Photographie Corps Faces Bustes Flou Matière, Plasticité Souffle |
Si l'on devait rapidement parcourir les photographies d'Eric Emo, l'on pourrait se contenter de n' y voir que des bustes noyés dans un espace lumineux dont le flou serait l'unique matière. Mais lorsque dès l'entrée de la Galerie, notre regard hésite entre se laisser engloutir dans les flots d'une mer de nuages et se figer à distance devant un totem énigmatique, l'on sait déjà que le photographe n'a pas usé du flou sans vouloir inquiéter notre perception des êtres et des choses.
Ainsi ne s'inscrit-il pas dans la mouvance des photographies de flou que les années 80 nous avaient donnée l'habitude de voir. A cette époque, le bougé, le flou du mouvement (soit du modèle, soit de l'objectif), les agrandissements artificiels, auguraient un retour à la matière qui était devenu la quête primordiale de certaines pratiques artistiques et notamment photographiques à la suite d'un art minimal et conceptuel faisant fi de la main au profit de l'esprit, quitte à revendiquer la présence du corps dans l'espace arpenté ou environnemental. Certes, ce courant "du flou" en photographie nous a permis de nous sensibiliser à la plasticité du support, à l'épaisseur fut-elle infime du papier photographique, à sa matériologie granuleuse et les photographies de corps étaient les bienvenues pour substituer à l'épiderme du nu, la chair argentique du médium photographique. Comme nous le rappelait justement Jean Claude Lemagny, "Le flou, qui dans la réalité est élision de la matière, dans la photographie devient matière objective et présence" (J.CL. Lemagny: L'Ombre et le Temps, Essais sur la photogrpahie comme art, Nathan, Paris, 1992, p.270).
Mais, si la photographie reste paradoxalement l'art le plus à distance du réel, elle n'en est pas moins celui qui permet à l'artiste qui "met tout" dans son œuvre, le mode d'expression inépuisable où la pensée et le corporel se retrouvent intrinsèquement liés. C'est en tous les cas, ce que l'on ressent devant les photographies d' Eric Emo, sitôt que l'on oublie la superficialité de certaines productions artistiques à la mode où l'on veut nous faire croire que le relationnel prévaut dans l'acte de création au besoin intérieur. C'est réduire l'ouverture du propos de Thomas McEvilley qui conçoit que " la sensibilité personnelle est en interaction avec la situation collective ou l'appartenance ethnique" (Th.McEvilley: Art, Contenu et Mécontentement, La théorie de l'art et la fin de l'histoire, éd. J Chambon, Nîmes, 1994, p.164), mais ne va pas jusqu'à l'innocence perfide de nous faire croire que l'on se construit (que l'on crée) grâce aux autres. Se construire - ou créer - avec les autres n'est pas créer grâce aux autres. Or sous couvert d'utopie de métissage, de mondialisation, la confusion avec laquelle discourt aujourd'hui une certaine esthétique "relationnelle", risque de faire perdre au spectateur tant sollicité toute émotion personnelle devant tant d'œuvres éphémères, bi ou multi-céphales.
La série de photographies, "Comme des corps" nous met magnifiquement devant la rencontre sensible du corps et de la photographie. Le regardeur est convié silencieusement au passage "de la cécité à l'évidence" grâce à l'élection d' un des fragments du corps le plus intime, celui où le souffle de la vie se voit et se touche. D'ailleurs le mode de présentation en rouleaux chinois de ces grands formats épinglés seulement dans leur partie supérieure, renforce l'impression de flux vital que le photographe essaie de traduire dans ses tirages aux blancs gonflés de gris doux et sensibles.
D'ailleurs, lors d'une précédente série "Faces" (1999), Eric Emo insufflait cette fois-ci aux visages de statuaires ou de momies le même souffle de vie par la mise à distance temporelle que le flou de l'accommodation visuelle permet. Comme le buste n'est pas le corps, le visage n'est pas la face. Mais retrouver par la corporéité du support photographique, ce qui de l'image d'un fragment de corps perpétue la vie, arrête le regard, provoque le toucher visuel, était déjà ce qui intéressait l'artiste. La Face, c'était déjà ce qui résiste au mensonge de l'instant, ce qui subsiste au jeu des apparences, ce qui signe la vérité intemporelle de nos visages-masques.
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Photographies D'Eric Emo, Comme des corps, du 17 janvier au 16 février 2002
Galerie Polaris, Bernard Utudjian, 8, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. : (0033) 1 42 72 21 27
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