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Mais au vu de l'exposition qui se déploie comme un jeu de pistes dans le magnifique parc boisé ainsi que dans les salles du château XVII°, nous ajouterons qu'il nous est aussi donné l'occasion de réfléchir sur ce que l'art d'aujourd'hui peut aussi nous dire de lui (au delà évidemment de ce que l'art dit du monde). Sans reprendre non plus les thèses modernistes qui ont privilégié les constituants même des expressions artistiques comme propres thématiques, il est maintenant temps de prendre en compte ce que l'art ne nous avait pas habitué à voir sur le monde, ou plus exactement la manière dont celui-ci renouvelle notre façon de penser le monde. Et les œuvres choisies ici nous y aident le plus souvent avec grand bonheur.
Serait-ce le monde du sport qui en est la cause, sûrement pas, mais nous ne pouvons tout de même évacuer ce que cette activité corporelle, sociale et le plus souvent communautaire nous permet d'appréhender tant sur le plan politique que culturel. Et l'esthétique où serait-elle alors logée s'il n'est pas trop superflu ou même blasphématoire d'en utiliser encore le mot ? Et bien justement dans la forme même des œuvres, dans ce justement qu'elles ne nous montrent pas (éloge du hors champ pour certaines), dans le choix de leur emplacement, dans le potentiel ludique ou grinçant, tendre ou critique que dessins, peintures, sculptures, installations, photographies ou vidéos peuvent distiller d'émotions et de réactions, de sensations et d'actions. Alors il n'est plus de l'ordre de la langue de bois de dire que l'art fait penser en faisant tout aussi bien aimer que bouder.
Philippe Ramette, Plongeoir, 2004, technique mixte, mât : 750 cm, plongeoir : 180 x 145 cm, Collection du Domaine départemental de Chamarande, Conseil Général de l'Essonne
Comment en effet rester indifférent à ce but en vitrail - représentant un boulanger faisant son pain - de Wim Delvoye, judicieusement exposé dans la chapelle du château comme pour nous rappeler que le pain, la religion et l'art, mais aussi le sport, sont les nourritures intemporelles de l'homme quitte à ce que celles-ci soient considérées suivant l'époque comme opium du peuple ainsi que nous le rappelle Jean-Marc Huitorel. Comment ne pas sourire devant ces panneaux de basket "Herbivores" de Jacques Julien qui semblent broûter l'herbe de la pelouse que Marie Denis, a elle, scarifiée des limitations blanches d'un terrain de football venant se superposer virtuellement à celles d'un jardin français dessiné par Lenôtre ? Comment aussi ne pas avoir envie de jouer au ping-pong de Richard Fauguet dont la balle et la raquette sont trouées de l'impact des fragiles petits projectiles blancs ou fluos ? Ainsi aussi de l'improbable plongeoir de Philippe Ramette fixé comme une caméra de surveillance à 5 mètres au-dessus de nos têtes ou de ce face à face grinçant des deux buts de foot qu'Ange Leccia a détournés en cage ou prison? Et d'autres aussi à revoir ou à découvrir… Lilian Bourgeat, Raymond Hains, Guillaume Poulain, Vivian Ostrovsky, Roderick Buchanan, Squash Cake Bureau (Nadia Lauro & Laurence Cremel)…
Muriel Toulemonde, Atalantes, 2004, impression couleur sur bâches, 280 x 420 cm, création spécifique pour le parc
Mais peut-être serons-nous moins convaincus par les sculptures de footballeurs en chocolat de Jacques Halbert, devant la photographie d'équipe devenue négatif gourmand par l'art matiériste de Vik Muniz ou face à celles grand format noir et blanc des Bodybuilders de Valérie Belin, mais n'est-pas justement quand les acteurs du sport ne sont pas représentés que l'art trouve la juste mesure pour nous dire ce qu'il est et ce que le sport nous dit de nous et des autres, comme si l'image avait fait son temps, comme si la représentation des hommes ou des choses n'avait plus aucune force de conviction. Le détour, le détournement, le hors-champ ou le simple objet, la parole ou le geste, et non plus la figure pour dire, faire advenir à la vue et à l ‘esprit. Tel est l'enjeu peut-être discret mais efficace du choix de nombre d'œuvres ici présentes.
Pas étonnant alors que ce soient les artistes qui utilisent la vidéo qui nous fassent oublier, presque paradoxalement, les sportifs, pour nous conter le sport et une certaine force de l'art, leur place dans notre intimité – sublime métaphore du couple chez Salla Tykka où le match de boxe côtoie magnifiquement la chorégraphie dont certains pourraient s'inspirer…- mais aussi leur pouvoir d'embrayeur d'imaginaire tel que Virginie Yassef nous propose de l'expérimenter au vu de ses "Guetteurs", à moins que nous ne préférons nous laisser entraîner par Effi et Amir dans leur performance marathonienne dont l'image enregistrée de leur dos ne forme plus qu'une surface charnelle dont le corps exprime la vie dans cette fulgurance souterraine que l'Atalante photographique de Muriel Toulemonde exprime dans cet envol retenu qui fixe le point de vue de la chapelle du Belvédère à l'autre bout du parc. Reste alors pour nous convaincre que rien n'est plus sérieux que l'art et le sport lorsqu'ils se rendent complices du jeu ironique et dérisoire auquel se livrent Pierre Joseph et Philippe Parreno grâce à la figure de l'idiot : celle qui sans le savoir invente de nouveaux jeux – le "Snaking" en l'occurrence– et ne peut que vous inciter à venir vous aussi, jouer seul ou en équipe un dimanche à Chamarande…
Michelle Debat Paris, Juillet 2004
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