Francis Briest commissaire-priseur à Paris (Artcurial Briest, Poulain, Le Für) et Président de l'association "Les amis du Donjon de Vez" organise en plein air, chaque année depuis 1993 des expositions de sculptures des plus grands artistes.
Dès 1991, il fait appel à l'architecte paysagiste Pascal Cribier (créateur du nouveau jardin des Tuileries sous François Mitterrand), pour créer un jardin minimaliste puisé aux sources de l'iconographie médiévale. Ce jardin vient de recevoir le label "Jardin Remarquable" décerné par le Ministère de la Culture. C'est une des premières fois qu'un jardin contemporain devient "Jardin Remarquable", ce label récompensant, dans 99% des cas, des jardins historiques.
En 1996, Sol Le Witt réalise un Wall Drawing dans une salle du Donjon. Deux ans plus tard, le Pot Doré de Jean pierre Raynaud est installé sur la pièce d'eau surplombée par l'œuvre de François Morellet, commandée à l'artiste lors de l'éclipse du soleil du 11 août 1999, ces œuvres restent depuis sur place.
L'Art du XXème siècle se côtoie à merveille avec l'architecture médiévale et l'un des plus beaux sites de Picardie |
Richard Stankiewicz et Bernard Venet
Si la sculpture américaine a fait l'objet d'initiatives éparses, c'est la première exposition qui lui soit vraiment consacrée en France. Le choix des œuvres permet de retracer l'histoire de la sculpture des années 60 à nos jours, de l'expressionnisme abstrait au pop art, en passant par l'art minimal des années 70.
La sculpture américaine des années 50 se développe en grande partie pendant les années 60. Au XXème siècle, le fer et l'acier deviennent subitement le matériau privilégié de l'avant-garde. Le fer plus archaïque tend à générer un regard intemporel, préindustriel sur le monde, tandis que l'acier, plus moderne, donne voix à un sentiment marqué davantage par la technique et l'utopie. Une quinzaine de pièces américaines sont exposées, dont deux sont l'œuvre d'artistes français vivant depuis une vingtaine d'années à New York, Alain Kirili et Bernard Venet. A peine avons-nous pénétré dans ce parc, que nous pouvons admirer, éparpillées sur le gazon des sculptures monumentales échappées des villes américaines pour venir se lover sur le tapis vert, se pavaner près des remparts, se dresser près des arbres ou goûter à la douce sérénité de la Chapelle du Donjon de Vez. Elles abandonnent pour un certain temps la compagnie des gratte-ciel, des parcs à sculptures, le cœur des cités américaines où elles font fureur pour se retrouver dans cette atmosphère de plénitude. L'entrée se fait par la basse-cour : Sur notre gauche, nous avons la première sculpture "Monk" de 2002 de George Condo, né en 1957 à Concord (New Hampshire). Un mot-objet, en acier poli de 439 cm, nous renvoie au lisible et au visible. De plus, le spectateur prononce le nom en même temps qu'il le voit, un son, celui du nom et aussi celui de la musique, puisqu'il s'agit du grand musicien de jazz Thelonious Monk. Sur notre droite, "Sans titre" de 1982, en acier soudé de 259 cm de Richard Stankiewicz, né à Philadelphie en 1922, mort à Albany en 1983. Pionnier de la "junk culture", il se singularise en suggérant un corps ou un visage avec des ressorts, tuyaux ou éléments de radiateurs qu'il traite de manière sarcastique ou parodique. Au cours d'un séjour à Paris en 1950/53, il fut l'élève de Léger et Zadkine. Son œuvre ici, est sur le thème du cercle, d'où l'image de la machine, du dynamisme de la rotation et joue parfaitement avec les éléments géométriques de l'architecture du donjon. Puis, nous pouvons voir "three", "one" et "five", en aluminium peint de 197 cm, 1980, de Robert Indiana, né à New Castle (Indiana) en 1928. Il est surtout connu pour son célèbre mot sculpté et peint "LOVE" de 1972, quatre lettres capitales superposées deux par deux avec le O incliné, devenu le symbole de l'amérique des années 1960. Il est un des premiers "pops" new-yorkais, il a tenté de réaliser la synthèse entre ce mouvement et l'abstraction dont il a constaté dès 1958 l'épuisement. Cette œuvre de la série des "Numbers", ces chiffres qu'il assemble dans des compositions d'un mode typographique à l'expression dans l'espace s'inscrit dans la symbolique du "rêve américain". Puis, "3 Arcs x 5", de 410 cm de hauteur, 2000, de Bernar Venet, né à Château-Arnoux-Saint-Auban (04) en 1941, qui vit aux USA (New York) depuis 20 ans. Il exécute des œuvres conceptuelles basées sur l'utilisation de diagrammes et du langage mathématique, à partir du thème de la ligne, courbe (arc), brisée (angle), ligne droite (diagonale) et ligne indéterminée. Ici les arcs usinés entrent en relation, groupés en éventail comme autant de mains à cinq doigts ou d'une carène d'un navire à 243°. Puis, "untitled" en bronze de 714 cm, 1998, de Joël Shapiro, né à New York en 1951. L'assemblage des poutres régulières évoque un saut dans le vide près des douves, ce qui paraît être l'envol oblique de l'oiseau. Son travail a évolué vers des constructions gigantesques bâties sur des additions brisées de cylindres et de rectangles en bronze, il introduit en 1977 une image anthropomorphique dans des schémas géométriques, travaillant à partir de simples lignes. Robert Indiana
Nous entrons dans l'enceinte :
A notre droite, près de la pommeraie, quelques sculptures de Bourdelle, du début du XXème siècle. Face à nous, le stabile "la Cornue" en métal peint de 700 cm de hauteur, 1974, d'Alexander Calder, né à Lawnton (Pennsylvanie)en 1898, mort à New York en 1976. Normalement placée devant l'université de Grenoble, "La Cornue" mime le circuit de bocaux de verre de l'alchimiste et symbolise l'infusion du savoir et sa transmission. Les arches qui font penser à des pattes mènent l'œil par leurs nervures d'acier à la ligne sommitale dont la découpe graphique et la peinture noire renforcent l'effet de silhouette se détachant sur le ciel. Sur notre gauche, "Primo Piano III" en acier de 202 cm de hauteur, 1962, de David Smith, né à Decatur (Indiana) en 1906, mort à Bolton Landing (New York) en 1965. Œuvre construite par plans, cette structure bi-dimensionnelle est montée sur une plinthe fixée au sol, peinte en blanc et parfaitement équilibrée. La présence d'un disque anime l'œuvre, croisant la suggestion d'une locomotive à l'allusion à l'architecture italienne présente dans le titre. Ce constructeur-soudeur fait de lui (seulement en Amérique !) un mythe de l'art moderne. C' est le plus américain de l'après-guerre, le premier sculpteur proprement américain dont l'œuvre s'étend d'une phase surréaliste avant guerre aux prémices du Minimal Art. Puis, il adopte l'aspect narratif, quasi littéraire, et la richesse d'associations poétiques. Ce qui chez lui est nouveau, c'est l'abrupte frontalité, comme dans un tableau ou bien la forte diversité des points de vue. Ses sculptures se refusent à l'appropriation au premier coup d'œil et présentent une autre image selon le point de vue. Sa simplification formelle et sa finition à la machine influencent le Minimal Art. Mais sur les aspects décisifs, il demeure traditionnel : il reste fidèle à l'allongement vertical figuratif et ne franchira pas vers la séquence "paysagiste" horizontale, de même il reste lié aux tensions de la composition. A l'intérieur de la Chapelle : "Communion" de 2001 en fer martelé, un ensemble composé de 10 éléments de 280 cm de hauteur d'Alain Kirili, né à paris en 1949, fait partie de la série appelée "Sounds of sculpture". Disposées en chevrons, les caisses de résonance vont retentir les timbres d'étranges instruments de musique, de chaînes de sons qui expriment le thème de la communion, sur le double mode sacré et profane, entre les arts visuels et le monde des sons qui fascinent l'artiste. Il passe de petites sculptures, souvent au ras du sol, à des œuvres monumentales assez sommaires. Une des deux "Commandment blanc", de 1985, est installée aux Tuileries à Paris. "Triangle pavillon", 2004, aluminium et verre de 225x245x343 de Dan Graham, né à Urbana en 1942. Il s'est spécialisé dans le verre et dans l'aménagement de salles où ont lieu des jeux de miroirs et de temps différé, et où l'image tout juste enregistrée du spectateur le confronte déjà à son propre passé. Le thème du pavillon de verre, traité ici sous une forme triangulaire, réserve un espace secret et pourtant transparent. C'est comme une boite magique, rigoureusement stéréométrique, et pourtant captant les reflets de ses visiteurs et créant un monde d'illusion comparable à celui de Lewis Carroll. Dans l'oratoire : "Krofted", 1995, acier inoxydable, de Mark Di Suvero, né à Shangaï en 1933, expressionniste abstrait et gestuel. Ici, au dessus d'une structure aérée à base de triangles, le nœud d'acier, métaphore de l'existence et de l'énergie qui saisit les opportunités de la vie pour les transformer en art, ouvre l'accès à la partie haute de l'œuvre, faite de torsions, de coubes nerveuses, de lignes arquées, c'est de la sculpto-graphie. David Smith
Salle des gardes :
"Sans titre", 1966/68 métal peint en blanc de Sol Le Witt, né à Hartford (Connecticut) en 1928. Ses dessins ont été présentés au Musée National d'Art Moderne à Paris en 1994. En sculpture, ses "wall drawings" prennent des proportions monumentales dans l'espace sous forme de grilles, cubes ou parallélépipèdes, le plus souvent en métal peint en blanc, ouverts, fermés ou fragmentés, isolés ou multipliés. Ici, réduire le cube à ses arêtes est vouer au dessein, donc au projet géométrique de l'auteur. "Fin", 1983, 50 briquettes au sol et plomb de Carl Andre, né à Quincy (Massachusets) en 1935. C'est un hommage à Brancusi pour la sculpture debout, "colonne sans fin", installée en Roumanie. Les 50 briquettes de plomb placées sur champ découpent dans l'espace une ligne qui, par l'effet conjugué du poids et de l'instabilité du plomb qui flue vers le bas, tend à s'enfoncer dans le sol. Souvent, Andre a désigné sa sculpture comme une route, une voie et comparé le glissement du regard du spectateur en mouvement à celui d'un canot sur l'eau. Il fait partie du minimal art. L'art de ce dernier ne représente rien, il présente, il met en question la tridimensionnalité de la sculpture, sans en nier la spécificité. "Progression", 1972, acier inoxydable de Donald Judd, né à Excelsior Springs (Missouri) en 1928, mort à New York en 1994. C'est une suite mathématique, une progression : 1+2=3+2=5+3=8 découvert au XIIIème siècle. L'agrandissement régulier de l'entame pratiquée sur une barre d'acier réduit d'autant la part des reliefs au profit des retraits, inversant en chiasme la construction générale, puisque le creux final obtenu à une dimension similaire au relief de départ. Il rédige en 1965 le texte fondateur du Minimal Art, "Specific Objects". Sa recherche d'un art littéral, impersonnel et anonyme, s'exprime dans des œuvres agencées selon l'une des quatre progressions mathématiques, arithmétique, géométrique, de Fibonacci, progression inverse des nombres naturels. Ses écrits (1963/1990) ont été publiés à paris en 1991. Salle Eiffel : "Hommage to Piranesi VIII 6", 1983/1988, acier et laiton de Herbert Ferber, né en 1906, mort à New York en 1991. Dans la charpente fait par Eiffel se trouve cette cage. La liberté gestuelle au sein d'un espace contraint, c'est ce qu'explore l'artiste dont la sculpture fondée sur l'expérience intériorisée prend sa source dans l'"Action painting.". La dramatisation du sentiment spatial ne pouvait trouver meilleure référence que les prisons et les souterrains aux escaliers infinis du graveur italien du XVIIIème siècle Piranèse. Les puissantes courbes internes semblent déformer la structure externe. C'est de l'héritage torturé du surréalisme que se nourrissent aussi les épineuses constructions végétales de cet artiste : constat existentiel agressif traduit dans une flore de ronces enrichie de symbolisme. Le choc de deux époques, de deux continents différents ? Non, une parfaite harmonisation à voir le temps d'un séjour dans cette belle région.
Dan Graham
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15 artistes – 5 œuvres monumentales
Exposition du 03 juillet 2004 au 31 octobre 2005, tous les jours de 14h à 18h, sauf décembre, janvier et février. Tél : 03.44.88.55.18
Situé dans l'Oise à 70 km de Paris, entre Villers-Cotterêts, Pierrefonds et Crépy en Valois, le château fort de Vez domine la Vallée de l'Automne, en lisière de la forêt de Compiègne. Construit au Moyen-Age, il fut fortifié et restauré aux XIIIème et XIVème siècles. Il est classé monument historique depuis 1904.
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