Elina Brotherus, photographies : de l'autoportrait à la "figure"
 
 
En ce début de printemps, Paris, Galerie GB Agency et Rouen, Trafic Frac Haute Normandie, nous permettent de retrouver avec bonheur quelques désirs peu ou prou éteints par la mode de l'autoportrait trop souvent galvaudé par une certaine photographie contemporaine. Si celui-ci avait en effet envahi ces dernières années les sphères les plus intimes ou ne serait-ce que quotidiennes, sans parfois l'ombre d'un intérêt sensible, historique ou politique, il est aujourd'hui déplacé avec subtilité et rigueur par la jeune photographe finlandaise Elina Brotherus : à la galerie GB Agency : au fil d'un détournement délicat et toujours intelligent des codes picturaux du genre dans la série Models Studies (2005) et au Frac Haute Normandie : à l'occasion d'une présentation plus large de son travail depuis ses premiers paysages et autoportraits de 1998 - 2000, jusqu'à sa dernière série The New Painting (2003-2004).
autoportrait,

figure,

paysage,

nature,

peinture,

sensation,

horizon,

allégorie,

métaphore
Elina Brotherus
 
Vue 1
 
 
De l'autoportrait au paysage, et inversement, la quête photographique de la jeune artiste semble déjà nourrie de cette maturité esthétique qui accepte que la photographie soit peut-être davantage mère de la peinture que fille de cette dernière.

Lorsqu'en effet, "Models Studies" et "The New Painting" nous proposent l'autoportrait de l'artiste dans la nature, de dos, nue ou simplement présente, il s'agit toujours de capter non l'instant mais la sensation dont les peintres classiques mais surtout impressionnistes avaient su s'imprégner. Ne faire qu'un avec la nature quitte à s'y perdre ou s'y retrouver mais de toute façon s'absenter de son petit ego pour atteindre une complétude universelle. Quoi de plus juste alors de nous le rappeler en Normandie au pays des ciels et des atmosphères, lieu de naissance de l'impressionnisme mais aussi lieu de villégiature favori de tous les grands paysagistes de la fin du 19° et du 20° de Monet en passant par Boudin jusqu'à plus près de nous l'américaine Joan Mitchell.
 
 
Elina Brotherus
 
Horizon 6, 2000
 
 
Alors, sans bien sûr percevoir devant ces grandes photographies couleur un hommage appuyé à Gaspar David Friedrich - Der Wanderer, 2003 - souvent d'ailleurs cité plus ou moins justement par nombre de photographes de paysages, sans oser non plus comparer les vues de dos dénudé aux sorties du bain de Degas, ni même aux autoportraits au miroir de Bonnard et Vuillard et encore moins à la première odalisque, Nu endormi, 2003, telle que Giorgione avait su la peindre tout en bouleversant la hiérarchie des genres, hissant le paysage comme sujet à part entière dans une peinture italienne encore emprise aux grandes fresques religieuses, politiques ou mythologiques, il est ici question de mise au silence de l'identité pour une mise en scène de la figure féminine. Et c'est alors que le mot même de figure, reprend une de ses significations premières : être la représentation d'une forme extérieure et donc pouvoir être par extension rhétorique l'allégorie de la femme. En effet, les photographies d'Elina Brotherus, nous parlent "en figure" de la femme dans le paysage, dans son univers. Paysage de la nature qu'elle contemple de dos, laissant ses pensées partir au loin, s'immergeant dans cet espace qui l'englobe et qu'elle laisse pénétrer en elle, mais aussi paysage de son quotidien, assise à une table où quelques pommes échappées d'une nature morte hollandaise semblent la laisser indifférente ou tout au moins songeuse. Parfois, c'est recroquevillée sur le bord du lit, ou cadrée dans un enlacement douceureux dont les mains justes nous disent le souvenir qu'elle se met en scène et s'offre pudiquement à l'objectif dont on devine parfois la présence par le fil du retardateur qu'elle actionnera elle-même.
 
 
Elina Brotherus
 
Le miroir, 2000
 
 
Mais pas de regard frontal, et même pas de visages, juste des fragments de corps témoignant d'un temps oublieux de l'instant et de ses acteurs pour nous rappeler l'universalité de ces moments-là, banals certes, communs à nous tous et pourtant unique pour chacun. Quotidien plus intime lorsqu'elle sort pudiquement du bain, les hanches ceintes d'une serviette ou qu'elle offre son visage au miroir trop embué pour nous permettre de reconnaître son visage. Jamais le regard de la jeune femme ne croise celui du spectateur comme pour mieux hisser au rang de symbole ce qui n'aurait pu être que constat de la vie d'une femme. Mais si toutefois l'histoire de l'art vient nourrir la composition et le cadrage du modèle, si la création par la photographe d'une gamme de couleurs douces et subtiles transpose une vue urbaine en une plage diurne - Vues 1 et 2, 2000 - dont l'horizon devient le sujet - Horizon 2001 - une crainte furtive traverse parfois ces images faussement paisibles et le sublime peut même se retourner en inquiétante illusion. Ainsi, dans la série "Studies model" (2005) présentée à la galerie parisienne GB Agency, ne nous trouvons-nous pas dès l'entrée devant ce face à face étrange d'une jeune femme de dos, regardant probablement une grisaille en trompe-l'œil si proche qu'elle ne peut en fait la contempler mais rester prisonnière, comme enfermée dans cet espace minimal entre elle et la toile, comme si la dérision de l'imitation picturale avait pris au piège son propre spectateur.
 
 
Elina Brotherus
 
Nu endormi, 2003
 
 
Ce piège dans lequel le regardeur sombre malgré lui est aussi ce qui le transporte d'une "New Painting" à une autre. C'est à cette délicate expérience que nous convie précisément cette série exposée à Rouen, qui se joue de la chronologie des dates pour nous permettre de circuler visuellement entre la retenue et l'audace des premiers autoportraits d'intérieur et la nature des plages islandaises où le minéral et le végétal arrivent à se confondre dans l'éloge métaphorique d'un espace entre ciel et terre - Horizon, 2000 -. Il n'est alors qu'à revenir devant la séquence du miroir - Le Miroir , 2003 - pour éprouver le passage du temps lorsque la buée effaçant peu à peu sa propre image nous dit le souffle vital qui nous redonnera la force de commencer une autre vie, de changer de tête et d'expression, bref de reprendre au temps ce qu'il nous a parfois enlevé : cet élan fragile qui nous maintient en équilibre entre paysage et figure, entre nature et identité. L'autoportrait alors n'est que prétexte à abstraire de l'évènementiel ce qui définit l'humain, cette forme vivante faite de mémoire et de rebonds, cette figure de la femme en harmonie avec elle et le monde, bref, en vie.
Michelle Debat
Paris, avril 2005
 
Elina Brotherus
 
Der Wanderer, 2003

Elina Brotherus, exposition monographique,
Trafic Frac Haute-Normandie, 3 place des Martyrs de la Résistance, 76300 Sotteville-lès-Rouen, tél. : + 33 2 35 72 27 51
du 26 mars au 15 mai 2005, entrée libre du mercredi au dimanche de 13h30 à 18h30, fermé les jours fériés
Elina Brotherus, "Model Studies" 2005,
Gb agency, 10 rue Duchefdelaville, 75013 Paris, tél. : + 33 1 53 79 07 13, du mardi au samedi de 11h à 19h

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