Depuis la fin du XIX° siècle on a pu observer en arts des transferts de compétences et de stratégies depuis d'autres disciplines de la pensée. Elles ont abouti à des pratiques d'abord qualifiées d'impures parce qu'elles étaient pionnières de l'interdisciplinarité. Depuis plus de cent cinquante ans des artistes à l'écoute de leur temps anticipent ainsi sur d'autres recherches des sciences cognitives ou humaines. (Christophe Cartier et Sébastien Susset–Mirochnikoff dressent leur pierre de rosette de l'écritue électronique) On peut les dire trop sensibles à l'esprit de leur époque et leur opposer des postures plus classiques. Si ce n'est que leur attitude se retrouve avec des constantes dans des disciplines fort éloignées. En littérature le mouvement s'est initié avec l'intertextualité, dans les arts vivants le modèle du spectacle total reste idéal de l'opéra à la chorégraphie en passant par le cirque. Dans les arts plastiques le mixte et le multi-média manifestent la même urgence.

Il est patent depuis l'exposition Before Photography de Peter Galassi au Moma que le précisionnisme de peintres européens dont beaucoup d'anglais anticipent l'invention technique de la photographie. Son influence révolutionne en retour l'art pictural. De même de nombreux critiques ont montré comment les pratiques photographiques dites plasticiennes préparent la venue des nouveaux outils numériques et comment ceux-ci remettent en question aujourd'hui les productions images. On peut aussi élargir cette analyse au cinéma expérimental par rapport à la vidéo analogique et numérique. Le traitement de texte par ordinateur qui se généralise est artisanalement expérimenté par toutes les avant-gardes littéraires, des jeux surréalistes aux exercices mathématiques de l'Oulipo, du lettrisme à la poésie sonore, du cut-up aux hypertextes. (la version installée de François Quardon d'une niche à hommages, demeure et réceptacle à paroles, en équilibre instable)

Enfin on sait que c'est au sein de la discipline des architectes qu'est né le post–modernisme. (Denis Pondruel construit à partir d'une forme prototype des chambres minimales susceptibles d'abriter images ou corps.)

En 1977 à l'ARC Musée d'art moderne de la ville de Paris Liliane Touraine programme l'exposition Musi-graphie. Elle y fait le lien entre les grammairiens musicographes, pionniers des notations graphiques sonores avec "écritures individuelles postérieures à l'émission de inconnus de la tradition et de la science". Elle explore et classifie ainsi dans la musique générée numériquement les pictographies et lieux de transferts du plastique au sonore.





Utilisant les premières tables traçantes guidées par ordinateur Jean Kapéra les programme pour que de des suites de chiffres dessinent des mouvements complexes faits de courbes d'orbes, d'ellipses. L'ensemble des dessins ainsi produits constituent une approche aussi plastique que conceptuelle du "Milliard"

La traçabilité de la mémoire.





Le nouvel imaginaire du très grand nombre





La parenthèse déjà et encore ouverte de l'aventure amoureuse

"Donc, nouveaux appareils : chants et gestes sont transférés dans la pulsion frappant les objets, et plus l'angle d'(incidence sera petit, moins il y aura d'atomes émis, plus l'image sera obscurcie ; et plus le faisceau sera plein rasant, plus il arrachera d'électrons à la préparation, et plus l'image sera claire… Ici, ce qu'on observe en sortant du cube en son fond chauffant n'est pas représentation dans le sens optique, mais correspondance point par point du balayage des particules vives et accélérées, nouveau bond en avant des fractures à l'angle métallisé"
Philippe Sollers "Lois"
Ed du Seuil 1971

Le labyrinthe de parenthèses laissées béantes par Renaud Camus dans "Tricks" 1988

"L'image de style yugen, encore une fois invite à regarder, intérieurement en l'imaginant, ce lieu hors d'elle où fut la source du regard particulier intense, qui lui donna naissance ; dont l'absence, indispensable à l'image, la place ailleurs que parmi les éléments du donné du monde"
Jacques Roubaud "le grand incendie de Londres"
Ed. Seuil 1989

Si construire esthétiquement la demeure du sens suppose aujourd'hui la mise en œuvre de matériaux hétérogènes c'est que les outils dont nous disposons nous ont appris à habiter autrement le monde, poétiquement proposait certaine avant-garde. Dans une écriture critique.

Ce sont ces modèles textuel et architectural, soit écrire et construire qui ont le plus influencé le fonctionnement des ordinateurs et de l'internet.

Cette double direction est celle de la Bibliothèque de Babel décrite par Borgès qui trouve une partie de sa réalisation sur le net. Si ce n'est que la nature idéelle du projet dédié à la création est contredit par le caractère marchand et sans intérêt d'une grande masse des informations en circulation. D'où l'urgence d'envisager un sas de sécurité, une évacuation des déchets afin de tenter de nouvelle spatialisations hiérarchisées.( Par l'intermédiaire de la X-Trash 0.1, un puissant aspirateur de données usagées, chaque citoyen du monde connecté pourra désormais choisir de vendre le contenu de sa poubelle informatique à la S.A. GomiPark® Entertainment.)

Dans son "Diaporama mappemondial" de 1987 Kapéra radicalise sa théorie du voyage des foules cosmopolites. A partir de collage constituant des rassemblements syncrétiques il inaugure l'ére du tourisme planétaire. Les hauts lieux de la mémoire humaine sont réunis en un réseau cardinal qui suggère cette mondialisation touristique. Points cardinaux et points focales se confondent en une géographie mentale

Le dernier opus du grand œuvre s'intitule "La bibliothèque de Warburg", Edition Fiction et cie 2002 évoquant, comme l'installation de Françoise Quardon, ce classement idéal où chaque livre trouve son bon voisin





La programmation numérique de la dérive situationniste





L'ouverture des réservoirs de sens.

A partir de la relecture de Jacques Roubaud du "Grand Incendie de londres" à "La boucle" faire retentir les paliers d'écriture remettant en circulation le perte vitale du corps présent de l'aimée. S'en faire l'écho par une synergie empruntée à l'historiographie de la langue comme par les postures du projet photographique mis en place par Alix Cléo Roubaud. La forme journal de deuil ouvre sur les espaces mentaux de la création, leurs chausse trappes, leurs embrayeurs de mémoire sensorielle. Les labyrinthes de la douleur débouchent sur la chambre royale des souvenances des corps en partage.

Le cdrom de Pierre Antoine "Engrammes" positionne le fonctionnement.
Des inscriptions sensorielles dans le cerveau comme modèle des apparitions images sur écran. Les réseaux sériels de fictions photographiques qui se mettent en place dans ces connexions aléatoires créent des fictions ouvertes. Des images relais détournent le récit imagé vers d'autres combinatoires.

L'homme illustré de Ray Bradbury (1954) son corps scarifié d'autant de "fenêtres ouvertes sur une réalité ardente, images animées, colorées où on peut déchiffrer son propre avenir"

Ni vraiment auteur non plus que réel architecte chacun alterne les rôles d'expéditeur et de destinataire puisque paradoxalement le grand absent de la double entreprise écrire/construire répercutée par le web c'est le corps. (Florence Lebert y oppose la mise en tableau d'un journal intime d'images et de textes issus du corps mémoriel en réseau désirant.) A terme il peut se trouver réduit à une simple prothèse de la machine d'échange, mutant muettisé. Paradoxe aggravé du fait que le prototype de tout site est celui du modèle mercantile de pseudo relation érotique ou pornographique.
Tout échange ne s'y nourrit que de préliminaires désamorcés par les effets retard selon la recette du "pay per view" d'un corps esclave de ses images. Si une synesthésie est proclamée sur internet elle n'est que celle de la vue et d'un toucher opératoire malgré son caractère effleurant . Il ne saura nous restituer les images confisquées par collections entières de tirages précieux achetés à prix d'or par Bill Gates pour être stockées dans des mines américaines aux conditions climatiques idéales. Nous ne voulons pas faire notre deuil de ces cimetières d'images, notre mémoire et notre sensibilité s'y refuse.

Les résurgences spatiales d'espaces piégés par leur histoire.





Les résurgences temporelles d'espaces piégés par leur géographie humaine.

Un couple de jeunes auteurs méditerranéens, Isabelle Pichat et Benoît Ixe se portent sur les traces dans leurs œuvres singulières comme dans leur parcours commun de la pensée de Rachid Bey pour délocaliser à leur tour des « Zones d'exposition temporaire » (ZET). Ils construisent les moyens de diffusion de leurs productions sonores l'ouvrant à d' autres très jeunes créateurs en réseau dans la dérive des images, le sampling du corps.

Les patterns corporels réalisés en photo, vidéo, dessins et patrons par Isabelle Pichat inscrivent un devenir virtuel d'une scène où l'affirmation sexuée vacille, menacée par la fragmentation clonée. Les scénario so,ores de Benoit Ixe rythment ces hésitations humaines dans le battement temporel d'époques révolues comme de la plus angoissante réalité.

En recherches d'autres Zones Temporaires Johann Maheut crée une sorte de nomadisme graphique qui transgresse les écritures urbaines dans ses signalisations comme dans la transcription de son jardin typographique.

Cette absence du corps mis en retrait par le net apparaît aussi paradoxale devant les capacités mémorielles de l'outil qui ne propose en médium froid qu'une mémoire mécanique, désincarnée, sans hiérarchie ni liens inconscients. Qu'ils précèdent l'esprit du web ou qu'ils se servent de ses connexions les artistes qui prennent en compte son influence travaillent soit à hiérarchiser cette mémoire, à la nourrir d'histoire de l'art ou des acquis des sciences humaines soit à tenter de l'humaniser en lui donnant un autre corps.

La rencontre platonique de corps encore et encore vêtus d'images.





Résoudre l'archive dans une babel d'images non réconciliées.

Le groupe Dumb type créé par Teiji Furuhashi, mort en 95, travaille collectivement des polyphonies multimédia, les corps s'y trouvent scannés dans une sédimentation de l'espace comme autant d'applications ouvertes sur un écran d'ordinateur. Dans memorandum 2002 ils tentent la contamination de l'écran par la mise en circulation de corps doués d'une mémoire propre, lente et parasite, désirante et en résistance. Cette mémoire corporelle semble tenter de concurrencer ces écrans publicitaires inopportuns (pop up ou pop under) qui s'ouvrent sur l'écran au détriment du programme principal. Ils luttent contre ce devenir que le collectif décrit ainsi : "Les réminiscences nostalgiques des jours heureux comme les doux rêves de souvenirs à venir, tous sont à l'aplomb du néant, plongeant vers un labyrinthe sans horizon"