François Righi pose la question de la subjectivité, pas comme risque négatif, mais comme état de fait
|
François Righi est de ces artistes soucieux. Ce n'est pas une inquiétude liée à la fragilité des choses et à leur constante remise en cause. Non, ici, c'est de souci au sens d'attention, de rigueur dont il est question. L'installation qu'il présente à Bourges - qui restitue un peu des deux facettes du personnage, éditeur de livres et artiste - en est une démonstration évidente. La précision du dispositif a été menée à son terme dans cet espace avec lequel il travaille et qui le "travaille" depuis 2000.
L'Hôtel Lallemant, édifice renaissant édifié entre 1495 et 1500, abrite le Musée des Arts Décoratifs. Début 2000, Righi le visite avec le poète Robert Marteau. De là naît l'idée d'un livre à quatre mains. Leur intérêt se porte sur l'oratoire ou cabinet, et que Righi préfère nommé studiolo en hommage aux artisans du Cinquecento. Petite pièce en longueur destinée au recueillement, elle a pour particularité un plafond orné de trente devises muettes placées dans des caissons. Chacune porte soit un putto muni d'un objet, soit des figures énigmatiques. A la pierre sculptée nul texte n'est associé, rendant aujourd'hui la lecture mystérieuse. Etrangeté qui a attisé la curiosité de Robert Marteau, auteur de 28 apophtegmes, des mots inventés pour ces "corps" silencieux.
Le travail procède d'étapes, chacune essentielle à celle qui suit, dans une sorte de dépendance d'extrapolation. A l'été 2002, Righi reproduit les devises à l'aide d'un miroir monté sur rotule. Equipé d'un outil qui rappelle les instruments scientifiques redécouverts et perfectionnés à partir de la Renaissance, il dessine les figures avant de les graver sur acétate. A partir de ce "modèle", il créé un ensemble d'autres figures, géométriques celles-ci.
De ces mots et ces images, François Righi passe au livre. Les apophtegmes de Marteau côtoient douze gravures à l'eau forte. Les formes géométriques ont pris la place des devises. Seule une gravure d'un putto est présente au frontispice. Une planche sérigraphiée rappelle les images originales, superposées à leur interprétation géométrique. Le miroir tripode devient l'acteur central du livre. Il est le géniteur d'une vision à l'envers, d'un retournement de la réalité. François Righi joue son jeu et imprime l'ensemble des pages en recto verso sur le papier japon. Le titre proposé par Robert Marteau, "Le miroir volatil", dit bien la notion centrale de l'œuvre : le renversement.
Le mot volaverunt, emprunté à une gravure de Goya, dit le sentiment de la perte, ce qui n'est plus, a disparu pour ne pas revenir. C'est l'impossible lecture de ce qui est donné à voir et à penser. Les dix lettres assemblées de façon pyramidale évoquent le tétragramme pythagoricien, référence aux caissons alignés sur dix rangs. Une mise en abîme qui s'appuie sur le palimpseste des cultures antique, médiévale, renaissante et moderne.
L'installation n'était possible que par l'achèvement du livre. Mais elle n'en est pas la prolongation. Righi parle d'une "cristallisation". Autrement dit, une dimension qui se ressaisit du Lieu comme un autre espace de mise en forme après l'aplat du livre.
L'oratoire est investi des "objets" de cette quête. Trois tablettes-vitrines présentent douze exemplaires de l'ouvrage ouverts sur chaque double page et des plaques gravées. La planche sérigraphiée est accrochée au mur. L'activation du visiteur démarre. Sur le sol est posé le miroir, invitation à faire l'expérience du regard inversé. Il convoque une des phrases du poète : "Le monde est à lire en miroir".
Et puisque le miroir du monde, ce sont nos yeux qui toujours le déforment, l'interprètent, l'ajustent à notre vision subjective, l'artiste propose une seconde étape, de l'ordre de la chimère. A l'étage au dessus, une petite pièce reprend le plan exact du plafond de l'oratoire. Là sont suspendus "les corps Lallemant", seize volumes polyédriques construits par leurs arêtes. Volumes vides flottant dans l'espace, chacun est à la dimension et dans l'orientation de l'image sculptée au dessous.
A la différence de l'oratoire, cet espace est clos par une paroi de verre. Seul le regard - encore lui - peut s'attarder sur cette tridimensionnalité, mémoire des figures géométriques de l'étage inférieur. Le dessein de Righi est maintenant complet, de son cheminement à notre interrogation. Les volumes fonctionnent comme la synthèse du cycle entrepris. Happé par le miroir, le plafond a livré ses images. Les formes géométriques apposées se sont envolées près de la matrice sculptée du XVIe siècle. Dans une sorte de sustentation silencieuse, elles indiquent un revers, une autre proposition de lecture.
Car "L'univers à l'aune Lallemant" renvoie à l'entendement des choses. Les sociétés humaines développent sens et contresens alternativement. Le jeu des codes, des systèmes de représentation ne sont qu'un niveau de compréhension. S'ils induisent une transcription particulière, cette dernière évolue au gré de découvertes fortuites ou opportunes. François Righi nous incite à observer ces systèmes, plafond orné comme réalité quotidienne, non pas avec un autre regard, mais un regard conscient. Conscient de la relativité des savoirs, des opinions et de la distance que l'on met aux choses. Une attention qui permettrait de s'interroger sur le pendant du réel, sa face cachée, son portrait inversé. L'image de la réalité n'est pas la réalité. C'est une vision indubitablement fragmentaire, partielle, voire partiale.
François Righi pose la question de la subjectivité, pas comme risque négatif, mais comme état de fait. Se référant souvent à la culture ancienne et moderne, il sait que le temps n'est plus aux certitudes plaquées sur des situations diverses. Qu'il est impératif aujourd'hui, sous peine de ne pas comprendre ce monde, de renvoyer sa lecture à un examen mesuré, critique, loin des convictions trop vite affirmées. Sur la vitre qui ferme la pièce où se suivent les polyèdres immobiles est inscrite une phrase de Robert Marteau, note ultime en forme de méditation : "A tort chacun mesure l'univers à son aune".
Greg Larsson Bourges, janvier 2005
|