (0)1 45 08 08 82
Director : Pierre Staudenmeyer  
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