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Il est rare quen tant quartiste nous ayons lopportunité de partager du temps, de se réunir afin déchanger sur notre travail et notre conception de lart. En général, nous sommes loin de luvre collective des arts médiatiques ou du théâtre que permettent ces rencontres. Cest donc avec plaisir que jai accepté linvitation de Jocelyn Fiset, représentant québécois du Performance/Performing Art Network (PAN), à me rendre à la sixieme édition du Symposium international de Créations artistiques, Réseaux, Attitudes poétiques, Nouvelles technologies, Échanges internationaux (C.r.a.n.e).
Bernard François
Cet événement annuel a lieu dans la région de Bourgogne du 26 juin au 8 juillet, plus précisément à Quincerot, un petit village de 59 habitants situé entre Auxerre et Dijon. Pendant une période de dix jours, des artistes du Japon, de France, de Pologne et du Canada se sont réunis dans ce charmant patelin afin de voir, discuter et créer. Il est important de souligner que chaque responsable du réseau choisit les artistes de son pays qui seront présents à ce symposium. Cette formule a pour but déviter tout regard ethnocentrique des organisateurs et permettre de renouveler le bassin des artistes participants. Ainsi, lhôte de lévénement doit vivre avec la contribution des autres représentants du réseau. Il sagit en fait dune communauté desprit partageant un goût commun pour lart et lamour de la liberté.
Gilles Gally
Cest après un trop bref passage à Paris, bagage en mains, que je me dirige vers Montbard. Le paysage défile régulièrement; le balancement du train me menant vers ma destination. À larrivée, japerçois un grand gaillard aux cheveux longs noirs jais qui sapproche de moi à pas lents. En plus dêtre musicien, Jean Voguet est lun des fondateurs et hôte de lévénement. La première étape avant de se rendre à Quincerot consiste à faire lépicerie. En déambulant dans les allées du supermarché, Jean mexplique le déroulement des opérations. Le soir, tour à tour, chacun de nous aura la responsabilité de faire au moins un repas; cest une vie commune où tous doivent participer aux tâches journalières. Alors que nous discutons, le panier se remplit de victuailles : fromages, viandes froides, et bien sûr de vin, nectar indispensable à toute réunion artistique. Les artistes arrivent progressivement et le séjour se culmine par louverture officielle du site. À ce moment, le public est invité à visiter les lieux de lexposition et vient assister aux différentes performances. À peine à dix minutes de voiture, nous nous dirigeons vers Quincerot. Sous un soleil radieux, une magnifique maison de pierre; dans la cuisine, je rencontre Annie Coridon, performeuse, la compagne de Jean, et François Bernard, photographe, avec son chien Pussy. Mots de bienvenue, politesses, présentations puis on fait le tour du propriétaire : salon, chambre des maîtres, studio de danse (qui devient dortoir à loccasion), studio multimédia, chambre dinvités, grange, jardin et, juste en face de la propriété, un ancien lavoir.
Isabelle Hayeur
Les artistes venaient de plusieurs pays :
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de France Alice, Ingrid Ar, Hernani Cor, Annie Coridon, Jean-Pierre Ducamin, Bernard François, Gilles Gally, Luc Lerouge, Frédéric Lormeau, Jocelyne Santos, Jean Voguet
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du Japon : Risa Takita et Nobuki Yamamoto
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de Pologne : Slavomir Brzoska, Tomek Wendland
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du Québec : Isabelle Hayeur et moi-même, Sylvain Latendresse
Durant cet événement, la plupart des disciplines sont représentées : danse, installation, musique, performance, photographie et sculpture. Les artistes locaux arrivent dans les derniers jours histoire de laisser toute la latitude aux visiteurs afin de prendre possession de lespace. Lemplacement où lartiste réalisera son uvre est choisi en fonction des disponibilités spatiales et du projet à créer. Avec laide, et sous lil vigilant, de Jean Voguet, les artistes installent leur uvre et envahissent les différents lieux dexposition. Il serait présomptueux de vouloir résumer dix jours de rencontre, dix jours de création et déchanges, à parler de tout et de rien autour dun bon repas, verre de vin à la main, partageant opinions, amitiés, allant des choses des plus importantes aux plus banales de lexistence. Je me contenterai donc de souligner certains moments ou uvres qui ont retenu mon attention lors de linauguration de cette édition du C.r.a.n.e.
Sylvain Latendresse
Pendant la journée, les gens visitent librement les différents endroits où lon retrouve les uvres et les installations. Par la suite, le public est invité à assister à un programme de performances. Il sagit dun parcours à la rencontre duvres et dartistes ayant des problématiques plastiques singulières. Tout près de lendroit où se déroule lévénement, un voisin a mis à la disposition du symposium un terrain que deux artistes ont décidé denvahir; il sagit de Jocelyne Santos et de Luc Lerouge. Cest dans un petit quadrilatère dherbes folles que Santos a installé son uvre : seize tiges de métal coiffées de cônes et de balles de couleur argent. Les tiges bercées par le vent donnent au métal un aspect végétal; ces grands fouets créent un lien entre ciel et terre. Un peu comme une girouette, ils indiquent la direction du vent et font ainsi apparaître les forces physiques de linvisible. Dans un tout autre ordre didée, Lerouge présente une installation picturale. Nous y retrouvons la signature habituelle de lartiste, cest-à-dire une uvre dans laquelle les paramètres sont limités aux couleurs primaires soit le jaune, le bleu et le rouge. Cette fois des plaques de plâtres sont plantées dans le sol, couchées sur le terrain ou appuyées sur un mur de pierre. Elles apparaissent telles des stèles funéraires auxquelles lartiste a introduit, à quelques reprises, des radiographies de parties du corps humain ajoutant ainsi une dimension anthropologique; un peu comme si chaque plaque nous laissait entrevoir les restes qui se cachent sous terre.
Luc Lerouge
À lintérieur de la cour consacré au symposium, on découvre luvre de Gilles Gally. De facture plus classique, la mise en scène nous fait découvrir lunivers de la petite école : lardoise, le tableau noir, le siège de bois, une petite échelle près dune palissade. La voix dYves Montand en train de chanter une chanson de Prévert et Cosma me vient en tête : En sortant de lécole : "En sortant de lécole, nous avons rencontré un grand chemin de fer qui nous a emmené tout autour de la terre dans un wagon doré, tout autour de la terre nous avons rencontré la mer qui se promenait
" Non loin de là, dans un ancien four à pain, Slavomir Brzoska utilise de façon fort ingénieuse lillusionnisme spatial. Par lentremise dune embrasure, on aperçoit une structure architectonique réalisée à laide dun squelette de bois et des ficelles blanches illuminées par un faisceau bleu. Lobjet donne ainsi limpression de flotter dans lobscurité. Jeu de lignes, de lumière et despace, cest à se demander si nous sommes devant quelque chose qui appartient à lunivers de la sculpture ou bien celui du dessin. Cette uvre permet de glisser vers celle de Nobuki Yamamoto qui sapparente, dans ce cas-ci, au travail de Brzoska. Cette fois nous sommes dans ce qui devait être une ancienne mangeoire. Au sol, une toile verte foncée est recouverte deau; un rectangle, réalisé à laide dune corde, est suspendu dans les airs. Linstallation donne limpression de suspendre la ligne dans le vide et se poursuivre dans leau en raison du reflet. Ce dernier devient tout aussi attrayant à lil que la réalité de luvre elle-même. Par ce jeu simple de lignes et de miroir, Yamamoto interpelle le regardeur à se poser la question à savoir du reflet ou de luvre, lequel est la vérité? Isabelle Hayeur a, pour sa part, réalisé un travail intéressant sur la notion de paysage en confrontant limage bucolique de Quincerot à celle dune mine damiante située à Black Lake au Québec. Hayeur manipule les images numériques afin de re-créer un paysage lunaire et de nous faire comprendre quel serait limpact de limplantation dune mine dans un pareil endroit. Plus près de la photographie conventionnelle, François Bernard utilise la technologie numérique pour nous faire découvrir une séquence de mains prises lors de son séjour en Bourgogne. Cette fois, il sagit dun travail sur la lumière qui confère à luvre un caractère mystique. La désincarnation de la matière souligne le caractère évanescent des mains et révèlent le langage corporel, une psychologie de lâme.
Jocelyne Santos
Hernani Cor, toujours fidèle à lui-même, introduit son personnage de vieille dame portugaise toute vêtue de noir avec une performance dun humour caustique. Le rôle de lhomme dans celui de la femme nest pas sans rappeler lutilisation quen faisait les "Monty Pyton". Une chansonnette de Montand sur un vieux tourne-disque, une télévision diffusant des images dune jeune fille sur une balançoire, la mémé se balançant, des ballons, tout est prêt à la mise en scène, les ballons finiront crevés comme autant de rêve de jeunesse, une virginité perdue. Quant à Risa Takita, elle exécute une danse où se mêlent les gestes rapides et saccadés en contraste avec la douceur de certains moments. Un costume argenté, des ailes translucides, comme un papillon Takita attirée par la lumière dune lampe entre dans une danse du feu, une danse où la mort ne peut être que la seule issue. Nous sommes invités à découvrir un heureux mélange de la tradition japonaise et de la danse occidentale.
Slavomir Brzoska
Cette 6ème édition aura permis, une fois de plus, de donner aux artistes loccasion de se rencontrer et de travailler dans un contexte propice à la création. Il sagit dun événement qui mériterait assurément une plus grande diffusion. Au cours des années, les artistes ont imaginé des alternatives qui leurs permettent dexplorer des chemins en dehors des sentiers traditionnels et des milieux institutionnels des galeries et des musées. Dans un contexte de mondialisation, ce type dévénement permet aux artistes déchapper à luniformisation ambiante et donne aussi loccasion au public de réaliser des découvertes et détablir des contacts privilégiés qui dépassent quelquefois le domaine propre de lart.
Sylvain Latendresse
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