Exposition Marie José Burki
Pour sa première exposition monographique, le MAC's a paradoxalement choisi une vidéaste dont le travail pouvait difficilement tirer parti des volumes et de la lumière zénithale conçus spécialement pour l'art contemporain. Il a donc fallu obscurcir les salles et trouver un mode de présentation qui évite la monotonie du "train fantôme" selon l'expression de l'artiste. Comme le dit Laurent Busine, si le lieu a "résisté à cette violence" c'est aussi que le travail de Marie José Burki a su relever le défi.
Dans "Le beau corps de la mémoire", l'artiste présentait déjà deux pièces : une série de cartes de visite déclinant une identité négative : "je ne suis pas comme …" et une installation vidéo mêlant images fixes et mobiles tirées de films réalisées à New York. Captés à l'aide d'une caméra scientifique enregistrant 300 images à la seconde pour être transférés ensuite sur une vidéo à 25 images secondes, les détails de scènes de rue (jeux de dominos, petite fille sautant à la corde…) se décomposaient d'une façon si précise qu'ils révélaient des détails invisibles à l'œil nu. On retrouve dans l'exposition actuelle la même façon, réduite au minimum d'effet, d'extraire de la poésie, tendre ou cruelle, des interstices du quotidien surpris dans une autre durée.
Certaines vidéos de la première salle intitulée "A dog in my mind", la plus musicale par son rythme syncopé d'images et de sons, utilisent le même procédé. Projetés en grand sur un mur tapissé de journaux, des objets tombent lentement avec un bruit d'impact inadéquat. Sur un moniteur posé à terre, des mains applaudissent au ralenti laissant voir la trace des doigts sur la paume. En face, un homme cherche sans cesse quelque chose dans ses poches tandis que sur le mur une perruche de cirque marche sur un fil au son énervant d'enfants applaudissant un spectacle.
Cette artiste suisse installée en Belgique (qu'on peut voir régulièrement à Paris à la galerie Nelson), a puisé dans ses travaux des dix dernières années de quoi construire un parcours visuel et thématique : du politique à l'intime, de la disjonction à la contemplation. Ses courts-métrages sont présentés sur des supports de formats variés ponctués de quelques phrases en néon et très peu d'images fixes. Les oeuvres parviennent à créer leur espace propre par la vibration lumineuse, le jeu du double face qui permet de parcourir l'exposition à l'envers, le rapport au sol, au plafond et aux angles. Pas de spectaculaire ni de narration, tout est calculé au plus juste pour assurer une cohérence avec le contenu et permettre au spectateur de rester conscient de son corps dans l'espace (quitte à projeter sa silhouette sur l'écran) à l'opposé de l'absorption cinématographique.
Le sous-titre de l'exposition : "Mais que pouvait bien raconter Saint François aux oiseaux" désigne une projection vidéo sonore datée de 2000 où la caméra tourne lentement autour d'une table où des convives-acteurs partagent un repas. Les gros plans de visages et de nourriture s'accompagnent de bribes de conversations banales parsemées de quelques phrases fournies par le scénario. A côté, "Exposure : Dawn (I-III)" (1997) déploie sur des pans de murs différents trois plans fixes de prostituées d'âges différents (sur le modèle classique des trois âges de la vie). En attendant le client derrière leur vitrine, elles finissent par oublier qu'elles sont regardées et se livrent à des gestes intimes qui traduisent leur angoisse et leur singularité. Marie José Burki préfère mettre en situation plutôt que mettre en scène, "laisser aller le monde" dans sa trivialité et l'observer à la loupe avec humour et lucidité.
Pauline de Laboulaye
Paris, décembre 2003