Cette nouvelle rétrospective Hans Hartung aux musées des beaux-arts d'Angers confronte trois points de vue : celui de Patrick Le Nouène directeur du musée, de Vicente Todoli directeur de la Tate Modern de Londres, et d'Anne Pontégnie directrice du prochain centre d'art contemporain de Bruxelles, sur celui qu'on n'hésite pas à considérer comme un des pionniers de l'abstraction. Une exposition où sont présentées également les aquarelles peintes par Hartung à Dresde au début des années vingt, mettant au jour l'héritage expressionniste du peintre allemand.
action painting peinture gestuelle abstraction lyrique |
Sans titre, 1921, Aquarelle sur papier
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes
Né à Leipzig, Hans Hartung (1904-1989) aurait trouvé, à le lire et à l'entendre, tout naturellement sa voie dans la peinture abstraite. Une fulgurance qu'il raconte avec une certaine délectation, donnant son abandon du figuratif pour une chose des plus simple, sachant la joie qu'il prit très jeune à dessiner non des sujets issus du monde qui l'entourait, mais de la libre expression des figures sur la page vierge. Les tâches d'encre et les zébrures inspirées de son admiration pour les orages et plus particulièrement pour les zigs zags des éclairs qui maculaient ses cahiers d'écolier firent naître en outre un goût pour le dessin rapidement esquissé.
Hartung dont on n'hésite pas à faire le précurseur de l'action painting ou peinture gestuelle aimait donc à parfaire sa légende. Kandinsky dont il suivit une des conférences à Leipzig arrive tout juste à lui inspirer ce jugement irrité : "Je n'avais aucune envie de peindre des serpentins pour figurer l'éternité, le Bauhaus ne m'attirait pas". Ce n'est donc pas un hasard si l'artiste va chercher ailleurs que dans l'abstraction géométrique ses maîtres. Hartung qui raconte avoir trouvé l'intuition abstraite dans le pli d'une robe de Rembrandt, rejette cette vision trop dogmatique de la construction et part pour Paris qui devenait alors l'endroit où apprendre auprès des cubistes la peinture moderne. Sans titre, 1922, Aquarelle sur papier
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes
Dès les années trente, avec l'autonomie de la couleur et le graphisme noir comme premier point d'appui pour les années à venir, il est déjà un informel, explorant la ligne et la tache en réduisant à sa plus simple expression le point d'animation de la composition. La guerre le voit s'engager dans la légion étrangère et combattre le nazisme auprès des troupes alliées, il sera blessé gravement, ajouté à cela des problèmes personnels, il écope de près de cinq ans d'inactivité artistique. Il retrouve Paris après guerre, et obtient la nationalité française. "Cherchant à ne plus rien figurer", ses toiles architecturées se caractérisent alors par ces poutres qui barrent le tableau verticalement, il développe une écriture picturale abstraite que les critiques d'art à partir des années cinquante nomme abstraction lyrique.
Une peinture qui ne montre plus la réalité de manière explicite mais s'attache à traduire plutôt les mouvements et ébranlements intérieurs grâce à une instantanéité du geste pictural, à tout le moins qui donne l'impression de cette spontanéité. Il se trouve propulsé ainsi chef de file d'un mouvement qu'il n'a aucunement contribué à faire émerger, si ce n'est par sa propre ligne directrice assidue. En 1955, la première Dokumenta de Cassel expose et impose ses épigones venus du monde entier Pollock, de Kooning, Kline, De Kooning… Acrylique sur toile, 1976
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes
Élan pictural
Cette œuvre, d'aucuns diront pulsionnelle, est cependant ordonnée savamment par des titres et l'apparent chaos travaillé par une productivité constante. "Pour un peintre, la fertilité dans la quantité me paraît aussi importante que la qualité." écrit-il. La rapidité du résultat n'empêche pas le systématisme, et pour garder le contrôle de sa production Hartung invente un système codé pour titrer ses toiles : une lettre pour la technique, puis l'année et un code. Par ailleurs, ce peintre de grand format aime expérimenter des techniques nouvelles pour explorer à fond les possibilités offertes par l'espace de la toile et par le trait. Si la peinture devait offrir la sensation d'un grand coup frappé sur la toile alors il fallait que cela soit fait aidé par des instruments tangibles : "Agir sur la toile, peindre enfin, me semble des activités humaines aussi immédiates, spontanées et simples que peuvent l'être le chant, la danse, ou le jeu d'un animal, qui court, piaffe ou s'ébroue." Pastel et acrylique sur carton, 1973
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes
De sorte que dès les années soixante, il gratte, griffe sa peinture fraîche et bricole des pinceaux démultipliés sur un seul manche, ou prolongés de bouts en mousse. Il se munit également de pistolets pulvérisateurs, une manière d'introduire une distance supplémentaire avec son support en adoucissant la géométrie parfois sévère de ses tableaux par des explosions pulvérulentes et des entrelacements de lignes laissés à la responsabilité du hasard.
Mis en exergue dans l'exposition par Anne Pontégnie, l'année 1973 marque un tournant et présente plusieurs aspects intéressants dans la carrière du peintre. Hartung, artiste désormais consacré de 70 ans, emménage dans sa maison d'Antibes, ensemble de cubes blancs aux formes épurées, dessiné et voulu par le peintre et sa femme l'artiste suédoise Anna-Eva Bergman qui abritera plus tard sa fondation. En homme d'atelier, voire de laboratoire — des milliers d'esquisses sur papier ont préparé ses tableaux — Hartung a toujours montré sa prédilection et son intérêt pour l'architecture ; d'un autre côté 1973 est une année moins de grande production que de renouvellement intellectuel. Dans ses peintures au sépia, il ne tranche plus l'espace de la toile en deux pans mais l'envahit littéralement pour se départir du centre de la toile. Ce décadrage des traits sur le plan dessine déjà les contours de ce qui à la fin de sa vie sera sa peinture : un effacement du signe lui-même comme une répétition générale de sa propre mort.
Acrylique sur carton, 1973
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes Acrylique sur toile, 1982
Collection Fondation Hans Hartung-Eva Bergmann, Antibes |
Hans Hartung au musée des Beaux-Arts d'Angers, du 11 février au 28 mai 2006
Tel : +33 (0)2 41 05 38 38, www.fondationhartungbergman.fr
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