espace-sculpture
où pluie, terre,
lumière et air
trouvent
leur cadre
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Chillida abandonne ses études d'architecture en 1947, il part à Paris pour se consacrer à sa sculpture, il expose pour la première fois en 1950 au salon de Mai. En 1951 à Paris, celui-ci rejette la figure et la pierre et recommence à zéro auprès du forgeron de village d'Hernani. C'est à ce moment là que naît le Chillida sculpteur que nous connaissons tous, en contact avec la terre, le fer et la forge. Comme presque aucun autre sculpteur du XXe siècle, il met en valeur le fer, sa dynamique, sa résistance souple. Il exécute des pièces monumentales dont les volumes comportent des courbes et des coudes crochus qui se nouent et se dénouent dans l'espace "Isoko Azké" en 1954. Puis il aborde les spirales proches des formes des instruments aratoires basques "Esprit des Oiseaux" en 1955, "Eloge de l'air" en 1956. Les 17 versions de "l'Enclume du rêve" parcourent son œuvre comme un leitmotiv entre 1954 et 1966. Il obtient le grand prix de sculpture à la biennale de Venise en 1958. Après 1973, il travaille aussi l'albâtre, la terre cuite et ensuite le bois qu'il assemble en volumes équarris, puis le granit. Il a eu presque tous les prix internationaux et a dressé des œuvres colossales dans le monde entier, entre autre devant l'Unesco à Paris.
Les stèles que Chillida dédie à partir des années 60 notamment à Pablo Neruda, à Millares, à Salvador Allende, sont elles aussi dérivées du motif de l'enclume. En 1977, Chillida transpose son vieux motif des "Peignes de vagues" dans le gigantisme. Trois sculptures s'ancrent ainsi dans les embruns, l'eau et le vent sur la grève rocheuse de San Sébastien. Il interroge la mer sur la signification de sa force.
C'est près de la ville d'Hernani à 10 kilomètres de San Sébastien dans le pays basque, où se trouve le musée d'extérieur Chillida-Leku, inauguré en l'an 2000, sur le lieu même de "caserio" ou ferme de Zabalaga (grand champ en basque), construite en 1594. Dans sa restauration, Chillida l'a presque vidée et a créé à partir de là l'espace à l'intérieur. C'est à dire qu'il a fait de celle-ci une sculpture alors que l'extérieur est resté fidèle à ce qu'elle était. A l'intérieur, parmi la centaine de sculptures, le rez de chaussée abrite une sélection d'œuvres de moyen et grand format, correspondant aux vingt dernières années, réalisées en acier, albâtre, granit et terre cuite. Au mur sont suspendues les "gravitations" en feutre, qui contrastent avec les murs en pierre. Dans la deuxième salle, nous observons des dessins de diverses époques, ainsi que les plâtres faits à Paris (1948-51) et les fers forgés faits à Hernani, au retour de la capitale parisienne. Dans la salle 3, nous sont présentés les projets d'œuvres pour espaces publics, dont certains ont été réalisés à une échelle monumentale, alors que d'autres n'ont pas été exécutés. Plusieurs albâtres des années 60 sont là, une grande sculpture murale en terre cuite et oxyde de cuivre, et une série de dessins de mains, si propres à Chillida, dans lesquels sa maîtrise de l'espace est mise en évidence. La dernière salle présente l'œuvre la plus intime et la plus personnelle, avec les "gravitations" découvertes en 1985 et dans lesquelles le dessin acquiert une troisième dimension. On y trouve aussi les terres cuites qu'il a réalisées à plus petite échelle et qui lui ont servi pour la création de nombreux granits.
Le "vide" intérieur de Zabalaga est le premier modèle à l'échelle de Tindaya : un endroit de ré-union, pour regarder et penser le paysage : le "vide" en tant qu'espace de recueil et réunion. Le "vide" au lieu du volume deviendra dès lors la devise du basque Eduardo Chillida.
La ferme de Zabalaga est entourée d'un site naturel dominé par des hêtres, des chênes et des magnolias, sur une pelouse de 12 hectares sont exposées une quarantaine de sculptures de grandes dimensions en fer ou en granit pour la plupart.
Le site géographique fournit à Chillida, non seulement le matériel, mais également le cadre dans lequel se place sa sculpture depuis 1948 : c'est une œuvre de plus où se concrétise à la perfection sa vision de la forme. Créer un espace à la mesure de son œuvre, tel était son rêve.
Il nous apprend à voir et à observer le fer et la terre, l'oxyde et la pluie, mais surtout à percevoir que le temps est une dimension de l'espace.
Toujours en marge des partis ou des idées politiques, quels qui soient, Chillida fait un pari sur la personne, l'homme, l'être humain, par-delà les races ou les croyances. Son œuvre est un cri de liberté, invite à la compréhension, clame la paix et la tolérance par dessus tout.
L'artiste n'est pas indifférent au contexte physique, social et culturel qui l'entoure, et l'œuvre de Chillida, comme celle d'autres artistes, reflète un engagement clair vis à vis de son environnement. Il collabora avec différentes organisations comme l'Association en faveur des Droits de l'Homme ou Amnesty International pour laquelle il réalisa de nombreuses affiches, ses fameux dessins de mains, mains que Chillida a dessinées sans répit tout au long de sa vie, mains tendues, mains ouvertes, mains amicales , mains solidaires.
Selon les mots d'Eduardo Chillida lui-même, "Tous les hommes forment une unité, nous avons tous la même origine". Le thème central de son grand rêve, la grande œuvre qu'il ne parvint pas à réaliser : la création d'un grand lieu de rencontre de 400 mètres de hauteur, dans la montagne Tindaya aux îles Canaries, il voulait créer "un grand espace intérieur et l'offrir à tous les hommes de toutes races et de toutes couleurs, une grande sculpture pour la tolérance".
Il réussit à réaliser ce lieu qui lui tenait tant à cœur, qui est son œuvre en elle-même avec le parcours de sa créativité qu'il nous donne à découvrir et qu'il se plaît à nous dire : "Dans mon pays basque, je me sens à ma place, comme un arbre adapté à son territoire, sur son terrain mais avec les bras ouverts au monde entier… " Vaste pensée… à méditer.
Elisabeth Petibon Paris, mars 2005
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