"Au centre" de l'image, expositions "Pour de vrai" ? au château de Tours
et Patrick Corillon au Musée et à l'École des Beaux-Arts de Tours

Patrick Corillon

Patrick Corillon

réel







photographie







image







fiction







vidéo







livre







description







signification







représentation







objet







apparences trompeuses







énigme du réel







véracité







objet-image



Dans le cadre de sa 3° édition, le festival "Images au Centre" propose cette année dix expositions où photographies, vidéos et installations se partagent selon le principe de cette manifestation annuelle, les cimaises des plus beaux lieux patrimoniaux de la région de Touraine (Chambord, Azay le Rideau, Bourges, Chinon, Orléans, Cheverny…), et bien sûr Tours, son château, son musée, son école d'Art.
Si le principe habituel de la thématique n'a pas été au centre de cet accrochage divers et varié, il est alors peut-être dû au hasard, le fait de percevoir dans l'exposition la moins médiatisée (celle de Patrick Corillon à l'École d'Art, puis au Château de Tours) un point de départ réflexif et théorique de ce que l'exposition "Pour de vrai"? au Château de Tours, se propose d'interroger, à savoir, ce que "dit" ou non la photographie du réel.

En effet, c'est à l'école d'Art que devrait commencer la visite. C'est ici, grâce aux œuvres de Patrick Corillon que l'amateur de photographie peut, sans jamais en voir aucune, mesurer toute la distance que l'image entretient avec ce qu'elle est censée représenter, percevoir qu'une photographie n'est pas toujours une image. Ainsi, ces magnifiques Copies Timsi, plaques de cuivre d'après le papier photographique original qui lui, a représenté un instant précis. Alors la fiction s'immisce grâce à la poésie des légendes "une danse autour du feu", "un groupe de lions à l'heure de la science…" et rien de la restitution d'un réel photographié ne vient perturber l'imaginaire du spectateur mis au travail. Juste une génération de copies où l'image est ensevelie par le support même qui l'a accueillie. L'image est toujours là mais à jamais disparue, hors de la vue. Il en est de même devant Le voile de Véronique - célèbre métaphore de l'image photographique comme image non faite par la main de l'homme (achéïropïoète) mais simple empreinte du visage du Christ sur un linge blanc - qui présente un rideau bleu censé cacher l'image insaisissable, in-visible, impossible à voir du portrait de Véronique Coulanges, muse de l'écrivain Oskar Serti, lui-même sorti directement de la fiction inventée par Patrick Corillon. C'est dans l'attente du tombé du voile que s'épuise le capital d'heures passé à se souvenir de la bien-aimée, c'est aussi dans ce temps-là où le rêve, le souvenir et le fantasme prennent place que l'image mentale non réalisée se substitue à la vanité de la représentation.

Patrick Corillon

Patrick Corillon

Ainsi, la question du réel et de sa photographie est-elle magnifiquement questionnée par cette autre installation que sont ces chariots poussés par le visiteur et qui égrainent comme un moulin de prières, des fiches imprimées racontant des histoires de corps At the Hotel ou d'images de disparition, Au cimetière, In Mémoriaux. Et comme pour mieux nous convaincre que la photographie est aussi bien fiction que construction, instant capté que temps enfoui à jamais, Patrick Corillon nous laisse devant cette photographie d'écran blanc prise avec un appareil dont le temps de pose correspond à la durée d'un film projeté. Sugimoto ne fera que sublimer esthétiquement ce que Patrick Corillon a décliné bien avant dans le silence de son œuvre. Silence et discrétion que nous retrouvons dans la thématique évidente – une fois quittée la curiosité ludique d'un film d'animation où la souris de l'ordinateur joue le rôle de l'acteur écrivain ou dessinateur- de son film en 3D Voyage de Azerty, conçu autour du rêve et de la mémoire d'un enfant dont la maison idéale est engloutie par la crue de la Loire. Mais c'est alors à un hymne à l'amour du livre que nous convie l'artiste qui a enregistré le bruit de pages froissées comme pour nous rappeler que dans "l'espace-mémoire" des mots et des phrases de l'ordinateur demeure le seul voyage que l'homme puisse faire à l'intérieur de lui-même, celui de la lecture et de son temps d'immersion. Cette traversée du temps, Patrick Corillon en continue d'ailleurs l'aventure fictive dans les salles du Musée des Beaux-Arts où il a confié au docteur Langston, expert en peinture, le soin d'évaluer "les risques de dégradations susceptibles de mettre en danger les œuvres significatives". Au risque de voir des dommages là où le seul œil scrutateur de l'expert fatigué pouvait en déceler l'outrage, l'artiste confronte le visiteur à l'impossible description d'une œuvre tant la question du sensible relève de l'ineffable et rappelle le manque nécessaire entre la description et la signification, entre la représentation et la forme de celle-ci.

Patrick Corillon

Patrick Corillon

C'est à ce dilemme là que l'exposition "Pour de vrai"?, organisée au Château de Tours par Aline Pujo et Pauline de Laboulaye tente de nous sensibiliser. Elles y sont parfaitement arrivées tant les œuvres choisies et les thèmes déclinés nous confortent dans ce qui échappe à l'œil et se révèle par la photographie. Ainsi, des "apparences trompeuses" "aux lieux fictifs", nous ne pouvons qu'hésiter entre les vrais-faux portraits de mannequins de Valérie Belin, les nuages cotonneux de Vik Muniz, mais aussi retrouver dans les sous-vêtements en peau numérique de Nicole Tran Ba Vang le trouble des épidermes des bronzes de Kiki Smith. Mais là où les vidéos de David Claerbout désamorcent notre perception en projetant sur le même écran une photographie et un film, Bernard Voïta retrouve en une seule photographie noir et blanc toute la puissance poétique du réel métaphorisé par la seule saisie photographique. Il en est de même des maquettes de Thomas Demand ou de Philippe De Gobert comme espaces construits propices à la projection d'un souvenir, d'une expérience plus qu'à un simple constat du réel. "L'énigme du réel" est alors magnifiée par les splendides sérigraphies sur plexiglas de Jean-Marc Bustamante jusqu'à basculer dans les constructions en apesanteur de Philippe Ramette. Il ne s'agit plus alors d'instant décisif mais "d'instants inédits" que les deux commissaires ont perçu dans les photographies de nuit à l'infrarouge de Thomas Ruff ou les photographies d'écran de télévision de Michal Rovner, engagé à saisir la silhouette-signe plus que l'homme de chair dans l'entraînement militaire que les soldats effectuent dans le désert d'Irak. D'autres artistes participent de ces thématiques fort justement choisies pour tenter encore une fois de plus de nous rappeler que si la photographie joue avec le réel, c'est qu'elle ne peut s'en passer mais que l'artiste est là pour en interroger la véracité jusqu'à faire de la photographie non plus une image mais un objet à part entière. Là peut-être réside encore la confusion larvée d'un propos "pour de vrai" qui au-delà de sa pertinence en regard de la photographie ouvre à la critique le regard de chacun de nous. Question que Patrick Corillon a su déjà nous inviter à penser dans ses œuvres dont aucune n'utilise la photographie. Peut-être parce que l'objet et le texte font images là où la photographie n'est parfois qu'image.

Michelle Debat
Paris, octobre 2003

Nicole Tran Ba Vang

Nicole Tran Ba Vang


Patrick Corillon, Ecole d'Art de Tours et Musée des Beaux-Arts de Tours,
18 place François Sicard, Tours, tél : 02 47 05 68 73, jusqu'au 23 novembre
"Pour de vrai"?, Château de Tours, 25 av André Malraux, Tours,
tél : 02 47 70 88 46, jusqu'au 23 novembre
Catalogue : Images au Centre 2003, Photographie, vidéo et patrimoine,
Edition : Centre des monuments nationaux/Monum, édition du patrimoine, Paris, 2003

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