Arnulf Rainer, collectionneur et peintre
 
 
La dernière exposition préparée par la Maison Rouge revêt l'originalité de confronter les œuvres d'un artiste à celles de la collection de ce dernier. La fondation Antoine de Galbert poursuit sa réflexion amorcée dès l'ouverture du lieu, en 2004, avec l'exposition L'intime, le collectionneur derrière la porte et Central Station, collection Harald Falckenberg, sur le thème des collections et des collectionneurs de l'époque contemporaine.
exposition
à trois
niveaux
art
brut
dialogue
sans
mots
Arnulf Rainer
 
 
A travers cette confrontation, une dimension nouvelle apparaît dans Arnulf Rainer et sa collection d'art brut. Les œuvres collectionnées ne matérialisent pas seulement le regard et le goût de celui qui a réuni les œuvres. Elles constituent pour lui un matériau et une inspiration. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une inspiration directe. Il serait vain également de limiter cette donnée à des rapprochements iconographiques. Les œuvres ici rassemblées ont plutôt "ouvert de nouvelles voies" et "orienté l'imagination" de l'artiste, comme il le dit lui-même.

L'exposition se divise en deux, d'une part les œuvres d'Arnulf Rainer, de l'autre, sa collection. La séparation est d'ailleurs clairement indiquée par la disposition des lieux. Le visiteur pénètre d'abord dans la salle des œuvres de Rainer. Sur des photos de lui grimaçantes, l'artiste griffonne des lignes énergiques. Il force les traits de son visage, les reprend, les écorche, les met à vif. Lassé de se prendre lui-même comme unique support, il utilise ensuite des images de sculptures de Messerschmidt qu'il recouvre de la même manière. Puis il s'attaque à des planches de Le Brun et se plonge dans les figures de physiognomonie où les humains se transforment en bêtes. Un aspect animal, une étrange force et une liberté fulgurante se dégagent des images de l'artiste.

Arnulf Rainer se met rapidement à la recherche d'autres voix et en cela, se rapproche des artistes de sa collection. Leur folie les fait échapper à la rationalité. Rainer prend de la mescaline, ou divers alcools, crée des images sous l'emprise de ces drogues, puis reconstitue ensuite sa démarche. Il peint également avec ses doigts, comme le font certains patients des hôpitaux psychiatriques qu'il visite.

Car en 1963, lorsque Arnulf Rainer commence sa collection, il ne se contente pas d'acheter des tableaux. Grâce à sa première femme, l'artiste autrichien se tourne rapidement vers la création des pays de l'Est de l'Europe. Il parcourt les institutions psychiatriques, visite des ateliers et échange même ses créations contre celles de patients, faute de pouvoir les monnayer - si bien que des œuvres de lui se trouvent aujourd'hui dans les archives de ces hôpitaux. Il se lie avec un médecin, le Docteur Navratil qui développe des ateliers artistiques pour ses malades à l'Hôpital de Klosterneuburg de Gugging, près de Vienne. A partir des années 1990, Arnulf Rainer invite même des artistes pensionnaires à intervenir sur ses propres œuvres.
 
 
Arnulf Rainer
 
 
Un deuxième volet de l'exposition s'ouvre alors sur les œuvres de patients, de malades mentaux, ou de médiums qui éclairent l'œuvre de Rainer. Jean Dubuffet parlait d'Art Brut. En 1972, Roger Cardinal parle d'Outsider Art. Arnulf Rainer s'intéresse à ces formes d'art bien avant que le grand public ne les découvre. Face à la liberté qui anime les œuvres d'Arnulf Rainer, on sent ici souvent la contrainte des traits, l'angoisse qui sourd. Des textes biographiques sobres accompagnent les œuvres de chaque artiste et présentent une biographie, les pathologies et l'hôpital dans lequel l'artiste a travaillé.

Arnulf Rainer et sa collection d'art brut est en fait une exposition qui peut se lire à trois niveaux. Il s'agit à la fois d'une excellente exposition d'art brut, d'une remarquable exposition sur Arnulf Rainer et d'un dialogue sans mots établis entre deux ensembles d'œuvres rassemblées par le regard et la main d'un même corps. Les œuvres dialoguent et interagissent entre elles. C'est ce non-dit qui fait la richesse de l'exposition. A l'instar de Matisse / Picasso ou de Manet / Vélasquez, la tendance a été un temps à la confrontation entre deux artistes. Plus récemment, le Palais de Tokyo, site de création contemporaine présente jusqu'au 18 septembre 2005 Translation, une exposition qui confronte des œuvres d'une collection grecque contemporaine à l'œuvre de deux designers. Le risque de ce type d'exposition est de rendre trop simple ou trop complexe le message à faire passer. A la Maison Rouge, l'écueil est parfaitement évité et le juste équilibre atteint, entre la suggestion et la démonstration.

Deux autres expositions sont également ouvertes à la fondation. La jeune artiste flamande Berlinde de Bruykere présente ses sculptures de corps déchiquetés dans une atmosphère froide et cauchemardesque. Les artistes Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, ont imaginé, dans le patio, un jardin artificiel plein d'humour et de poésie. Deux extrêmes qui constituent des échos troublants à l'exposition d'Arnulf Rainer, entre le rêve et le cauchemar. La Maison Rouge n'a pas fini de nous impressionner.
Anaël Pigeat
Paris, août 2005
 
Arnulf Rainer

Arnulf Rainer, collectionneur et peintre, Berlinde de Bruykere, één ("un"). Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, le méta-jardin
La Maison rouge, fondation Antoine de Galbert, 10 bd de la Bastille, 75012 Paris,
www.lamaisonrouge.org
tél. : +33 (0)1 40 01 08 81, du 23 juin au 9 octobre 2005, du mercredi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Lire aussi :
Les corps glorieusement douloureux de Berlinde de Bruycker et voir : Cartons Arnulf Rainer

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