Derrière les activités intellectuelles et mercantiles, les plaisirs mondains et les jalousies du métier, qui caractérisent le monde de l'art, se trouvent des individus isolés pour qui l'art constitue une quête permanente de connaissance et de clarté spirituelle, à la fois par la découverte et par le scepticisme.
Ils se distinguent par leur foi inébranlable dans l'art en même temps que par leur courage de préférer l'incertain aux règles mêmes de l'art.
Or, le cadre dans lequel cette pensée spinozienne s'imposa fut juste une galerie. J'y ai pu découvrir, en octobre 2005, le travail de Sébastien Delire.
quête permanente de connaissance et de clarté spirituelle |
Alain Bornain, Blackboard
Sans signature esthétique générale, l'œuvre de Sébastien Delire se présente sous des formes différentes. Elle est l'expression in extremis d'une interrogation sur la place de l'individu, qui se trouve asujetti à un monde médiatique et voleur insatiable d'identités. En mettant en avant les notions du nom et du néant, de la muse et de la punition, le propos de Delire semble s'inscrire, malgré son actualité, dans notre tradition judéo-chrétienne. En voici quelques exemples : un mannequin mou à l'effigie de l'artiste qui attend les coups de poing des spectateurs ; le moulage d'une main de femme qui élégamment nous tend une lettre écrite par la même main ; le texte "un jour, je serai une star" sauvagement tagué sur un grand miroir, un jugement superposé à notre image ; six photos de parties de corps féminins percés des lettres du nom de l'artiste ; un tondo au texte "be a tourist in your head" composé de fragments d'affiches de pub, comme l'aurait fait un corbeau… Ce travail sensuel est aussi "politique", car l'absence volontaire d'une "image de marque artistique" doit être entendue comme une révolte et, peut-être, comme une "utopie", dans le sens deleuzien du terme.
Chacune à leur façon, les œuvres constituaient un ensemble qui donnait à voir une réalité nouvelle. Au-delà du caractère neutre de l'espace, mon enquête se tournait vers le mobile de l'exposition. Sébastien Delire
La galerie ne s'avère ni une galerie dans le sens strict du terme ni un laboratoire, mais un "département d'art contemporain". Ainsi définit Isy Gabriel Brachot son espace dans la basse-ville populaire et branchée de Bruxelles. A plusieurs kilomètres de la maison mère, dans la haute-ville résidentielle, le jeune galeriste se démarque par un choix fort personnel pour des artistes de sa propre génération. Ce Gabriel, côté Rue de Flandre, n'est autre que le quatrième Isy de la dynastie Brachot, côté Avenue Louise.
L'ambiguité de cette formule n'est qu'apparente et relève de la volonté de donner nouvelle vie à cette maison, habituellement associée avec un éventail d'artistes de renom comme Magritte, Delvaux, Broodthaers ou Panamarenko. A l'instar de sa mère Christine Duchiron-Brachot, qui introduisit des artistes avant-garde comme, par exemple, Gina Pane*, Isy Gabriel (26) développe sa propre position à l'égard de la culture du "nouveau" qui domine l'art contemporain. Par ce souffle personnel, il prouve que la maison, créée en 1915 par son arrière-grandpère, reste fondée sur rien d'autre que la passion de l'art, c'est-à-dire : avant que les œuvres ne deviennent "placement" ou "décoration". Christian Denzler
Le monde artistique dans cette capitale européenne à la fois cosmopolite et provinciale n'est pas exempte de telles surprises. On songe, par exemple, à l'ancienne galerie de Marie-Puck Broodthaers, dans la filière de l'entourage de feu son père dans lequel elle a grandi. Après une longue absence, elle ouvrira en janvier prochain un nouvel espace. A Bruxelles, la notion de continuité est présente au même titre que celle de la rupture du passé.
Isy Gabriel Brachot propose des artistes très divers et à peine connus jusqu'à présent, afin d'en créer un nouveau marché, tout comme l'ont fait ses aïeuls pour des artistes de leurs générations successives. Dans l'ensemble de son choix -réduit au nombre maximum de huit artistes qu'il compte exposer chacun une fois par an-, on décèle, en filigrane, une ambition poétique spirituelle à travers un goût pour la matière et la construction de l'image. Loin d'être une "ligne" ou un "style", cet esprit me semble proche de celui déjà présent dans la maison Brachot. Présentées dans une exposition permanente au premier étage du nouvel Espace Gabriel Brachot au 74 Avenue Louise, qui va ouvrir fin décembre prochain, des œuvres de ces jeunes artistes rejoindront celles des générations précédentes, en exposition au deuxième étage, lequel sera réservé aux collectionneurs. A la même adresse, la programmation sera articulée autour des événements tels des débats, des présentations de livres, etc. Ainsi la galerie de Gabriel Brachot à la rue de Flandre relève-t-elle d'une démarche bien stratégique, dont les artistes concernés et les publics ne peuvent que profiter. Cependant les choix artistiques de Gabriel Brachot ne s'expliquent ni par des délibérations matérielles ni par un excès d'originalité, modestie oblige. Ce qu'il sait, c'est qu'une bonne œuvre d'art, comme toute véritable conviction, peut changer le regard et que le pouvoir de changer est la clef de tout succès.
Cathy Coëz
Berend Hoekstra
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Galerie Gabriel Brachot, 59 rue de Flandre, 1000 Bruxelles www.galeriegabrielbrachot.be
Prochaine exposition : Alain Bornain, du 18/11 au 10/12/2005
*) Voir l'entretien au sujet de cette rencontre publié dans Flux News (pp. 25-26), n° 38, juillet-septembre 2005, Liège.
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