L'idée d'Europe
technocrate
est aujourd'hui
à dépasser,
l'Europe est une
communauté
de destins
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Penser à l'Europe autrement qu'au vieux continent géographiquement connu, c'est à dire en termes d'échanges et de coopérations est relativement récent, surtout en France. Or le vieux continent à toujours était là et il est à venir. Si l'Europe politique, économique et surtout sociale peine à se réaliser, l'Europe artistique, au contraire, et malgré les griefs de quelques intellectuels, est déjà un chantier bien avancé. Les artistes, les expositions, les professionnels de l'art contemporain s'échangent, se rencontrent et même débattent comme cela aurait du être le cas lors du quatrième congrès interprofessionnels de l'art contemporain.
L'intitulé du congrès « l'enjeu européen de l'art contemporain : échanges et coopérations » est en lui-même sujet à contestation : en effet pourquoi vouloir enfermer l'art dans une dimension européenne ?
L'art n'est ni national ni européen, ni même international, il est tout simplement. De plus, si on parle du critère géographique, et si on joue sur les mots, de quelle Europe parle-t-on, de celle d'hier ? de celle d'aujourd'hui ? de celle de demain ? L'art et ses acteurs ne doivent pas avoir de frontière, ou une frontière en perpétuelle mouvance allant du voisin à l'autre bout de la terre. Pourquoi se priver d'informations, d'échanges, de compétences pour des limites naturelles de frontière ?
Le problème économique et budgétaire se pose aussi avec acuité. Tous les professionnels et les amateurs avertis savent qu'il est important et que les moyens manquent considérablement dans les arts plastiques. Martin Bethenod mandaté par le ministre de la culture et de la communication Jean-Jacques Aillagon retenu au Sénat, a tout de même répété que le budget national de la culture augmenterait en 2004 de 2,5% , omettant de mentionner les différentes baisses successives de ces dernières années. Au niveau européen, Olivier Poivre d'Arvor faisait et à juste titre remarquer que « les vaches touchent plus d'argent que les artistes », la comparaison peut paraître facile, mais elle résume bien la situation. Même s'il existe des plans au niveau européen comme Projet 2000, celui-ci reste lourd dans son fonctionnement, très administratif, mais il a le mérite d'exister et d'aider quelques projets, mais avec un budget bien maigre toutefois.
Il est aussi intéressent de faire remarquer et le CIPAC leur a donné la parole un court instant, que de nombreuses associations se battent pour exister et faire reconnaître leur statut dans le milieu de l'art. Les quinze associations (AFROA, FFCR, CNEEA, AICA France…) ont pris la parole tour à tour ; en un mot, pour chacune et pour toutes, les problèmes se suivent et se ressemblent. Le manque de moyens financiers, d'équipements, de formations spécialisées sont récurrents. Plus grave, leur spécificité propre est souvent remise en question ou très mal appréciée. Par exemple, l'Association Française des Régisseur d'œuvre d'Art (AFROA) existe depuis les années 90 ; or, les régisseurs, si, par chance, il y en a dans les structures sont sous-payés, si on considère leurs compétences (conservation préventive, organisation des transports, assurances…) et leurs polyvalences (ils font souvent office de peintres, de menuisiers…). Pourtant, leur rôle et leurs missions sont essentiels si on souhaite assurer les expositions et la bonne conservation des œuvres dans le futur. Les associations jouent un rôle essentiel dans la diffusion de l'art contemporain : c'est grâce à leur dynamisme, leur passion, leur générosité que de nombreuses actions existent. Les emplois jeunes arrivant bientôt à terme et le CIPAC l'a bien mentionné, beaucoup d'associations sont en péril, au bord de la fermeture. Il est important d'en prendre conscience vite et de régler le problème afin que la création contemporaine vive et s'épanouisse.
La notion de mobilité, a aussi été abordée : le problème n'est évidemment pas de pouvoir aller voire une exposition en Espagne ou en Allemagne, mais il s'agit de la mobilité des professionnels. Il est extrêmement difficile sauf quelques rares exceptions d'aller travailler à l'étranger, car les diplômes, les statuts, les cadres institutionnels sont différents dans chaque pays. Le statut de l'artiste en France est inconnu comme dans de nombreux pays, mais pas en Allemagne, par exemple. A cela, il faut ajouter les notions d'exception, de diversité culturelle étrangère et surtout française qui handicape de nombreux projets. Le plus souvent et à juste titre, le CIPAC l'a affirmé et a demandé "un partage des qualités"; (Catherine David). Chaque pays, possède ses propres organismes, institutions. Ainsi, par exemple, la France a la chance de posséder les FRAC et les centres d'art dont de nombreux pays envient la richesse, car arriver à mêler politique nationale et régionale est aujourd'hui presque un exploit.
Il est aisé d'adresser des reproches au CIPAC, de le critiquer tant sur le thème retenu que sur l'organisation, le système des tables rondes ou des débats. Mais il a le mérite d'exister, de poser plus de problème que dans résoudre et c'est heureux. En effet, faire émerger des questions ou des notions à travailler est le but des rencontres des professionnels. Les notions de décloisonnement des pratiques, des cadres de pensée, de mutualisation des ressources des savoirs faire, de multilatérisme, de citoyenneté, de marché, de champs privé/public… ont été abordées, sans être solutionnées. Tous les professionnels s'accordent à dire que l'Europe peut vivre et se développer que si les habitants agissent ensemble comme le fait remarquer Enrico Lunghi, directeur artistique du Casino au Luxembourg. En effet, la création de réseaux, de structures d'échanges telles que la fondation de France, les villas d'artistes et les bourses… n'ont fort heureusement pas attendu les politiques, par là les institutions pour exister et s'organiser. L'idée d'Europe technocrate est aujourd'hui à dépasser, l'Europe est une communauté de destins.
Pour conclure, aujourd'hui l'Europe est un enjeu à investir et des limites à dépasser.
Clément Nouet Metz, novembre 2003
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