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Professione Reporter, parte uno
Akademie der Künste, Berlin
 
 
La "grande" photographie se donne à voir à Berlin pendant le prétendu "Mois de la Photographie", dans la périphérie, qui, dans notre cas, n'est pas une périphérie topographique, mais de l'ordre du temps d'autrefois : dans l'Akademie der Künste "désaffectée" du quartier du parc Tiergarten. Celle-ci, pourtant, nous la préférons à tous les white cubes de la ville - à cause de sa belle architecture et des regards à travers ses grandes fenêtres sur les roseaux et les broussailles de sa cour intérieure. C'est un dimanche matin couvert, dans le parc, les feuilles colorées volent autour de moi.
J'adore
regarder
les gens,
de préférence
comme je
regarderais
une personne
aimée qu'il
est d'abord
interdit de
regarder
longuement,
et d'habitude
je me cache
derrière un
appareil
photo
ou un dîner.

Berlin photo Christina Zuck
 
 
Sur les images de l'exposition Der Kontrakt des Fotografen (Le contrat du photographe), on verra des personnes. Et les organisateurs de l'expo se posent la question de savoir comment cela se passe lorsque les humains regardent les autres, et si, peut-être, les uns exploitent les autres, ou bien si les observés, avides de "fame", veulent eux aussi faire partie de l'accrochage dans la grosse expo. Le thème en est alors le miroitement - et la négociation discrète des conditions pour tenir le miroir. J'adore regarder les gens, de préférence comme je regarderais une personne aimée qu'il est d'abord interdit de regarder longuement, et d'habitude je me cache derrière un appareil photo ou un dîner.

Je viens d'acheter un appareil photo digital - mes copains du kunst-blog m'avaient fait des incantations auxquelles, à la fin, je ne pouvais plus résister - et samedi après-midi, je suis allée dans le Saturn, un "media market" dans un labyrinthe de grillages et clôtures de chantier qui s'appelle Alexanderplatz. Je prends alors une des boites qui sont empilées et en solde, les Scherzkekse ont gravé "Carl Zeiss Vario-Tessar" dans le plastique argenté de l'appareil que je choisis, et je passe à la caisse - Dante n'a pas pu anticiper les visions de cet enfer-là - rien que pour découvrir à la maison que la carte mémoire n'est pas incluse à la petite merde. Retour dans le Saturn avant que ça ferme, 80 euros de plus.

Et maintenant, dimanche matin, j'ai la trouille : il faut rentrer dans l'expo-photo, sortir la petite mitraillette digi, et voir ce qui se passe. Je monte alors le grand escalier de l'Akademie der Künste vers le premier étage et je vois dans l'expo - noohoooon - mes ex-galeristes. Vite, je tourne les talons, redescends, tourne à gauche vers le vestiaire derrière le mur, dépose mon manteau, et je prends une respiration. Je sors le handy, clique sur les numéros de mes amis qui sont censés arriver bientôt - répondeur chez les deux. Je respire encore une fois, reprends tout mon courage et remonte l'escalier. Arrivée dans l'expo, je vois Birthe au bout de la salle, ah ! je cours quasiment comme son petit fils vers elle : "Birthääh, faut me sauver, je peux rester près de toi et t'accompagner ?" "Y'a qui" ? "Ex-galeriste", je murmure. Birthe et son vaudou font de l'effet, les objets problématiques disparaissent de mon champ visuel pour la suite.

Peu après, je me retrouve avec Christoph à la table du buffet avec un verre de mousseux rouge à la main. "Jamais vu autant à bouffer pour un vernissage ici". "C'est Siemens Arts Program qui organisent ça, c'est eux qui ont le fric". "Et l'ambiance, c'est très spécial", note Birthe. "Ouais, mafia, galeristes et tout ça, je vois pas les artistes, et ça augmente la sale ambiance. Mais vendredi soir, c'était pas mal et c'était bourré comme si on était au MoMA de New York, il y avait le vernissage de Sibylle Bergemann, et plus tard, ils ont montré un documentaire sur elle et sur Gundula Schulze Eldowy et Helga Paris", je continue.
 
 
Berlin photo Christina Zuck
 
 
Cette expo, dont le titre en allemand joue sur un film de Greenaway, tente, pour une partie, de retracer les connexions entre la tradition des classes "nobles" ou "bourgeoises" de se faire représenter et le mouvement social désiré de certains photographes d'approche "réaliste". Il est intéressant de voir les relations entre les portraits de la noblesse italienne faits par Faigenbaum dans années 80, les portraits des collectionneurs et des bigwigs de la culture des années 90 de Struth, ainsi que le plus récent travail de Barney qui exploite l'apathie et la mascarade de sa propre classe sociale. D'autres approches "réalistes" montrent des classes sociales inférieures, dont certains sont issus, comme Richard Billingham, de manière socio-critique, comme Boris Mikhailov, ou les excentriques "queers", comme Peter Hujar. Celui qui a représenté tout court ses potes qui l'entouraient dans l'académie de Düsseldorf dans une manière qui les tourne instantanément - château-d'eau-like and andy-warhol-like - en art, c'est Thomas Ruff, qui manque et que l'on a trop vu de toute manière, mais ici, on retrouve ses épigones.

Sinon, étrangement, le Japon est très présent dans l'expo, "réalistiquement" dans les photos de voyage de Jitka Hanzlovà et dans les arrangements compliqués de mise en scène de Izima Kaoru, Miwa Yanagi et Shizuka Yokomizo.
 
 
Berlin photo Christina Zuck
 
 
Voilà les travaux remarquables sont de l'expo.

En face de l'entrée, il y a des portraits de famille, nouveaux et plus "mouvementés", de Thomas Struth. Un plaisir pour le cryptologue. Devant la photo de famille de Lothar Schirmer, je retrouve une famille entière qui s'amuse à parler sur les relations imaginables entre mère et fils et les objets de décoration. Dès qu'ils remarquent que je les écoute - et maladroitement pointe le petit appareil sur eux - ils disparaissent.

Ashkan Sahihi et Marjaana Kella observent de l'extérieur des états psychiques. L'hypnose, chez Kella, pendant laquelle, on pourrait dire, les personnes photographiées perdent la face. Ça a la gueule de quoi quand ça se bouge à l'intérieur? Sahihi inventorise toutes les drogues et décline ses effets : c'est à ça que ça ressemble avec l'héroine et à ça avec la coke - les pauvres personnes qui font le test, quoi. Le texte qui va avec pèse le pro et le contrat du travail pédagogique de l'information sur la droque. Mais épargnez-nous d'encore plus de chateaux d'eau - Bernd et Hilla, qu'est-ce que vous avez causé avec votre approche "conceptuelle" !

Patrick Faigenbaum a photographié pendant les années 80 des vieilles familles nobles dans leurs palais autour de Firenze. Il travaille en noir et blanc avec l'obscurité, les ombres et la densité du matériel. Les personnes devant l'arrière-plan de leurs palais hérités, somptueux et décorés de fresques et de peintures, deviennent eux-mêmes comme des ombres, ou des inhabitants de grottes. Cette darkness est à mon avis le highlight de l'expo, il est très rare de voir ces travaux en tant qu'originaux.

Angela Fensch, pendant les années 80 en DDR, a fait des portraits de nu de mères et leurs enfants, dont beaucoup sont "alleinerziehend" (monoparental), je suppose, comme je suppose que le sous-texte du travail est féministe. Fensch n'a pas peur de la friction avec la photographie de nu "kitsch" et fait jaillir un érotisme un peu exagéré et troublant. Les photos me font penser aux travaux aussi très étranges de Sally Mann, mais plus spécialement à Helmut Newton.

Jeff Burton photographie Kenneth Anger, qui, et j'ai lu ça dans le headline d'un journal yellow press d'un voisin dans le U-Bahn, exactement comme le rapper Sido, a été "agressé et dévalisé" et a aussitôt appelé, avant même le docteur, les paparazzi. Dans sa chronique scandaleuse "Hollywood Babylon", Anger a révélé "the scalding reality behind the glittering facade of America's dream factory". Pourquoi n'essaie-t-il pas l'hypnose ?
 
 
Berlin photo Christina Zuck
 
 
En face de Nicholas Nixon, dont le travail répétitif ressemble un peu à On Kawara, je me fais virer. "Je vous ai dit déjà, c'est interdit de prendre des photos ici. Il faut que vous ayez une autorisation de presse, vous pouvez l'avoir en bas". "Je suis de la presse", je chuchote, "mais j'ai pas le temps d'aller chercher le truc de presse, je ne peux même pas le prouver".

A côté dans une troisième salle, il y a la rétrospective de Sibylle Bergemann. Son travail tourne autour du thème du périphérique : être aux bords d'un espace diffus et gris. Est-ce qu'on voit la "réalité" dans ses photos, ou plutôt un sentiment noir et blanc ? Où étions-nous quand c'était la DDR ? Peut-être chez Henri-Cartier Bresson, Robert Doisneau, Brassaï et un peu chez Helmut Newton. Ou bien Helmut Newton venait de temps en temps en visite dans cette société socialiste qui était un peu plus libérale concernant la "Gleichberechtigung" (égalité des droits) de la femme et la sexualité. Il était l'invité du cercle des amis autour de Bergemann et Arno Fischer. Les photos de mode et les portraits de femmes de Bergemann publiées dans le magazine de mode est-allemand Sibylle semblent ressortir d'un autre univers, en les comparant à la visée mercantile grossière et sexuée de chaque seule photo de pub et de mode publiée en 2006. Sous cet aspect, les photos de Bergemann étaient et sont de nouveau toujours d'avant-garde.

Vendredi soir, au vernissage, la foule des visiteurs était obligée de faire la queue au rez-de-chaussée devant le grand escalier et ensuite au premier étage pour qu'on les laisse entrer dans l'expo. On a senti à quel point c'était important que Sibylle Bergemann soit estimée après cette longue période à l'ombre de l'attention publique. Faisant suite à cela, il y avait la première d'un film documentaire avec le titre un peu simpliste "Ostfotografinnen" sur Gundula Schulze Eldowy, Helga Paris et Sibylle Bergemann. Les travaux de Schulze Eldowy présentent la version crue ou baroque du regard photographique, ils aiment l'aspect grotesque des gens et leur caractère berlinois comme chez Zille. Dans le film, Schulze Eldowy raconte des anecdotes drôles et bizarres de la période de la DDR. Dans cette "classification", Bergemann serait la version romantique, et Helga Paris la portraitiste classique et surdouée qui sait rendre visible le côté sur-terrestre des humains. Per favore, et c'est pour tous les riccissimi et parrains de la culture établie, il faut absolument les honorer encore !
Christina Zück
Berlin, novembre 2006
 
Berlin photo Christina Zuck

Der Kontrakt des Fotografen, du 12 novembre au 7 janvier 2007
Sibylle Bergemann, Photographien, du 11 novembre au 14 janvier 2007
Akademie der Künste, Hanseatenweg 10, Tiergarten, Berlin, www.adk.de
Version allemande : kunst-blog.com

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