"Autrefois, on marquait les esclaves, maintenant, on est esclaves de la marque"
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Jonathan Barnbrook s'attaque au consumérisme en détournant la rhétorique publicitaire. Les slogans se font sentences : "Autrefois, on marquait les esclaves, maintenant, on est esclaves de la marque", ou, plus investies d'utopie "Si la paix est si rare dans le monde, c'est que les multinationales ne peuvent en tirer profit". Le graphisme des typos est varié, s'oppose à la fragmentation de cadrages serrés en superpositions floues, tout en donnant du sens à la disparition des visages : ne nous heurtons-nous pas à l'anonymat des responsables ? n'en sommes-nous pas nous-mêmes ? Geneviève Gauckler confronte notre regard au foisonnement d'arbres greffés d'accumulations hybrides. Malgré le surgissement diffus du végétal, la technologie, dans ses dérives techniques et biologiques, envahit la surface de l'affiche d'un gris dominant, mises à part quelques tentatives de percées colorées. La prolifération inquiétante d'objets de consommation fabriqués par l'homme devenu machine à vendre et à acheter semble s'organiser en une symétrie inexorable, image d'un monde uniformément marchant.
L'horizon d'une clairière se barre de cinq panneaux, une proposition de Stefan Sagmeister. Sur chacun d'entre eux, un ou deux mots, sculptures végétales photographiées dans le désert de l'Arizona, se dressent sur un fond discret de grillages, de branches mortes, flottent sur la profondeur dérisoire d'une piscine. Tout parle de limites, d'autant plus vénéneuses qu'elles sont insidieuses. Au recul, la perspective ; associés dans une lecture reliant les affiches, les mots forment une phrase ironique sur des valeurs à remettre en cause, celles d'une culture de l'apparence qui nie l'identité, emprisonne l'individu dans l'idéologie de la performance à tout prix : "Trying to look good limits my life". Ken Lum investit autrement une réflexion sur la nature humaine : placés symboliquement à la croisée de chemins, deux diptiques associent un portrait et une pensée, le masculin comme le féminin donnés à voir dans le doute, l'émotion mêlée. L'homme qui ne sait "quel chemin prendre" est à la fois dans la souffrance et l'attirance d'une lumière qui sature la photographie en latéral : un rappel de nos contradictions, de nos choix nécessairement conduits par l'extérieur, le hors champ, qui nous travaille et nous éclaire en même temps.
Ponctuant de légèreté le parcours, Pascal Colrat se joue de l'affichage : il l'investit de messages loufoques surdimensionnés qui évoquent les affichettes placardées dans le quartier à la perte d'un animal. Ses petites annonces inscrivent l'intime dans le domaine public, que ce soit dans la perte (répétée, comme le message "reperdu mon chien" le précise) ou les retrouvailles ("retrouvé mon ours nom : Boubou"...), comme autant d'étapes d'une vie faite d'émotions enfantines, d'attachements primordiaux qui ne veulent pas céder. Martine Aballéa inscrit son imaginaire dans le mélange d'univers naturels et artificiels, un feuilleton d'entrelacs, "intrigues" végétales d'un paradis perdu, ou jamais eu. Tania Mouraud traduit en six langues "I have a dream" dans un étirement graphique qui impressionne en noir tout l'espace blanc, à la limite du lisible : une force de frappe typographique qui pose la question de la place laissée aujourd'hui au rêve, individuel ou collectif. Alain Bublex établit en teintes sépia le rappel signalitique du passé de la Seine Saint-Denis, du bidonville du Franc-Moisin à la saignée bétonnée de l'A 86. Il inscrit paradoxalement le temps et ses modifications radicales sur un support habituellement voué à l'éphémère et au recouvrement.
A la sortie du parc, le visiteur se retrouve devant les affiches qu'il vient de quitter, collées avec leurs compagnes mercantiles, dans les principaux carrefours où les stratégies publicitaires se heurtent enfin à d'autres discours. A lui de savoir ce que valent ces signes extérieurs.
Dominique Lacotte Paris, juillet 2004
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