Bernard Gigounon
Hommages en forme de poire
 
 
Produire, composer une forme musicale en la réduisant à des structures aussi élémentaires que possible, cette parcimonie est à la source des harmonies sonores de Debussy et particulièrement de ses préludes. Un principe d'économie gage d'une ligne mélodique moins descriptive que suggestive. Bernard Gigounon a sans aucun doute été sensible à ce resserrage du trait quant à l'exprimer en images, ce que suggère le dialogue imaginaire en forme de pied de nez entre l'artiste et le musicien et exergue à la vidéo, il semble que le Prélude numéro 3 dit "Vent dans la plaine" à une force d'expression qui a priori se suffit à lui-même.
Debussy
cinéaste
Renoir
l'artiste
a de
l'oreille
et ne
travaille
pas qu'avec
ses yeux

Bernard Gigounon
 
 
Le plasticien pour sa nouvelle exposition s'est donc risqué à l'hommage simultané à Debussy et au cinéaste Renoir. Il restait donc à faire naître la spécificité d'un travail à partir de trames connues voire préétablies. Debussy d'abord, qui compose la bande-son d'une première vidéo qui doit peut-être moins à l'instantanéité d'une image qu'au langage graphique du trait puisque Bernard Gigounon s'est amusé à décomposer les sons fortement timbrés du musicien en onomatopées de bandes dessinées. En gros caractère rouge un grand "Boum", de guillerets "Tam tam" et autres "doum doum" viennent ainsi rompre avec l'atmosphère volontiers paumadé du concert de classique jusqu'à faire naître une récréation improbable où chacun chantonne à la façon d'une ritournelle swing.

Ces motifs éloignent le Prélude d'un quelconque épanchement de l'âme à la Chopin, et le ramènent à ce qu'il est au fond : une écriture qui semble improvisée plus proche de la forme jazz que de la sonate.

Ce terrain de jeu, l'écran réussit à le faire sien. Ce qui achève d'en rendre compte est le dispositif qui confronte ce premier travail à ce qui vient clore la fin du morceau : l'extrait d'un film de Jean Renoir. Un clin d'œil au maître plutôt en creux puisque les images d'Une partie de campagne ont été remontées en un long travelling arrière et la bande-son remplacée par un tonnerre d'applaudissements. On voit ainsi un paysage de rivière sur lequel tombe une pluie drue sauf que ce sont les claquements de mains d'une standing ovation qui sonorisent la scène. À l'origine de cette vidéo une installation in situ de Bernard Gigounon lors d'un concert de Martha Argérich à l'Académie royale de Musique où le public applaudissait le concert et via un écran se découvrait au même moment en train de le faire.
 
 
Bernard Gigounon
 
 
Une mise en abîme que l'on retrouve au cœur de cette nouvelle installation qui fait se répondre et le prélude et les applaudissements, sachant qu'une autre chronologie est possible. En prenant le train en marche par exemple, puisque la galerie rend possible les entrées et les sorties intempestives des visiteurs solitaires à la différence d'une salle de concert où règne une attention continue. Ce dyptique autorise ce nomadisme : l'artiste a de l'oreille et ne travaille pas qu'avec ses yeux. Dès lors, la pluie de bravos apparaît aussi comme une prestation musicale selon un tempo voulu par la météorologie. Et Gigounon fait siennes les intentions musicales chères à Debussy qui suggère les moindres frémissements des éléments faisant que le vent souffle sur les blés, la neige crisse sous les pas ou que la lune descende.

Devant la sur-signification des images, il se pourrait que la musique fasse tomber l'excès de discours sur l'art, il suffit alors de laisser aller la vibration sonore et tout devient clair. Pour qui parcoure le travail déjà bien avancé de Bernard Gigounon, ce mode a minima a son importance. De son travail de sculpteur à son passage à la vidéo, il n'a eu de cesse en fin de compte d'appliquer des méthodes simples, quitte à redécouvrir à travers la trieuse d'une photocopieuse les 25 images secondes de l'image mouvement du cinéma (Interlude), une vidéo que l'on a pu voir ou revoir au festival Argos. Gigounon pratique un art pauvre qui se coltine à un monde lui-même souvent dérisoire. Non sans humour, son travail plastique tente finalement moins de contraindre la réalité qu'à la poétiser sans lui résister, c'est déjà çà.
Raya Baudinet
Bruxelles, novembre 2005
 
Bernard Gigounon

Bernard Gigounon, Galerie Paolo Boselli, Rue des Eperonniers 59, 1000 Bruxelles,
du 13 octobre au 23 décembre 2005
paoloboselli.biz
Voir aussi "Falling A"
Installation nomade présentée à Bruxelles paoloboselli.biz/artists/bernardgigounon/

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