La "révolution" du Daguerréotype français, un objet photographique



Daguerréotype, Adolphe Humbert de Molard,
"Louis Dodier en prisonnier", 1847, Paris, Musée d'Orsay
© Paris, RMN-Hervé Lewandowski

le grand







bouleversement







suscité par le







daguerréotype







en tant que







véritable







phénomène







de société



Quoi de plus passionnant que l'invention de la photographie ? Lors de son apparition, le daguerréotype devient un "phénomène de société" aux enjeux tant scientifiques qu'artistiques.
Au début du XIXe siècle, Louis Jacques Mandé Daguerre (1787-1851) commence une carrière de peintre paysagiste. Il se spécialise dans la réalisation de grands panoramas en trompe-l'œil servant de décors à des spectacles en tous genres. S'intéressant aux phénomènes optiques, Daguerre tente, vers le milieu des années 1820, de fixer les images de la chambre noire.

A la même époque, l'inventeur Nicéphore Niepce, partant de son intérêt pour la lithographie, effectue des recherches sur l'héliogravure. Lors de ses expériences, Niepce parvient à ce qui est considéré comme la première image obtenue par la reproduction de la lumière, "Le toit des Cras".
Poursuivant le même but, Daguerre et Niepce décident de s'associer en 1829. Au cours de leur collaboration, Daguerre perfectionne les mécanismes de la chambre noire, tandis que Niepce continue ses expériences chimiques. Mais ce dernier meurt en 1833, avant d'avoir pu voir l'aboutissement de leur expérience commune.

Toutefois, Daguerre poursuit ses recherches et finit par faire une découverte capitale: les vapeurs de mercure sur l'argent iodé permet de fixer l'impression lumineuse de la chambre noire. A partir de ce procédé, il arrive à produire vers 1836 les premières images daguerréotypiques.
L'appareil qu'il met au point permet de fixer une image sur une plaque de cuivre polie, recouverte d'argent et exposée en chambre noire. La scène extérieure devant laquelle se trouve l'objectif est reflété à l'intérieur de la chambre noire, sur la plaque de cuivre. La représentation ainsi obtenue est non reproductible et fragile, mais elle a l'avantage d'être claire et nette.

Daguerre écrit au sujet de son invention : "La découverte que j'annonce au public est du petit nombre de celles qui, par leurs principes, leurs résultats, et l'heureuse influence qu'elles doivent avoir sur les arts, se placent naturellement parmi les inventions les plus utiles et les plus extraordinaires. Elle consiste dans la reproduction spontanée des images de la nature reçues dans la chambre noire, non avec leurs couleurs, mais avec une grande finesse de dégradation de teintes."
Le physicien et député François Arago présente officiellement le daguerréotype en janvier 1839, date généralement considérée comme celle de la naissance de la photographie. A l'occasion de cette présentation, Arago réunit deux groupes de l'Institut, l'Académie des Sciences et l'Académie des Beaux-Arts. Il place ainsi l'invention au cœur d'un débat qui oppose la photographie en tant que procédé scientifique ou en tant que discipline artistique.

En effet, la révolution qu'apporte un procédé capable de fixer des images de la nature ne fait pas l'unanimité. A l'enthousiasme des scientifiques qui, fascinés par sa capacité à fixer d'infinis détails, y voient un moyen d'enregistrer les résultats de leurs expériences, s'oppose la méfiance des artistes qui considèrent la photographie comme un vulgaire concurrent.
Daguerre cherche à populariser et à commercialiser son invention, pas seulement auprès des artistes et des savants, mais aussi auprès du grand public. Le succès que rencontre alors le daguerréotype s'explique par le fait qu'il peut être utilisé par d'autres personnes que son inventeur.
Le genre dans lequel le daguerréotype se popularise le plus est le portrait photographique (Ratel, "Autoportrait", 1843-1844). Toutes les personnalités du moment se font tirer le portrait, par des "photographes professionnels", parmi lesquels Félix Nadar est sûrement le plus fameux. Sarah Bernhardt ou encore Eugène Delacroix viennent se faire photographier dans son atelier.
Avoir son portrait photographique devient à la mode et tout au long des années 1840, toutes les couches de la société se font photographier. Parmi les détracteurs du nouveau procédé, Charles Baudelaire condamne en 1859 cet engouement social et déclare : "La société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal.".
Les hommes de lettres s'exprimèrent rapidement sur le sujet. Ils y voient un nouveau modèle de représentation face auquel la littérature doit définir sa position. Louis-Auguste Bisson photographie "Honoré de Balzac" en 1842. Selon Nadar, l'écrivain craignait que la photographie lui enlève une partie de son enveloppe charnelle. Cela peut expliquer sa position, détournant le visage de l'objectif et sa main posée sur la chemise ouverte au niveau du cœur.

La photographie devient un art, mais ne fait pas l'unanimité. On trouve surtout que les images ne rendent pas justice au modèle, notamment parce qu'elles sont en noir et blanc, ce qui est perçu comme une perte de vraisemblance. On commence ainsi à colorier les images, surtout les portraits et les nus.
Jacques-Antoine Moulin excelle dans la photographie du corps féminin. Il réalise une série de nus féminins académiques destinés aux peintres, dont le délicat "Deux Nus debout" (vers 1850). Les deux jeunes femmes posent nonchalamment devant un fond sombre, ce qui fait ressortir les courbes de leurs corps et leurs gestes amicaux et familiers.

Dans une société en quête d'images, les domaines d'application de la photographie semblent illimités. Toute la France est photographiée par des amateurs ou des professionnels (Louis-Cyrus Macaire, "Navire quittant le port du Havre", 1851). Paris semble toutefois être le sujet photographique de prédilection. Nombreuses sont les prises de vues d'immeubles et de rues qui montrent un Paris perdu, celui d'avant les travaux entrepris par le baron Haussmann.

Le daguerréotype permet aussi de fixer des événements historiques comme dans les "Barricades du faubourg du Temple après l'attaque" réalisée par Thibault en juin 1848, lors des évènements tragiques qui firent des milliers de victimes à Paris. Ces images sont aussi les premières illustrations dans la presse.
Le daguerréotype permet à tous de voir des images venues du monde entier. Des grands voyageurs ramènent de nombreux daguerréotypes des leurs voyages, comme le baron Jean-Baptiste Louis Gros qui, lors d'un tour du monde, du Mexique à la Grèce, rapporte plus de mille plaques photographiées, notamment "Acropole, Athènes, mai-juin 1850". Le daguerréotype est l'occasion de mises en scènes diverses, comme celle de l'amateur Adolphe Humbert de Molard qui, s'inspirant des contes de Byron et des romans de Walter Scott, réalise "Louis Dodier en prisonnier" (1847).
Le daguerréotype connaît diverses mutations techniques au fil du temps, la mise au point de substances accélératrices permettant de limiter le temps de pose. Toutefois, des procédés photographiques sur papier, permettant notamment de reproduire plusieurs fois les images, finiront par prendre le dessus.

L'exposition du Musée d'Orsay présente le grand bouleversement suscité par le daguerréotype, non seulement du point de vue esthétique et technique, mais aussi en tant que véritable "phénomène de société". L'invention eut une influence indéniable sur les arts et les mentalités d'une époque en pleine avancée scientifique et technique, avec les locomotives et bateaux à vapeur, le télégraphe, l'éclairage électrique…
Près de 300 plaques sont rassemblées au Musée d'Orsay et exposées de manière thématique, illustrant ainsi toutes les possibilités du daguerréotype. Une exposition passionnante destinée aux amoureux de la photographie et aux autres.

Sophie Richard
Paris, juillet 2003, publication octobre

Musée d'Orsay, Quai Anatole France, Paris 75003, tél. : 00 33 (0)1 40 49 47 50
Catalogue : éditions RMN, diffusion Seuil, 432 pages.

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