Saint-Sulpice
Défié
Révélation
Lutte
Tension
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"Il n'y a rien à faire, le réservoir de résine fuit toujours !" constate Faust Cardinali, plasticien, debout, au pied de son édifice baptismal échafaudé cet automne à l'intérieur de l'Eglise Saint-Sulpice, à Paris.
Il fallait s'y attendre… En suspendant 600 litres de résine à 7 mètres du sol dans un réservoir qui pèse à lui seul 100 kg, Faust a défié les lois de la pesanteur ou plutôt celles de la gravité. Gravité physique à laquelle tout mortel est soumis, mais que certains préfèrent oublier pour se soumettre à une gravité morale tendue vers un Dieu triste et fermé à toute ambition aérienne. Le livre d'or mis à disposition des visiteurs de l'église (jusqu'à ce que le prêtre s'en saisisse) dresse un drôle de portrait de la chrétienté : insultes et intentions vicieuses sont prêtées à "celui qui a osé faire une chose pareille".
Faust Cardinali, "Baptême (une affaire liquide)"
Mais ce Faust-là n'a pas pu outrager la chapelle où lui-même a été baptisé ! Baudelaire, Sade, Talleyrand, des "effrontés" pour le Dieu Créateur, l'ont de toute façon précédé enfants, bénis dans les Fonts baptismaux de Saint-Sulpice.
La résine - du vinovynil - est destinée à se fixer sur dix agrandissements de certificat de baptême. Dix personnes baptisées ont donc acheté à Faust un tableau de leur propre certificat. Environ une fois par jour, Faust prend les commandes de son baptistère. Il ouvre la vanne et la résine, blanche, se répand sur l'un des agrandissements placé sur une table réceptacle qui servait, en d'autres temps, au nettoyage de bestiaux. Dans les grands traits, le rituel a quelque chose de païen et de "spermatique" certes. Mais, s'arrêter là serait ignorer les nuances que Faust a soigné plus que tout.
Une "plus-value poétique" vient se mêler à la résine : Faust, à l'aide d'un instrument chimérique, composé d'une boussole et d'une mèche de ses cheveux, sème un peu de poussière de métaux, d'or, d'argent, d'aluminium, de cuivre, récupérée au cours de dix ans de montage de bijoux, activité parallèle de Cardinali.
Patience ensuite ! L'œuvre sèche, se solidifie et devient limpide, transparente comme une révélation. Au bout de plusieurs jours, le certificat réapparaît sous les épaisseurs variables de la résine. Les pieux détracteurs n'auraient-ils pas pris le temps d'attendre ? Pourtant, Saint-Sulpice, "en matière d'exposition, est propice à ces visions flottantes. Est-ce dû à cette lumière de morte-eau ? L'imagination erre dans ces courants de marée sans jamais sombrer, la clarté agit comme une source de vie S'opère une sorte de photosynthèse (La lutte avec l'Ange, Jean-Paul Kauffmann, Editions de La Table Ronde, Paris 2001).
Faust Cardinali, "Baptême (une affaire liquide)"
Peu de personnes ont l'air concerné par les nuances. Ni prieurs, ni amateurs d'art. Faust Cardinali déplore la crispation des uns, l'indifférence des autres. En face, dans la chapelle des Saints-Anges peintes par Delacroix, Jacob lutte avec l'Ange. L'homme contre une divinité, corps à corps énigmatique de la Genèse.
Les certificats-tableaux se créent dans un échafaudage. Le baptistère ressemble à un atelier de peintre, de sculpteur, de monteur de décor… L'échafaudage qu'utilisait Delacroix pour "faire le siège du mur qui se dérobe" (La lutte avec l'Ange) avait été loué à l'entreprise Auguste Bellu. Celui du baptistère est prêté par la société Layher.
C'est ainsi, le tangible est lié à l'idée d'art comme l'humain et le divin, le métal de l'échafaudage et les poussières précieuses, la coulée blanchâtre et son devenir cristallin… "Faust" et "Cardinali". N'est-on pas toujours dans cette tension entre Jacob et l'Ange ? Alors pour qui la question de la coexistence de l'homme avec une entité pérenne est-elle la plus dérangeante ? L'Eglise, la mairie du VIè arrondissement, les convertis à une seule foi, celle de l'art "contemporain" !
Pauline de la Boulaye,
Crédit photo : Patrice Bouvier
Octobre 2001
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