Le milieu de l'art new yorkais se remet doucement de l'effervescence qui l'a animé pendant l'Armory Show. Beaucoup attendait cette jeune foire au tournant, pour sa deuxième année d'existence sous cette forme et dans le contexte de paranoïa ambiante de l'économie américaine. Elle s'est montrée extrêmement dynamique et bien déterminée à détrôner Art Forum Berlin en tant que première foire mondiale spécialisée dans le marché de l'art strictement contemporain. Ce succès devrait bientôt dissiper la confusion de sa dénomination. Pour mémoire, la foire a d'abord fait ses preuves au Gramercy Park Hotel, où elle a vu le jour en 1994. Au cours de ses différents avatars elle s'est ensuite successivement installée au 69^th  Regiment Armory (elle y a pris son nom actuel, en référence au célèbre Armory Show de 1913 où Duchamp exposa son Nu descendant l'escalier), puis au Jacob Javitz Center avant de prendre possession des Piers 88 et 90, ces fameuses jetées New Yorkaises, immenses hangars s'avançant sur l'Hudson River. Il ne faut donc pas la confondre avec “the Art Show”, foire huppée de l'association des galeristes américains qui se tient exactement aux mêmes dates... dans un Armory.

Bobergerdgeschoss 2001, Oliver Boberg
courtesy Galerie Lothar Albrecht Frankfurt

Premier constat, comme dans les foires plus généralistes comme Art Basel ou Cologne, on retrouve à l'Armory Show des têtes de gondoles, des artistes que la popularité et le succès invitent sur un grand nombre de stands. Il s'agit des photographes à la mode de l'école des Becher : Andreas Gursky, Thomas Ruff, Thomas Struth. C'est beau, c'est grand, c'est cher. On retrouve aussi en grand nombre les Vanessa Beecroft, Tracey Moffatt, Stephan Balkenhol... Les perspectives colorées de Sarah Morris, jeune peintre américaine, sont largement exposées sur les stand de Max Hetzler, Friedrich Petzel, ou encore chez Jay Jopling/White Cube de Londres, qui montrent aussi une belle sculpture d'Anthony Gormley. Le brésilien Vik Muniz est très présent, avec des photographies d'après Wahrol ou Richter, chez Renos Xippas, Brent Sikkema ou Enzo Sperone. Quelques galeries proposent un ensemble d'une grande force et d'une vraie cohésion : Cheim and Read, qui viennent d'inaugurer un nouvel espace en forme de bunker à Chelsea montrent des oeuvres récentes de Louise Bourgeois, Jenny Holzer, ou un des ‘fantômes' d'Adam Fuss. Un autre nouveau venu dans le quartier de Chelsea, Sean Kelly, a monté un très beau stand avec entre autres des photographies de chantiers berlinois par Frank Thiel et un grand cliché de maquette par James Casebere. L'Armory Show s'est donc bien accommodée de l'absence de certains poids-lourds de l'art contemporain New Yorkais comme Gagosian ou Mary Boone, et a attiré un plus grand nombre de galeries étrangères. Parmi les Français, malheureusement peu de surprises. Le "club" de la rue Louise-Weiss est bien représenté, avec notamment un joli stand de la Galerie Almine Rech (Miwa Yanagi, Philip Lorca di Corcia, Ugo Rondinone).

Radio City Music Hall, David Armstrong
courtesy Matthew Marks Gallery

Dans une telle accumulation d'objets récents, venant de tous les horizons, les découvertes son possibles : les photographies d'architecture de l'Allemand Oliver Boberg (L.A. Galerie-Lothar Albrecht) obéissent à des règles classiques de composition et d'harmonie, mais révèlent une sensibilité et une retenue fascinantes. David Armstrong, chez Matthew Marks, a aussi fortement retenu notre attention par ses flous à première vue simplistes mais en vérité savamment travaillés. Un ensemble somme toute vraiment stimulant et dynamique, quoique sans grand étonnement; peut-être faut-il un peu plus de maturité à cette foire pour que les marchands s'y aventurent avec des "one-man-show" ou des propositions spectaculaires.

François Dournes
mars 2002