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artparis 06
 
 
Passée l'effervescence de l'événement, des découvertes et des coups de cœur, que reste-t-il ? La magnificence du Grand Palais, la température hivernale de la foire compensée par une lumière évanescente annonciatrice du printemps, et surtout cet espace incroyablement vaste au service de 90 stands amples et aérés, quelques images colorées, des moments forts, des souvenirs de rencontres hors du temps propres aux foires, un souvenir houleux de vernissage de sinistre mémoire dont on parlait encore les jours suivants, et surtout une sensation paradoxale d'avoir vécu un moment de grand classicisme et un désir d'étonnement inassouvi.
On aurait
aimé
plus
d'artistes
émergents,
plus
de prises
de risque,
plus
de chocs
salutaires…
Grand Palais
 
artparis 06 au Grand Palais
 
 
Mais que reste-t-il après la fête ou les reliefs contrastés d'un grand spectacle… ?

Est-ce la majesté du lieu ou la présence forte des grands modernes qui donne cette carence de jeunesse à cette foire pourtant jeune ? Pour sa huitième session, artparis a montré une maturité et une élégance que nous aurions aimé voir accompagnées de plus de folie et d'étonnement… pour une belle révision des grands classiques de notre temps, avec un accent particulier sur les années 50 à 70 : c'est un exercice réussi.

On aurait aimé cependant découvrir plus d'artistes émergents, plus de prises de risque, plus de chocs salutaires aux amoureux d'art contemporain. Timidité ou recherche des valeurs sûres qui rendent l'investissement plus rentable ? Maturité ou désir de s'afficher comme l'alternative internationale à la FIAC ? Cohérence avec un lieu mythique forgé par l'histoire ? Volonté affichée d'"améliorer sans révolutionner". Aucun déplaisir, juste une soif non satisfaite d'étonnement, de choix vivifiants dans une époque lourde et tendue, un désir d'humour et de jeu auquel l'art semble aujourd'hui la seule valeur capable de répondre en finesse.

De l'impression générale, forte au demeurant, je conserve le souvenir de cette présence croissante de galeries européennes de renom, confirmant la position internationale incontournable de la foire, la vision d'une place de choix accordée aux sculptures dans un espace qui permettait de présenter des œuvres monumentales souvent absentes des lieux de vente, mais là aussi au travers d'une sélection de valeurs historiques, voire de stars… Côté sculptures, donc : coup de cœur pour les univers miniatures et allégoriques de Matton à la galerie Benhamou, pour David Nash à la galerie Lelong, Dubuffet et sa sculpture monumentale de plus de 3 m, l'"Entourloupe" présentée par Jeanne Bucher, Richard Texier et ses sculptures animalières au squelette habité et massif et les incontournables Arman, César et Jean Pierre Raynaud, trio dont la cohabitation me rappelle les débuts de la Fondation Cartier à Jouy en Josas…
 
 
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Grande reconnaissance du dessin, dont le retour structurel est sensible depuis quelques années, avec la présentation de la collection privée de la famille Guerlain, marquée, visible dans tous les salons me semble être la réponse à une recherche de sens et de qualité, à une confrontation salutaire de l'art à ses propres bases historiques, à l'architecture de l'œuvre, à son écriture même.
Place de la peinture sous toutes ses formes, ses matières, ses mixités et ses formats.
Peu ou pas d'installations.

Une dizaine de galeries ayant accepté le challenge courageux de la monographie ont permis une approche qualitative et plus complète de l'œuvre de leurs poulains, donnant ainsi un sens plus global à leur cheminement. Belle place à la galerie Alice Pauli pour Fabienne Verdier, calligraphe européenne formée parfois douloureusement en Chine pendant plus de dix ans, dont la grande fidélité aux sources chinoises n'exclut pas une approche occidentale qui rend son œuvre à la fois différente et familière. Sa grande couverture dans la presse des derniers mois permet de mieux comprendre sa pensée imprégnée de taoïsme, faite de l'accueil de l'intime, de l'universel et des éléments et de pressentir son empathie hors norme avec le sujet qu'elle ne peint pas mais qu'elle pénètre jusqu'à en devenir l'essence même… sa longue silhouette noire, paisible et souriante a marqué la foire d'une paix tout-à-fait particulière. Ses œuvres dépouillées et puissantes sont celles d'un jet, d'une fulgurance, d'un état, que seule une grande méditation attentive peut permettre d'atteindre.

La galerie Benhamou consacre l'entièreté de son espace aux autoportraits exceptionnels, photographies magnifiques de l'artiste japonaise Kimiko Yoshida. Ces grands formats carrés, d'une sobriété puissante et subtile, la mettent en scène en mariée, kabyle, yéménite, Amateratsu… présence d'une grande noblesse, entre masque Nô et effigie de musées nord africains, croisement saisissant de cultures, elle se travestit et devient une femme unique, lointaine, hiératique, d'une sensualité inaccessible, vierge représentante des femmes de tous les peuples, intemporelle, saisie au moment de la promesse d'éternité, la femme-épouse sacralisée le temps d'un rêve.
Une autre œuvre de la même artiste mérite un petit détour historique, l'œuvre de la tombe du cardinal Barberini et le mausolée de Jules II. Des lettres de verre soufflé masquant son propre visage, prédelle écarlate reprenant l'épitaphe souveraine de Barberini, épitaphe ascétique et proche de l'effacement, propre à cet homme immense dont la portée de mécène sur la scène artistique italienne du 18ème siècle fut colossale tout autant que la modestie à l'heure de son départ.
Cet hommage est aussi sobre qu'envoûtant, lumineux et subtil.

Présence exceptionnelle de Yann Arthus Bertrand et de ses photographies géantes mettant en scène les hommes et les chevaux, à la galerie Louis Carré, sa terre vue du sol ne manque pas de sensibilité, ni d'humour…

Présence exceptionnelle chez Laurent Strouk d'un one man show dédié à Gérard Schlosser, grand nom de la figuration narrative, avec un ensemble de ses œuvres récentes réalisées en hommage à "l'origine du monde" de Courbet, dont j'avais eu le plaisir de voir quelques-unes au stade d'ébauche dans son atelier l'an dernier. Ce grand artiste humble et serein, accueillant et ouvert développe ses œuvres autour de photos réalisées par lui-même, les construit patiemment et travaille avec une sensualité méticuleuse. Ill nous renvoie une image de femme fleur, nymphette secrètement impudique et à peine dévoilée. Le grain de ses toiles est proche de celui d'une peau doucement hérissée de désir, la sensualité y est légère, joyeuse, paisible. Il côtoie l'incontournable Peter Klasen et sa série "puzzle".
 
 
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Dans un esprit tout à fait différent, implication passionnée et érudite de Alain Matarasso à la Galerie du Centre, avec les œuvres politiquement incorrectes et eschatologiques de Daniel Authouart et Christian Silvain, où l'Amérique incarne une fin de monde presque ludique, et les cycles de vie et de mort des civilisations apparaissent dans une évidence troublante… le tout nourri de dessins redoutablement puissant, au scalpel, entre BD et Renaissance.

Les passionnés de photos ont aussi pu voyager au sein d'époques et de sensibilités très différentes : des œuvres vintage de Willy Ronis, "Deena de dos", à Luis Gonzales Palma, Lucien René, et Denis Brihat à la Galerie Camera Obscura, ou à Peter Beard chez Acte 2, et Radisic chez Thinking Prints.

Coup de cœur final pour un trésor caché, chez Marion Meyer, experte reconnue de Man Ray, dans son "cabinet de curiosité", découverte du meuble de Guillaume Piéchaud, artiste "métallo haute couture", puissant, dans la lignée des Hiquili et Gaudi, produisant des œuvres uniques entre décoration et sculpture. Sa commode en métal, intemporelle, inspirée de son récent voyage en Espagne est œuvre d'humour et d'intelligence.
Edith Herlemont-lassiat
Paris, mars 2006
photos Laure Faÿ
 
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artparis de nuit au Grand Palais

artparis 06, Foire d'art moderne et contemporain du 16 au 20 mars 2006, Paris, Grand Palais www.artparis.fr
photos Laure Faÿ

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