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Marcel Proust, La figure des pays

Images peu communes













L'œil visionnaire













Proust

La Bibliothèque nationale de France vient de rendre hommage à Proust. Je ne voudrais pas parler ici de la récente exposition Marcel Proust, L'écriture et les arts, qui a eu lieu dans la sinistre techno-nécropole du site Tolbiac, laborieux fourre-tout anecdotique qui réduisait Proust à la caricature de l'un de ses modèles. Je voudrais plutôt parler d'une petite exposition de photographies qu'il fallait trouver dans le bon vieux palais de la rue de Richelieu, au Cabinet des estampes et de la photographie, Marcel Proust, La figure des pays. Cette exposition-là était tout ce que l'autre n'était pas : un retour aux sources d'une grande fraîcheur, une méditation visuelle sur le fugitif et le permanent, toute imprégnée d'esprit proustien.

François-Xavier Bouchart (1946-1993) est un photographe d'une rare sensibilité, qui savait voir ce qu'il y a d'étrange dans ce qu'il y a de plus quotidien. Lecteur fervent de La recherche du temps perdu, il a parcouru au fil des heures, des saisons et des années les lieux qui ont inspiré le romancier et il en a rapporté des images peu communes. Revenant inlassablement sur les mêmes sites, comme un chasseur à l'affût, il y a attendu les jeux de lumière et d'ombres, les reflets des jardins sur les eaux dormantes, la floraison des iris sur les bords de la Vivonne, la chute des feuilles dans les allées d'un cimetière, ou encore les éclats des lustres sur les marbres de l'Opéra. A la vue de ses photos en noir et blanc, que l'on retrouve fort heureusement dans un livre magnifique*, on ne peut que s'émerveiller du don de double vue du photographe qui fait défiler ces " figures de pays " à la fois avec l'œil visionnaire de Proust et le regard du photographe d'aujourd'hui. Par quel miracle le photographe parvient-il à transfigurer la plage d'Houlgate, avec sa façade maritime et ses cabines de bain bien alignées, au point de donner à voir la plage de Balbec ? Et cet autre haut-lieu proustien, la salle à manger du casino de ce même Balbec, avec ses nappes amidonnées, son argenterie et ses verres de cristal, comment le photographe s'y est-il pris pour la faire surgir d'une vue panoramique de la salle à manger du Ritz ? François-Xavier Bouchart a eu aussi le génie d'attendre un moment de grâce de temps suspendu pour fixer les lieux, quand ils étaient comme épurés de toute présence parasite. Qu'il montre les falaises de Normandie, les canaux d'Amsterdam ou de Bruges, la plage de Trouville ou les kiosques silencieux du bois de Boulogne, ce sont des visions oniriques où la seule présence humaine est celle du photographe rêveur. Comme s'il plantait à l'intention du regardeur le décor dans lequel celui-ci est invité à déverser son imagination.




François-Xavier Bouchart


La démarche intuitive, réceptive et patiente du photographe a connu de rares moments de hasards poétiques. Ainsi, lorsqu'il photographiait la cathédrale d'Amiens, songeant aux propos de Proust sur les dangers que les zeppelins faisaient courir aux cathédrales pendant la guerre, I'un de ces aéronefs (publicitaire, celui-là) entra dans son champ de vision au-dessus des voussures du portail. Cette photo est reproduite dans le livre et l'histoire est rapportée par Nadine Beauthéac-Bouchart dans son émouvante préface. Autre hasard, la découverte aux Puces d'un ancien appareil de prise de vue panoramique à obturateur pivotant. C'est avec cet appareil que le photographe est parti à la recherche de l'auteur de la Recherche. Or, ce type d'appareil introduit une courbure de la ligne d'horizon dans le champ de vision. Si beaucoup de photographes utilisent les aberrations optiques de ce type pour produire des "effets" dans leurs œuvres, François-Xavier Bouchart n'en fait rien. Au contraire, il s'ingénie à faire fondre la courbure dans le paysage, mettant en valeur l'arabesque d'un sentier (à Tansonville), soulignant les jeux de la mer et des falaises ou encore la ligne d'horizon d'un château (celui des Guermantes) perché sur une colline boisée. La technique reste toujours au service de la vision.




François-Xavier Bouchart, © Nadine Beauthéac
La barrière blanche à Illiers, Combray


Rien de hâtif, d'instantané, dans ces photos. Chacune d'elles porte pour ainsi dire le souvenir des heures et des journées d'affût passées à saisir le moment propice, I'instant d'un rare bonheur, celui du temps retrouvé.

Michel Ellenberger

*Photographies de François-Xavier Bouchart, Marcel Proust, La figure des pays.
Flammarion, 1999. 128 pages, format à l'italienne.

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