Nouer un
dialogue entre
l'architecture
médiévale
et l'art du
XXème siécle
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C'est la figure de Vénus qui viendra, cet été, taquiner les vieilles pierres du Donjon de Vez. On aurait pu penser que la belle avait fait son temps. Il n'en n'est rien : réinterprétée en toute liberté par les plus grands artistes du XXème siècle, la déesse issue de la nuit des temps réserve bien des surprises au visiteur.
Déesse de l'Amour et de la Beauté, Vénus nourrit l'histoire de l'art depuis l'Antiquité : la Vénus de Milo (IIIème siècle avant J.C.), a ainsi engendré une longue dynastie sans avoir jamais lassé les artistes.
Si l'exposition propose des sculptures de Rodin, Bourdelle ou Maillol fidèles à un ideal classique, elle présente aussi des œuvres en rupture avec la tradition qui malmènent quelque peu sa forme antique ; Jim Dine façonne Vénus à la hache et lui conserve la rugosité des outrages du temps, Arman découpe son corps de déesse, Salvador Dali agrandit démesurément son cou comme celui d'une girafe, Robert Combas traverse sa tête avec son navire, Yves Klein, Yayoi Kusama et Bertrand Lavier jouent avec l'épiderme de la déesse qu'ils mettent en couleur ou modifient chacun à leur façon.
Les deux visages de la déesse antique, tantôt côté lumineux, tantôt côté obscur, coexistent ici. Car la déesse de l'amour conjugal, des alcoves et des boudoirs inspire aussi la passion dévorante et destructrice, jusqu'à la folie.
Cinq artistes contemporains : Ben, Bernard Rancillac, Fabrice Hybert, Vincent Corpet et Stéphane Pencréac'h recevront des reproductions en plâtre grandeur nature de la Vénus de Milo, réalisés par les ateliers des moulages du Louvre. Ils auront carte blanche pour intervenir librement sur cette icône de l'art antique.
Revue et corrigée par le propos des artistes modernes et contemporains, Vénus va hanter la chapelle, se cacher dans les échauguettes, courir sur les chemins de ronde, et danser sur les gazons du jardin minimaliste de Pascal Cribier pendant tout l'été.
Depuis dix ans l'association "Les amis du donjon de Vez" expose les plus grands artistes du XXème siècle, et d'autres moins connus ou plus jeunes dans l'un des plus beau sites médiévaux de Picardie. Echappée des Musées où elle vit étriquée, la sculpture revit ici, légère sur le gazon, à l'ombre des grands arbres et du majestueux donjon.
Dans ce parcours, arrêtons-nous aux sculptures suivantes plus particulièrement :
La 10 "Cathedral" 1998 en terre cuite de Johan Creten né en 1963 en Belgique. Cathedral est un corps feminin frontal acéphale et dépourvu de bras.
La 16 "Petite Vénus à sa toilette" en bronze de Bourdelle né en 1861 à Montauban, mort en 1929 au Vésinet. Cette Vénus évoque une sculpture grecque d'Aphrodite rattachant sa sandale.
La 28 "Torso Cyborg" ensilicone de 2002 de Lee Bull né en 1964 à Yongwol en Corée. Ce torse féminin évoque tout autant la statuaire antique que le monde cybernétique des Mangas.
La 30 "Statue of Obliterated by Infinity Nets", 1998 en technique mixte de Yayoi Kusama artiste japonaise internée depuis 1975 dans un hôpital psychiatrique de Tokyo où elle continue de créer d'étranges sculptures.
La statue 34 "Black Venus" en bois peint de 1991 et surtout la 35 la plus intéressante "The field of the cloth of gold" en bois peint de 1987-88 de Jim Dine. C'est à partir de 1982 que Jim Dine, artiste pop américain, inclut la Vénus de Milo aux motifs obsessionnels qui ont fait sa renommée, comme les robes de chambre, les cœurs ou les outils.
Initiée par Francis Briest, president de l"association "Les amis du Donjon de Vez" et commissaire-priseur à Paris (Artcurial Briest-Poulain-Le Fur), et conçue par Jessy Mansuy, historienne d'art, l'exposition "Pour l'amour de Vénus " est réalisée avec le concours du Conseil Général de l'Oise et du Conseil Régional de Picardie.
Francis Briest désirait nouer un dialogue entre l'architecture médiévale et l'art du XXème siècle. Dès 1991, il sollicite Pascal Cribier, lauréat du concours des Tuileries, pour créer un jardin minimaliste puisé aux sources de l'iconographie médiévale. En 1996, Sol Le Witt realise un Wall Drawing dans une salle du Donjon. Deux ans plus tard, le Pot Doré de Jean-Pierre Raynaud est installé sur la pièce d'eau surplombée par l'œuvre de François Morellet, commandée à l'artiste lors de l'éclipse du soleil du 11 août 1999.
Situé dans l'Oise à 70 km de Paris, entre villers-Cotterets, Pierrefonds et Crépy en Valois, le château-fort de Vez domine la vallée de l'Automne, en lisière de la forêt de Compiègne. Construit au Moyen-Age, il fut fortifié et restauré aux XIIIème et XIVème siècles. Il est classé monument historique depuis 1904.
Elisabeth Petibon Paris, août 2003
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