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Entretien avec JCN
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© Favret-Manez

 
 
 
 
 
 
Favret-Manez réalisent depuis une dizaine d'années des séries photographiques conséquentes sur différentes villes du monde adoptant une méthodologie précise et distincte d'une série à l'autre. L'exposition Metroplex marque un tournant dans leur production.

JCN : Réunis sous le titre de Metroplex l'exposition que vous présentez à la Galerie Soardi présente un ensemble de photographies réalisées dans différentes villes. Comment s'est construite cette exposition ?

F/M : Nous sommes placés aujourd'hui dans un faisceau de réalités multiples (hypermobilité/communication continue/virtuel) et notre relation directe à l'espace s'est beaucoup affaiblie. Nous sommes continuellement dans et hors de ces différentes dimensions physiques et abstraites qui se chevauchent. Nous proposons une représentation de l'espace urbain qui combine ces différents niveaux de réalité. Nous avons travaillé par évidement : soustraire pour conserver uniquement des "images-marqueurs" dont la combinaison permet de construire une vision de ce qu'est l'espace urbain contemporain. Notre idée est également d'impulser à notre travail une énergie nouvelle. Nous voulons porter un regard différent sur nos séries précédentes pour les intégrer dans le corpus des photographies plus récentes et prendre en compte l'espace de la galerie par l'utilisation de formats de tirages divers afin de mieux intervenir sur la spatialité de l'exposition.


JCN : En choisissant de montrer des images de différentes villes vous accréditez l'idée d'une ville générique où le spécifique ne serait plus qu'un pittoresque, s'agit-il de la condition urbaine contemporaine ?

F/M : Comme si nous n'avions le choix qu'entre des images préexistantes ? D'un côté la ville générique issue de la vision des "global players" qui sillonnent le monde en fréquentant aux quatre coins du globe les mêmes aéroports et les mêmes quartiers chics et de l'autre un paysage urbain structuré, reconnaissable parce que vue en peinture et dans les dépliants touristiques ? Si nous photographions c'est justement pour pallier à cette pauvreté de la représentation. Ce qui nous intéresse c'est d'échapper aux caractéristiques locales au profit d'éléments constitutifs de l'urbanité, non pas pour accréditer l'idée que toutes les villes se ressemblent mais plutôt pour affirmer que l'urbain générique n'est aujourd'hui saisissable que par fragments. Martin Scorcese dit reconnaître la ville dans laquelle un film a été tourné à la hauteur de ses trottoirs…


JCN : Les scènes urbaines que vous présentez sont habitées comme par effraction. Sac poubelle, tente, scooter, paire de chaussures ou personnage sont autant de signes qui circulent librement dans l'image sans pour autant construire une hiérarchie, qu'est-ce qui détermine le cadrage ?

F/M : Le cadrage est toujours déterminé par le centre, jamais par les bords. C'est une façon de regarder et d'enregistrer ce que nous avons mis en place lors du long travail que nous avons fait sur Montreuil. Nous avions décidé d'utiliser alors une chambre 20 x 25 cm pour requalifier les morceaux de paysage que nous photographions. Nous voulons des photographies brutales, comme arrachées au continuum du réel ; le surplus d'informations et la sensualité donnés par le grand format nous permettent d'avoir des images pas très propres, avec toujours des scories sur les bords, des morceaux de voiture, etc. Il faut avoir une certaine confiance dans le pouvoir de l'image pour refuser l'idée de composition, c'est notre cas. Dans l'exposition Metroplex, il y a en plus beaucoup de photographies faites au moyen-format, sans pied, en passant, cadrées dans le mouvement. Une image représente toujours plus que la somme des éléments qui la composent, c'est une totalité. En ce sens la part active de notre intervention se situe surtout dans nos déambulations, nos dérives, qui, nous permettent de circonscrire l'espace dans lequel nous allons trouver la scène à photographier. Il y a donc toujours une part d'abandon au lieu et une part d'enquête active.


JCN : S'il y a une constante dans votre travail c'est peut-être celle d'une frange étroite qui fait que vos images se distinguent tout à la fois du style documentaire et de la photographie de reportage . Pouvez vous m'éclairer sur ce point ?

F/M : L'espace que tu décris se situe effectivement entre ces deux pôles et c'est sur cette frange que travaillent les photographes contemporains dont nous estimons le plus l'œuvre. Disons que pour aller vite, le style documentaire est pour nous une sorte d'évidence. Nous n'avons jamais envisagé la photographie sous l'aspect du formalisme et la seule réponse aux dérives formalistes a toujours été d'utiliser la photographie pour ses qualités descriptives d'enregistrement analogique. Le reportage nous intéresse pour le caractère intrusif de la démarche mais il ne s'agit jamais pour nous de raconter une histoire. Nous nous situons dans le synchronique et non dans le diachronique : ce que nous donnons à voir coexiste en des lieux différents mais au même instant.


JCN : Avez-vous eu l'impression de toucher aux limites de l'objectivité photographique et de vous en être détaché ?

F/M : L'objectivité photographique est une illusion au même titre qu'une photographie peut donner l'illusion du réel. Ce qui nous semble important c'est de comprendre dans quelle mesure l'illusion objective ou l'objectivité illusionniste sert notre projet. Nous n'essayons pas de nous détacher de l'objectivité mais au contraire d'orienter notre pratique vers une approche plus directe, des prises de vue plus instantanées qui nous permettent d'aborder la réalité et de la restituer sous des angles plus variés. La photographie est plus pour nous un instrument d'exploration et de mise en phase avec le réel qu'un moyen de réfléchir sur la part d'objectivité ou d'illusion induite par l'image qu'elle produit.
 
 
JCN
Paris, janvier 2008
 
 
Métroplex, Galerie Soardi, 8, rue Désiré Niel, 06000 Nice
tél : + 33 49 362 32 03, du 12 janvier au 1 mars 2008.

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