IMA
Claudio Bravo
Chili
Prado
Trompe-l'œil
Rothko
Geneviève Asse
De Chirico
A contre-courant
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L'institut du Monde Arabe (majoritairement financé par le contribuable français) a présenté en collaboration avec la galerie Malborough à New York au printemps 2004, les toiles d'un peintre chilien, Claudio Bravo, né en 1936 à Valparaiso, il a été publié un catalogue largement illustré reproduisant en pleine page couleur les 67 œuvres présentées, essentiellement des huiles de grand format provenant de collections particulières, exception faite de "Vanités" (1981) appartenant au musée des Beaux-arts de Boston. Bien que vivant depuis plus de 30 ans au Maroc, les toiles de ce peintre n'apparaissent pas dans les musées d'Afrique du nord ou du Moyen-orient mais dans les collections publiques américaines, au Chili ou au Mexique et, pour l'Europe, à l'Ateneum d'Helsinki et à Rotterdam. Ceux qui hantent les foires d'art, l'auront croisé aux FIAC de 1980 et 1992 à Paris, et à l'ARCO de Madrid en 1992.
Né dans une grande famille terrienne, Claudio Bravo a quitté le Chili dès 1961 pour Madrid où, dix années durant, il a étudié les maîtres du Prado, notemment Velasquez et Zurbaran. C'est assez dire qu'il n'a pas choisi de s'immerger dans les mouvements de son époque : le PopArt et le minimalisme, pas même dans les aventures déjà classiques du 20ème siècle prolongeant les audaces de l'abstraction, du cubisme et du surréalisme.
Un peintre académique ? Oui, en ce sens qu'il s'applique à suivre les précepts émis à la Renaissance : souci de la composition dans un juste rapport de la forme au fond, science des contrastes par le rapprochement de couleurs de densités différentes, traduction savante des jeux de l'ombre et de la lumière jusqu'à l'obtention d'un trompe-l'œeil pour rendre l'effet tactile d'un plissé, le moelleux d'une étoffe ou le velouté d'une peau.
Claudio Bravo, Gandura rose, 1995, huile sur toile
Donc une grande maîtrise des techniques picturales (souvent qualifiées d'art pompier) mais en même temps comment comprendre qu'au début des années 60, à New York, un dialogue ait pu s'établir entre Claudio Bravo (exposant à la galerie Staempfli des natures mortes - de simples emballages -) et le méditatif Rothko ? sinon que tous deux ont partagé l'obsédante nécessité de faire palpiter les pigments colorés posés à la surface de la toile, de telle manière que le rendu de luminosité obtenu transcende le motif, qu'il soit figuratif ou abstrait. Dans "la Dentellière", Vermeer visait moins un témoignage sociologique sur le vécu de l'ouvrière que la visibilité de cette énergie impalpable qu'on nomme Lumière. Tout comme aujourd'hui les monochromes bleus de Geneviève Asse en tentent la capture. C'est pourquoi les assertions que formulent Tahar Ben Jelloun dans un très long texte de préface nous paraissent hors du propos du peintre.
A plusieurs reprises Tahar ben Jelloun revient sur le passé de la colonisation française au Maroc, or aucune toile ne témoigne d'un engagement du peintre sur ce terrain politique. Il peint ce qu'il observe, ce qui l'entoure. Résidant au Maroc, il peint - merveilleusement - des céramiques et des tapis, des fruits et des épices, des étoffes et des coffres mauresques. Ses modèles, des hommes et des femmes, sont des proches de sa demeure, des marocains qu'il met tout naturellement en scène, notamment en 1994 dans la Cène, non pour blasphémer et provoquer la hire des chrétiens, mais en hommage à la célèbre toile de Velasquez qu'il a si passionnément étudié au Prado, de même qu'il a peint (sous les traits d'un marocain) "le Turban rouge" (1977) en hommage à Rembrandt. Claudio Bravo dit lui même : "je travaille avec passion sans philosophie propre : Je ne cherche pas à démontrer quelque chose. Je sais que mes tableaux se contredisent". Tahar Ben Jelloun (pourquoi tant de hargne ?) écrit encore que "la pire des insultes qu'on peut faire à son travail c'est d'évoquer la photographie". Pourtant la raideur des personnages évoque souvent celle de la pose des premiers portraits photographiques. Il leur manque l'illusion d'une palpitation, d'un soufle de vie. Cette raideur si accentuée en devient étrange et voulue, elle est la marque de l'influence qu'ont pu avoir sur lui des peintres comme Giorgio De Chirico et Morandi pour lesquels dans un entretien avec Edward J. Sullivan à Marakech (2003), il reconnait avoir "une immense admiration".
Sa vision de l'art contemporain ? "La peinture actuelle est plus souvent fondée sur l'idée que sur la couleur. A mon sens, la technique aussi se perd. Beaucoup de peintres contemporains dessinent moins et accordent ce qui est pour moi une importance exagérée au concept… en fait mon travail est un mélange de réalisme, d'abstraction et de classicisme. Ce que j'essaie de faire, c'est aller à contre-courant des tendances actuelles de l'art. C'est ce qu'a fait Picasso et ce que j'espère moi-même accomplir"
Liliane Touraine Arbois, septembre 2004
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