Le peintre présente ses dernières œuvres à la National Gallery of Modern Art, de grands formats presque bicolores dont l'attrait repose sur une séduction presque instinctive, celle, sensuelle, du grain de peau. Un grain de peau par moments trop lisse.
imperceptible détail affrontement du corps recherche d'éternité |
Rameshwar Broota photographie son corps à de multiples reprises jusqu'à saisir l'imperceptible détail, celui où l'on s'arrête sur soi et l'on peut, un temps peut-être, voir le vieillissement à l'œuvre. Ces photographies lui servent pour partie de banque d'images, d'inspiration mise en perspective (nous nous voyons, en effet, rarement, tout au plus nous nous imaginons) pour ses peintures les plus récentes, objet d'une exposition à la National Gallery of Modern Art de Bombay. Les détails du corps sont offerts au regard, surgissant de fonds noirs sur de très grands formats. La figure humaine ou ses synecdoques sont sur certaines toiles confrontées à d'autres éléments, émanant aussi de l'homme, car produits par lui. Ces avatars industriels, dont la fonction première reste obscure montrent, dans une dichotomie un peu simpliste, l'affrontement du corps, ses courbes et sa plasticité, avec les angles acérés de certaines prothèses que se crée l'homme pour assurer son confort et l'avancée du progrès.
Nous préférons les toiles où seuls apparaissent des éléments corporels alors montrés comme monumentaux. Pourtant, à couvert cette fois, c'est la même confrontation qui s'inscrit dans la fine épaisseur de la peinture de Broota. Une confrontation subtile entre l'extrême rugosité du monde et la fragilité inhérente à l'enveloppe corporelle. Le peintre produit très peu de toiles en raison de la lenteur de son procédé. Il applique une première fois une couche de couleur monochrome blanche, puis argentée, il recouvre ensuite cette surface de noir. Une fois la toile sèche, intervient le long et silencieux labeur de retrait de matière à l'aide d'une lame de rasoir afin de faire apparaître, en négatif, la forme voulue. La précision hallucinante de chaque incise conduira vers une peinture séduisante, à la fois troublante et comblant les sens. Un trouble naissant d'une confusion, nous pensons que ce degré de précision ne peut naître que de l'outil photographique. Rien de tel, et Broota s'ancrant ainsi doublement dans l'exercice de la contemplation provoque notre propre arrêt, nous donne le droit à une respiration plus lente, un regard qui s'attarde et déchiffre ce monde si propre à nous, notre corps.
Si nous contemplons, il semble que le peintre s'adonne aussi à cet exercice. Au déroulé de son évolution picturale, il parcourt aussi les différentes étapes de nos évolutions propres, du vitalisme et de la contradiction de la jeunesse à la contemplation, lot, peut-être, de l'homme mûr. A la fin années 1960, Rameschwar Broota peint la série des chimpanzés, critique du délitement et de la corruption des politiques ainsi que du manque de responsabilités des élites indiennes (Diagnostic Centre, 1971 ; Untold story, 1972). On reconnaît un autre symptôme de la jeunesse, l'inspiration, voire l'imprégnation d'une certaine patte, celle de M. F. Hussain, notamment X Ray of meeting en 1974. Cette peinture clairement engagée socialement laissera place avec le temps à une recherche formelle sur le corps. Broota abandonne peu à peu ce qu'il considère comme non essentiel dans la peinture, perte du chromatisme pour retenir un dégradé de gris, de noir et mordoré et mène alors une recherche sur le travail corporel, des muscles glissant sous la peau. C'est un regard en forme de boucle puisant des vues sur l'extérieur, les manœuvriers indiens dans la rue, se retournant enfin sur son propre corps. Le poète et critique Keshav Malik définit ainsi le travail de Broota comme une recherche d'éternité.
Ce qui pourrait être vu comme une trajectoire s'applique aussi à l'évolution, que ce soit celle de l'Homme, du primate vers l'Homo Erectus, celle des âges de la vie ou encore de la critique désabusée vers une vision hésitant entre le sensualisme de l'intimité et la rugosité du monde. Car les grands formats de Broota nous englobent et grossissent notre enveloppe corporelle dans une plasticité, cette fois imaginable.
Nous préférons nettement dans les dernières toiles celles où n'apparaissent que certains détails du corps. A child, then youth, now man, longuement découverte à la lame de rasoir au cours de l'année 2003, montre en arrière fond le buste d'un jeune adolescent, le cadrage s'arrêtant à mi-jambe. Au premier plan, c'est un majeur qui barre la scène, dans le signe quasiment universel indiquant, la rage non verbale d'un interlocuteur excédé : ce "fuck you" transversal renvoie, aux dires du peintre, à ce stade de la vie où l'adolescent découvre son corps, la sexualité et l'ensemble des besoins physiologiques ainsi que les pulsions inhérentes à ces découvertes. Si une lecture homosexuelle de la toile semble être une des ouvertures pour l'interprétation, une partie de l'Inde contemporaine pourrait s'en accommoder, mais pas certaines institutions, ni certaines générations d'artistes. Rameschar Broota est de ceux-là. Ainsi lorsque l'on contemple, on ne conteste plus. Encore une fois, c'est une mise en perspective de l'évolution, le doigt tendu ne se veut pas insulte, mais une réification de la vieillesse. Les plis de la peau, ce réseau serré de rides s'opposant à la plastique ferme du corps juvénile. Cette toile, ou A moment of going within, sont, de par leur format et leur composition, une forme de repos comme si l'artiste s'était trouvé et, par la même occasion offrait cette quiétude aux spectateurs. La couleur sépia rappelle cependant ces photos un peu passées dont se dégage une nostalgie charmante bien que teintée de conservatisme.
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Schridharani Gallery, Triveni Kala Sangam, 205 Tansen Marg, New Delhi 110 001, du 7 au 17 Décembre 2004
National Gallery of Modern Art, Sir Cowasji Jehangir Public Hall, S P Mukherjee Chowk, M. G. Road, Fort, Mumbai - 400 001, du 4 au 12 Janvier 2005
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