"J'avais
toujours
pensé que
l'art pouvait
permettre
d'échapper
aux cruautés
de la vie,
constituer un
refuge pour
la beauté et
la sérénité"
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La fondation Dina Vierny-Musée Maillol présente une importante exposition consacrée aux œuvres récentes de peinture, pastels et dessins, et ce, pour la première fois pour un musée à Paris, du plus célèbre des artistes sud-américains Fernando Botero. Une centaine d'œuvres présentées recouvrent les cinq dernières années de son travail et sont pour la plupart totalement inédites, en grande partie elles proviennent directement de son atelier. Outre les sujets de prédilection comme les natures mortes, les scènes de lupanar, de tauromachie, ou de pique-nique, Botero introduit des thèmes plus graves comme la violence en Colombie où règne depuis des décennies un climat d'une rare cruauté. L'artiste décrit avec la même facture lisse et joyeuse les fêtes galantes, les scènes d'enterrement, les massacres et l'image des cadavres qui marquent la vie quotidienne de ce pays.
Il nait le 19 avril 1932 à Medellin en Colombie. Après deux expositions à Bogota, il remporte en 1952, le deuxième prix du IXème Salon des artistes colombiens. Grâce à quoi il part en Europe. Il désire voir les grands maîtres et apprendre une technique, la technique indispensable pour faire de la peinture. Il va d'abord à Barcelone, la ville de Picasso, puis à Madrid où il s'inscrit à l'Académie San Fernando. Il travaille avec acharnement la technique des tableaux du Titien, de Goya, du Tintoret, de Vélasquez dont il fait des copies après avoir été saisi d'émotion devant un tableau de Zurbaran. C'est à ce moment qu'il se démarque, la plupart des étudiants cherchent leur voie dans l'abstraction, le nouveau vocabulaire pictural, pour lui il y a quelque chose d'incomplet. L'art est une balance entre un grand art expressif et sa forme décorative. Il ressent l'abstraction comme avant tout un art décoratif. Il se rend à Paris, et une fois de plus est déçu par l'art de l'avant-garde, préférant étudier au Louvre les maîtres anciens.
Fernando Botero, danseuse à la barre, 2001
En 1954, il se rend en Italie où il entre à l'Académie de San Marco de Florence. A l'époque où le tachisme connaît ses premiers succès, il commence à travailler à la manière des artistes de la Renaissance. Il apprend la technique de la fresque et suit des cours de peinture à l'huile le soir. L'influence de Piero della Francesca et surtout de Giotto va se révéler déterminante. Dès le départ il fait des œuvres volumétriques. La valeur tactile est pour lui la plasticité, c'est une forme de sensualité, d'exaltation, de frénésie, comme le désir de manger le tableau, il trouve qu'on a toujours envie de dévorer le tableau. Le déclic a eu lieu au Mexique en 1956, alors qu'il peint une mandoline. Sans savoir pourquoi il dessine un trou au centre de la caisse beaucoup plus petit et, soudain la mandoline prend des proportions d'une monumentalité extraordinaire. Botero vient d'innover son style. Au bout de dix ans, en 1966, son style est devenu cohérent. Rondeur et opulence est applicable à cette démarche volumétrique qu'il a poursuivie toute sa vie car le volume est une pensée qui l'habite depuis toujours.
En 1957, lorsqu'il arrive aux Etats-Unis, la seule peinture reconnue est l'expressionnisme abstrait. Evidemment, sa peinture passe pour inadmissible et anecdotique face au minimalisme. Comme il est à contre-courant, son œuvre s'inscrit dans le modernisme, ce qui va lui valoir une certaine notoriété à partir de la fin du XXème siècle. Chaque parcelle du tableau doit être colorée, comme faisaient le Quattrocento et le Titien. Des sept couleurs employées à New-york , il ne lui en reste que trois. Il est postmoderne, il ne respecte pas l'échelle des personnages, il ajuste les proportions en fonction du tableau et non de la réalité. Il refuse le réalisme au sens de copier la réalité et surtout l'hyperréalité. Un vrai peintre peut transformer une forme tragique comme la mort en un élément décoratif ; autrement, on fait un réalisme plat.
Ses formes éléphantines confèrent aux personnages une douceur et une présence qui accentuent les traits des caractères. Les scènes de pique-nique cachent un calme souverain comme si la lourdeur avait aussi une vertu de tendresse. Il a choisi le pastel pour montrer la dramaturgie de certaines scènes. Au travers du pastel, il atteint aussi une dimension de l'horreur et un forme de vérité. Le dessin reste pour Botero, non seulement l'esquisse qui permet de fixer une idée, mais la technique la plus rigoureuse sans laquelle la peinture serait dépourvue de toute armature. Un dessin n'a jamais fini de tout dire et de montrer qu'il est la base de la peinture.
Fernando Botero, sans titre, 1999
Dans son œuvre, on retrouve quatre sujets différents : les natures mortes, la tauromachie, les scènes de bordel et de violence avec toujours cette impression que le temps s'est arrêté dans les années trente. Les natures mortes : lorsqu'il peint une orange monumentale, il y met toute sa personnalité. Chaque artiste qui peint une orange grandiose fait de même, il se singularise beaucoup plus par sa vision qu'il ne reproduit un sujet. La tauromachie : l'artiste fut initié très jeune aux spectacles de la corrida au point d'être un véritable aficionado. Il se passe tant de choses dramatiques bien que ce soit aussi une fête, il y a matière à voir et à observer. Les scènes de lupanar : il a voulu créer des compositions complexes, rien de plus difficile que de faire des scénographies à plusieurs personnages. De plus, il faut donner une vie, une image à la soûlerie des hommes, aux attitudes des femmes, idée magnifique pour mettre en avant ce sujet.
Les scènes de violence : sensible aux drames qui persistent dans son pays la Colombie, Botero a choisi de montrer par sa peinture la violence et la cruauté. Il n'hésite pas à mettre en avant l'horreur, les meurtres, le fleuve charriant des cadavres, images d'enlèvement appartiennent désormais à cette œuvre qui semble préférer le burlesque au drame, la douceur matinale des couleurs de la Renaissance aux images sanglantes des corps suppliciés.
Botero dit : "J'avais toujours pensé que l'art pouvait permettre d'échapper aux cruautés de la vie, constituer un refuge pour la beauté et la sérénité. Néanmoins la tragédie qui tourmente mon pays est tellement accablante qu'elle a envahie jusqu'à mon propre travail…. Je ne pense pas que mes peintures changeront la dramatique réalité de la Colombie, mais j'ai éprouvé la nécessité morale de laisser au moins un témoignage de cette terrible folie et de cette violence barbare".
En 2000, il fait don d'une vaste collection d'œuvres d'art (Botero, Renoir, Picasso, Dali, etc…) aux musées de Bogota et de Medellin. Il vit entre Paris, l'Italie, New York, le Mexique et va deux à trois fois par an en Colombie. Début avril 2004 il exposera à Tokyo au Japon et en décembre à Singapour. La déformation des corps qu'il a créée, la palette des sensations et la couleur sont la conviction de sa pensée. Désormais, il est dans la lignée des Morandi, Francis Bacon, Balthus et Picasso dans les courants figuratifs du XXème siècle.
Elisabeth Petibon Paris, décembre 2003
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