Eric Emo, Le souffle des blancs, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Eric Emo, Le souffle des blancs

Photographie
























Corps
























Faces
























Bustes
























Flou
























Matière,
























Plasticité
























Souffle

Si l'on devait rapidement parcourir les photographies d'Eric Emo, l'on pourrait se contenter de n' y voir que des bustes noyés dans un espace lumineux dont le flou serait l'unique matière. Mais lorsque dès l'entrée de la Galerie, notre regard hésite entre se laisser engloutir dans les flots d'une mer de nuages et se figer à distance devant un totem énigmatique, l'on sait déjà que le photographe n'a pas usé du flou sans vouloir inquiéter notre perception des êtres et des choses.

Choisissant de photographier, aussi bien des bustes peints, sculptés que ceux de modèles vivants, Eric Emo œuvre dans la mise à distance de l'objet vu afin de transgresser l'instantané de la prise de vue et d'accéder à l'intemporel de la vision. Pour cela il part d'un négatif couleur surexposé qui lui permet d'éliminer un maximum de grain lors de l' agrandissement et s'accorde de retenir au tirage le trop de lumière qui détruirait ces étendues laiteuses de nuanciers de blancs et de gris.


Eric Emo

Eric Emo, Comme des corps,
tirage sur papier baryté, 2002, 120 x 80 cm
courtesy Galerie Polaris


Ainsi ne s'inscrit-il pas dans la mouvance des photographies de flou que les années 80 nous avaient donnée l'habitude de voir. A cette époque, le bougé, le flou du mouvement (soit du modèle, soit de l'objectif), les agrandissements artificiels, auguraient un retour à la matière qui était devenu la quête primordiale de certaines pratiques artistiques et notamment photographiques à la suite d'un art minimal et conceptuel faisant fi de la main au profit de l'esprit, quitte à revendiquer la présence du corps dans l'espace arpenté ou environnemental. Certes, ce courant "du flou" en photographie nous a permis de nous sensibiliser à la plasticité du support, à l'épaisseur fut-elle infime du papier photographique, à sa matériologie granuleuse et les photographies de corps étaient les bienvenues pour substituer à l'épiderme du nu, la chair argentique du médium photographique. Comme nous le rappelait justement Jean Claude Lemagny, "Le flou, qui dans la réalité est élision de la matière, dans la photographie devient matière objective et présence" (J.CL. Lemagny: L'Ombre et le Temps, Essais sur la photogrpahie comme art, Nathan, Paris, 1992, p.270).


Eric Emo

Eric Emo, Comme des corps,
tirage sur papier baryté, 2002, 120 x 80 cm
courtesy Galerie Polaris


Mais, si la photographie reste paradoxalement l'art le plus à distance du réel, elle n'en est pas moins celui qui permet à l'artiste qui "met tout" dans son œuvre, le mode d'expression inépuisable où la pensée et le corporel se retrouvent intrinsèquement liés. C'est en tous les cas, ce que l'on ressent devant les photographies d' Eric Emo, sitôt que l'on oublie la superficialité de certaines productions artistiques à la mode où l'on veut nous faire croire que le relationnel prévaut dans l'acte de création au besoin intérieur. C'est réduire l'ouverture du propos de Thomas McEvilley qui conçoit que " la sensibilité personnelle est en interaction avec la situation collective ou l'appartenance ethnique" (Th.McEvilley: Art, Contenu et Mécontentement, La théorie de l'art et la fin de l'histoire, éd. J Chambon, Nîmes, 1994, p.164), mais ne va pas jusqu'à l'innocence perfide de nous faire croire que l'on se construit (que l'on crée) grâce aux autres. Se construire - ou créer - avec les autres n'est pas créer grâce aux autres. Or sous couvert d'utopie de métissage, de mondialisation, la confusion avec laquelle discourt aujourd'hui une certaine esthétique "relationnelle", risque de faire perdre au spectateur tant sollicité toute émotion personnelle devant tant d'œuvres éphémères, bi ou multi-céphales.


Eric Emo

Eric Emo, Comme des corps,
tirage sur papier baryté, 2002, 120 x 80 cm
courtesy Galerie Polaris


La série de photographies, "Comme des corps" nous met magnifiquement devant la rencontre sensible du corps et de la photographie. Le regardeur est convié silencieusement au passage "de la cécité à l'évidence" grâce à l'élection d' un des fragments du corps le plus intime, celui où le souffle de la vie se voit et se touche. D'ailleurs le mode de présentation en rouleaux chinois de ces grands formats épinglés seulement dans leur partie supérieure, renforce l'impression de flux vital que le photographe essaie de traduire dans ses tirages aux blancs gonflés de gris doux et sensibles.

Ainsi, au delà de "paysages corporels" dont parle le photographe, c'est dans des "lieux de dénudement, lieux du dénuement, lieux du limon terrae" (J.L Nancy: Corpus, éd. Métailié, Paris, 2000.p.55) que notre regard se laisse absorber. Pas de triche possible quand on choisit aussi simplement en apparence de transmuer un fragment de corps en étendue sensible. L'art et la vie retrouvent le même souffle pour nous rappeler avec Jean-Luc Nancy que " si le corps est le créé par excellence… le corps est la matière plastique de l'espacement sans forme et sans Idée. Il est la plasticité même de l'expansion, de l'extension selon laquelle ont lieu les existences… Le corps n'est pas image - de. Mais il est venue en présence, à la manière de l'image qui vient à l'écran de la télévision, du cinéma, venant de nul fond de l'écran, étant l'espacement de cet écran, existant en tant que son étendue…" (J.L Nancy: Corpus, éd. Métailié, Paris, 2000. p.57). L'aspect alors lisse et diaphane de ces plages argentiques accompagne fort justement la réinterprétation délicate d'un sujet aussi entendu que le corps. Sa disparition dans et par la matière photographique ou plus exactement son tremblement imperceptible en fait alors une énigme intemporelle devant laquelle seule notre perception sensorielle peut avoir accès.


Eric Emo

Eric Emo, Comme des corps,
tirage sur papier baryté, 2002, 120 x 80 cm
courtesy Galerie Polaris


D'ailleurs, lors d'une précédente série "Faces" (1999), Eric Emo insufflait cette fois-ci aux visages de statuaires ou de momies le même souffle de vie par la mise à distance temporelle que le flou de l'accommodation visuelle permet. Comme le buste n'est pas le corps, le visage n'est pas la face. Mais retrouver par la corporéité du support photographique, ce qui de l'image d'un fragment de corps perpétue la vie, arrête le regard, provoque le toucher visuel, était déjà ce qui intéressait l'artiste. La Face, c'était déjà ce qui résiste au mensonge de l'instant, ce qui subsiste au jeu des apparences, ce qui signe la vérité intemporelle de nos visages-masques.

Cadrés frontalement, ou légèrement en plongée ou contre-plongée, , parfois de dos jusqu'à rejoindre l'abstraction des sculptures-idoles des Cyclades, "Faces" ou "Bustes", ne sont que ces fragments du corps par lequel la vie circule grâce au souffle unifiant des blancs photographiques.

Michelle Debat
février 2002

Photographies D'Eric Emo, Comme des corps, du 17 janvier au 16 février 2002
Galerie Polaris, Bernard Utudjian, 8, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. : (0033) 1 42 72 21 27

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