Photographies et sculptures, paysages à la limite de l'abstraction et lampes au design symbolique pour un parcours lumineux dont l'image - son statut, sa nature et sa mise en espace - est la quête fragile et la question sensible.
chemin de lumière statut de monstration |
Envers : Oratorio San Ludovico, 2005
Impression numérique sur bâche montée sur cadre d'aluminium, 202x280x7 cm © Michelle Debat
C'est sous le titre quelque peu énigmatique : L'envers, que la photographe québécoise Jocelyne Alloucherie présente en ce début d'automne à Venise son dernier travail. Que ce soit en France – où elle est représentée par la galerie Françoise Paviot à Paris - ou à l'étranger, ses expositions de photographies ont souvent été accompagnées de pièces architecturales ou sculpturales témoignant là d'une constante réflexion sur la mise en espace des images.
Aujourd'hui, ce sont des photographies de très grand format en noir et blanc qui occupent l'intérieur décrépi d'un magnifique petit oratoire vénitien du 14e siècle. Conjuguées au chemin de lumière dessiné par des lampes au design contemporain, entre cierges d'aluminium et lampadaires en forme de calices, les grandes images jouent de leur statut de monstration et non de représentation. Envers de ce que l'on est tenté d'attendre d'une photographie ! En effet, ce sont les feuillages des Giardinis qui ont été sujets à cette saisie du regard mais non dans l'espoir d'une quelconque reconnaissance, d'un signe informatif aujourd'hui si à la mode dans un retour affiché du documentaire, mais dans un souci de questionner les limites du mé-connaissable, de toucher du regard ce qui fait image. Envers 1 : Vue partielle dans l'atelier, 2005
Impression numérique sur bâche montée sur cadre d'aluminium, 202x280x7cm, lampes : aluminium tourné, piles, 202x45 cm © Jocelyne Alloucherie
Loin de la Biennale et de ses fastes internationaux au vide trop souvent affligeant et parfois même déshonnorant pour l'art même et ses "faiseurs", l'exposition de Jocelyne Alloucherie nous rappelle par "L'envers" du décorum photographique, tout le potentiel sémantique et esthétique qu'une image, photographique ou picturale, peut ouvrir avec silence et bonheur, mais aussi peut dire de notre position face au monde. A la frontière entre photographie et espace minimal tels que la peinture et la sculpture de la deuxième moitié du vingtième siècle nous ont appris à l'éprouver, à la limite de ce que la photographie nous a obligé à réfléchir en tant qu'expression plastique de la lumière et de la matière, ces grandes images photographiques tendues sur chassis, sans encadrement, posées au sol ou sur les bancs de bois du lieu de prière abandonné, nous convient au temps de l'exploration et de la méditation.
Mais ne plongeons pas pour autant dans un recueillement religieux, au contraire même, car ce sont des rhizomes d'ombre et de lumière qui activent le regard tant leur cadrage est facteur d'une composition all-over propice à l'extension d'un espace en écho avec son environnement. Au bord de l'abstraction, ces images numérisées jouent de l'extrême précision du pixel et du grain parfois bleuté, pour oser rappeler l'impact que peut acquérir l'image photographique tant sur le mode de l'affiche que sur celui de ces trompes l'œil urbains plaqués sur les bâches temporaires d'un édifice en voie de rénovation. C'est aussi à cette ambiguïté là que joue la photographe rappelant que "l'image est une métaphore sans fond". Cherchant ainsi dans le quotidien ce qui peut devenir figure de l'universel, l'artiste fait de la photographie un moyen particulier de mise en forme du singulier à partir d'une exploration de l'espace fut-il en deux dimensions. Et c'est alors que l'on peut comprendre que les chemins de lumière, balisés de lampes à la symbolique discrète, font de ces images photographiques des métaphores du paysage, dans la mesure où ce dernier peut être appréhendé comme un des premiers volumes lumineux naturels de l'espace. Entre métaphore et symbole, photographie et sculpture, le visiteur est amené sur un chemin dont la photographie est le guide et la mise en espace le texte.
Envers 2, 3, 4 : Vue dans l'oratorio San Ludovico, 2005
Impression numérique sur bâche montée sur cadre d'aluminium, 202x280x7cm, lampes : aluminium tourné, piles, 202x45 cm © Michelle Debat |
Jocelyne Alloucherie, L'envers/ Inside out / A rovescio
Oratorio di San Ludovico, Dorsoduro 2552, Fondamenta S. Sebastiono, Venezia
du 9 octobre au 11 novembre 2005, jeudi-dimanche de 16h à 20h
Catalogue, Jocelyne Alloucherie, L'envers. Texte de l'artiste, français, italien, anglais, 12 reproductions N/B, Venise, éd. Nuova Icona, 2005 www.nuovaicona.org
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