Giuseppe PenoneVilla Medicis, Rome
Lo spazio della scultura, © Claudio Abate
Lo spazio della scultura, © Claudio Abate
Pelle di foglie (serie completa), © Claudio Abate
Propagazione dello sguardo (particolare), © Claudio Abate
Propagazione dello sguardo, © Claudio Abate
Idee di pietra, © Claudio Abate
Idee di pietra, © Claudio Abate |
Voyage à Rome pour découvrir la première exposition de Giuseppe Penone, à la Villa Medicis, dans cette ville à la lumière adoucie par ses ocres.
Une vingtaine d'œuvres vivent pleinement, dans ce lieu historique à la vue dominante aménagé avec sobriété et modernité. Ambiance dense permettant aux contrastes dans les œuvres de Penone, légèreté, finesse, poids, monumentalité, nature humaine et nature, de prendre toute leur ampleur grâce aux espaces et jardins en escalier. Penone, simple et discret, l'œil toujours prêt à saisir l'instant comme ce vol d'oiseaux migrateur dessinant un albatros au coucher de soleil alors qu'il répond à nos questions, est visiblement heureux. Il parle de son travail qu'il accomplit seul, de ses prochaines expositions au Japon et Corée pour l'année 2009, d'un vol vers Toronto, d'un projet de livre avec Catherine Detzger. Le vernissage commence. Les jardins s'animent autour de sa grande œuvre Idées de pierre, 2004 - 2007 dans une belle atmosphère respectueuse avant de devenir festive. Christine Duchiron-Brachot, Rome, février 2008
Singulier Giuseppe Penone.
Depuis ses collines excentrées du cœur de Turin, il forge l'horizon. Rien n'est gaspillé : il transforme l'infiniment petit en immensité, recrée le monde, le façonne, le rend immortel. De ce bloc de marbre blanc, abandonné à même le sol, à travers des veines poussiéreuses, taillées dans la masse, on entend le grondement du sang, on distingue clairement la chute d'une cascade glissant sur un rocher. Giuseppe ne raconte pas, il émeut, nous laisse regarder. Toutefois, il aime partager et faire partager ses visions : il tend la main vers l'œuvre, comme pour en indiquer le cheminement ; toujours, il la contemple, l'interroge avec nous, comme si, après lui avoir donné la vie, elle ne lui appartenait plus, comme s'il venait juste de la rencontrer, de se retrouver nez à nez avec elle, comme s'il se trouvait soudain confronté à un bloc d'humanité tombé du ciel en un éclair, comme la foudre au milieu de l'océan. Penone voit et respire tout ; il passe sa vie à s'enfoncer dans l'ombre et dans le vert des forêts, pour en récolter des couleurs et des odeurs nouvelles, surgies de temps inconnus. Il scrute les montagnes, en cueille l'écorce, analyse et décompose les troncs d'arbre ; à l'aide d'un médium secret, il en tord les branches, les transforme en cris d'animaux blessés, insiste sur l'explosion des passions irradiées par la nature. Son œuvre ouvre les portes du silence, nous accompagne au large de nous-mêmes, nous impose la joie et la douleur de la solitude liée à l'amour, nous fait comprendre, par une larme déposée sur un morceau de granit poli, que l'eau est le plus grand sculpteur de l'éternité. Dans son atelier, la lumière vient du ciel, rien n'y est décoratif : des murs blancs, un sol gris, des treuils et des poulies suspendus au plafond attendent le moment d'intervenir. C'est ici qu'il tente de capturer, d'apprivoiser la vie. Chaque jour, accompagné d'un géant aux cheveux noirs, il explore la nature, s'enfonce au plus profond d'elle, pour retrouver le point de départ de ses origines. Ici s'arrête la discussion, soudain tout redevient silence. Seul le bruit du marteau résonne dans nos tempes. Giuseppe nous fait comprendre que l'unité du monde vient de la dispersion et de la différence des visions et des pensées de chacun. Son travail ne semble pas être sujet — ou lié — aux évolutions du goût dans le temps ; il trouve ses racines dans la substance même de la vie et, comme celle-ci, semble se régénérer automatiquement, se développer et se reproduire perpétuellement, dans des formes toujours nouvelles et, pourtant, toujours identiques. Il avance, en traversant les différents aires naturelles, en essayant d'établir un contact, une ligne de continuité entre elles, en cherchant à reconstruire la formule alchimique qui puisse évoquer à nouveau l'unité originaire. Le parfum, humide et intense, des sillons remués, le chuchotement des feuilles au fond du bois, la surface de l'eau froissée par les ondes, les vibrations de l'air dans l'air : ce sont les traces d'une promesse lointaine, d'un pacte originaire, secret et persistant, entre la terre, la vie qui l'occupe, la lymphe qui la traverse, la force qui l'anime éternellement. Une sagesse inspirée, gardienne d'un savoir ancien, immuable et toujours vivant, dans lequel il plonge avec son esprit, les mains en avant, en se fondant à lui pour y imprimer la trace de son ombre, de son souffle. En des temps dominés par le principe de la consommation et de la vitesse éphémère, l'œuvre de Giuseppe Penone est presque subversive, elle se dresse, comme une indication prémonitoire. Il pénètre la surface des choses, il creuse, fouille, trouve. Tous les éléments cachés, l'âme, l'intime essence de ce qui nous entoure, invisibles à nos yeux, sont descellés par son geste, guidé par un instinct de sourcier. C'est ainsi qu'il découvre et dévoile les secrets, égarés dans les plis du cœur d'un tronc d'arbre comme au milieu des lignes de sa main ; après les avoir ramenés à la surface, ces secrets risquant de disparaître, de s'évaporer, comme les rêves au petit matin, il leur donne un nom, une vie propre qu'il modèle dans le marbre et le bronze, les immortalisant à jamais. En effet, cette fascination pour l'élément invisible, pour le nœud celé des choses, a toute l'apparence d'une recherche d'immortalité : une façon de renverser, ou mieux, de réinventer le cours du temps, de réactualiser la préhistoire et, en même temps, de livrer notre histoire au domaine de la mythologie. Il rejoint les deux extrémités du fil d'Ariane qui traverse la biographie du monde. Son travail semble sans cesse en évolution, telle la surface terrestre, suivant un parcours unique, le sien, puisant sa sève directement de ses origines, de l'air transparent et piquant des paysages du Piémont, des nuages bleutés caressant tendrement les sommets verdoyants. Les formes engendrées par son regard ne cesseront jamais de se renouveler pour raconter la même histoire, comme les saisons et les pluies et les êtres qui ont traversé et traverseront éternellement ces lieux, c'est pourquoi il ne s'en est jamais séparé de toute sa vie. Son œuvre est indissociable des espaces qui l'ont vue surgir, imprégnée des odeurs et des matières que Penone a connues et touchés, depuis son enfance. Comme Vincent Van Gogh qui, à plat ventre, le visage enfoui dans la terre, essayait de comprendre par son odeur les couleurs du monde, Giuseppe Penone, en pressant les feuilles avec toute la force de ses mains pour en faire sortir des jaunes et des verts inconnus, se bat avec cette nature, de toute la force de son amour. Et, certainement, il n'a pas fini et ne finira pas cette lutte, ce corps à corps, avec le monde, en dépit du temps qui s'écoule. La Villa Médicis, dans chacun de ses dédales, de ses fossés, de ses galeries et de ses voûtes, conserve — imperceptibles mais indélébiles — les traces des pas qui l'ont parcourue, des esprits qui s'y sont rencontrés. Aujourd'hui, avec ce qu'il a imaginé pour ces espaces, Giuseppe Penone jette une autre graine, inscrit une nouvelle ligne, qui ira croiser et interroger les autres, en attendra de nouvelles qui viendront la croiser et l'interroger. Ainsi l'art sublime le cours du temps, un temps qui devient circulaire, où les époques et les hommes se rejoignent, se reconnaissent, se retrouvent. Je me souviens qu'au lendemain de ma visite à l'exposition de Penone au Museum Kurhaus de Clèves, avec Christine Ferry, nous sommes allés revoir des tableaux de Rembrandt au Rijksmuseum d'Amsterdam en nous arrêtant longuement devant La Prophétesse Anne : dans la Bible ouverte, j'ai vu un tronc d'arbre dessiné par Penone. Non, ce n'est pas vrai, je n'ai rien vu. Mais j'ai imaginé Rembrandt s'enfonçant dans les ruelles du port d'Amsterdam, Penone assis sur une butte, l'un et l'autre contemplant à des siècles de distance l'architecture de la voûte céleste, qui se réfléchit depuis toujours dans le regard des hommes. Richard Peduzzi, Rome
Exposition sous la direction de Richard Peduzzi du 29 janvier au 25 mars 2008, Académie de France à Rome - Villa Medicis, Viale Trinità dei Monti, 1 - 00187 Rome, www.villamedici.it
Catalogue sous la direction de Daniela Lancioni, Edition Hazan, janvier 2008 |
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