L'artiste nous met face à une histoire, un récit qui s'ouvre sur un autre
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"Je suis à la recherche de lieux domestiques (murs, plafonds, planches…), afin de réaliser une œuvre imprimée au tampon encreur. En échange de mon travail, vous me cuisinez votre repas préféré"…
L'exposition de l'artiste québécois François Morelli, actuellement à Lavitrine, naît à la suite d'une résidence d'environ 5 mois, de janvier à avril 2004, à la Cité Internationale des Arts de Paris, puis à l'Ecole Nationale Supérieure d'Art de Limoges d'avril à juin 2004.
Pendant son séjour, ce "curieux voyageur", comme le définit Stuart Horodner, "une valise d'images" à la main, François Morelli pénètre dans la demeure d'hôtes et hôtesses consentants pour tatouer leur intimité domestique en échange du plat favori de ses convives.
Il s'agit d'un véritable rituel dans lequel l'art se réconcilie à la vie quotidienne.
À la base de cette intervention in situ il y a, bien sûr, l'idée du troc, d'un système économique primitif excluant l'emploi de la monnaie, un échange direct d'un bien contre un autre visant à questionner l'objet d'art, à désacraliser l'œuvre en tant que telle.
Mais l'artiste poursuit aussi un autre type d'échange, beaucoup plus intime, une complicité entre son univers et l'âme du foyer : ses fresques-tampons trouvent leur place dans l'espace de la maison, l'habitent sans l'envahir, dialoguent avec elle.
Un ensemble de photographies, qui documentent le périple de l'artiste dans les différentes demeures qui ont accueilli son œuvre, sont présentées à la Lavitrine, accompagnées par une série de dessins préparatoires ainsi qu'un diaporama et une vidéo, où Morelli nous dévoile son méticuleux processus de création.
Un service d'assiettes en porcelaine dans lesquelles ses tampons, faisant office d'estampilles, sont symboliquement détournés assumant un statut de décor, envahissent le sol de la galerie, sorte de créature tentaculaire (un clin d'œil aux racines, thème cher à l'artiste ?).
D'autres assiettes, cette fois en carton, ont servi à Morelli, lors du vernissage, pour offrir à son tour un repas, cette fois "en images", à ses convives qui ont pu emporter avec eux l'assiette tamponnée.
Les murs de la galerie sont investis par un énigmatique dessin mural : des vases (de Pandore ?) en bleu et noir, les couleurs des porcelaines de Limoges.
Les compositions de Morelli nous rappellent étrangement les grotesques (on pense, bien sûr, à l'exposition "Au-dessous du volcan", à la Maison du parc, Cébazat). Ces décorations qui apparaissaient comme pariétales car émergeaient, au XVIe siècle, des fouilles des villas impériales, charmaient les artistes, qui, pendant la Renaissance, s'appropriaient ces motifs enveloppant les palais italiens de formes hybrides, étranges, parfois obscènes. Aussi décoratifs et envoûtants que ces grotesques, les dessins muraux de Morelli sont le résultat d'une superposition, une agglutination d'images-tampons qu'il extrait des contextes les plus divers (l'histoire sociale, les sciences naturelles, l'histoire de l'art ou encore des reproductions de ses propres sculptures…) pour les combiner, sorte de formule alchimique ou rite magique, en compositions modulaires qui se métamorphosent en personnages hiératiques, animaux rampants ou tout simplement motifs décoratifs (guirlandes, moulures, frises, mosaïques…).
Artiste polymorphe, François Morelli, a métissé, dans sa pratique, les disciplines les plus diverses (du dessin à la sculpture, de l'installation à la performance), dans un souci permanent de saisir la complexité de notre époque : "La possibilité de croiser les références et l'information (…) ont de plusieurs façons caractérisé mon processus artistique et ma façon de négocier l'art et la vie. Je n'ai jamais approché l'art avec l'attitude propre aux disciplines linéaires. J'ai choisi de travailler des formes et des médias très différents, me fiant à la cohérence conceptuelle de modèles de travail personnels enracinés dans la nécessité". L'emploi du tampon encreur, que l'artiste utilise depuis plusieurs années et sur des supports les plus variés (draps, objets d'usage quotidien, vêtements, parois ou papier…), résume bien cette volonté d'hybridation entre l'art et la vie.
Si Gaston Saint-Pierre (texte de présentation de l'artiste pour le site de la galerie Christiane Chassay) fait justement référence aux valeurs de mécanisation, authentification et idéalisation liés aussi bien au tampon encreur qu'aux questionnements de l'art et l'histoire du XXe siècle, on pourrait aussi se pencher du côté, moins officiel et plus ludique, de la permutation d'objet du quotidien en tampons dans les jeux d'enfants ou dans l'art culinaire…
Mais on pourrait également interroger l'œuvre de Morelli à partir du concept de résidu, ce qui reste une fois que l'éphémère a disparu : les empreintes, les traces, les taches qui demeurent tout en sous-entendant quelque chose qui n'est plus…
L'artiste nous met face à une histoire, un récit qui s'ouvre sur un autre dans une mise en abîme sans fin car ses créatures lui échappent : ce n'est plus lui le conteur mais le spectateur, qui en s'appropriant ces images comme autant de signifiants, entre en résonance avec l'œuvre, tout en projetant son vécu sur celle-ci et apportant des nouveaux signifiés.
Martina Russo Paris, juin 2004
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