Suzanne ValadonUne rétrospective éblouissante
Suzanne Valadon, étude lancement du filet, 1914
Suzanne Valadon, lancement du filet, 1914
Suzanne Valadon, Catherine nue allongée sur une peau de panthère, 1923.
Suzanne Valadon, les deux soeurs, 1928
Suzanne Valadon, Portrait de Geneviève Carmax-Zoegger, 1936
Suzanne Valadon, la boite a violon, 1923
Suzanne Valadon, La Chambre bleue, 1923 Huile sur toile, Don Joseph Duveen, 1926 Paris,
Suzanne Valadon, le bain, 1908
Suzanne Valadon, Adam et Eve, 1909
Suzanne Valadon, Marie Coca et sa fille Gilberte, 1913
Suzanne Valadon, Nu a la palette
Suzanne Valadon, Portrait de famille, 1912
Suzanne Valadon, Portrait de Mauricia Coquiot
Suzanne Valadon, Venus Noire
Suzanne Valadon, autoportrait aux seins nus, 1931, Huile sur toile
Suzanne Valadon, Joie de vivre, 1911
Suzanne Valadon, La Petite fille au miroir, 1909
Suzanne Valadon, La poupée délaissée, 1921
Suzanne Valadon, Nu assis sur un canapé, 1916
Suzanne Valadon, Trois nues
Suzanne Valadon, édition |
"J'ai dessiné follement pour que quand je n'aurais plus d'yeux j'en aie au bout des doigts"
Suzanne Valadon
Le Centre Pompidou, depuis le 15 janvier, nous invite à une exposition exceptionnelle consacrée à Suzanne Valadon (1865-1938), figure majeure et pourtant longtemps sous-estimée de l'art moderne. Cette exposition a été tout d'abord initiée par le Centre Pompidou-Metz en 2023 "Suzanne Valadon. Un monde à soi", présentée la même année dans des versions adaptées au Musée d'Art de Nantes puis au Museu Nacional d'Art de Catalunya en 2024, et se poursuit donc au Centre Pompidou en 2025 avec une version enrichie de nouveaux prêts et augmentée d'archives inédites, rend un hommage vibrant à cette artiste inclassable, en mettant en avant non seulement son génie artistique mais aussi son influence sur les générations futures. Elle propose une immersion fascinante dans l'univers singulier d'une femme aux multiples facettes qui a su s'imposer comme une artiste à part entière grâce à son regard acéré et sa maîtrise des techniques artistiques. Une mise en lumière de l'évolution d'une œuvre qui oscille entre tradition et modernité, et qui révèle une vision intime et audacieuse du monde. Le parcours, réparti sur plusieurs salles, présente plus de 200 œuvres : peintures, dessins, gravures, études et archives rares. Le visiteur y est invité à découvrir ses célèbres nus, ses portraits empreints d'humanité et ses natures mortes vibrantes. Parmi les pièces maîtresses de l'exposition, nous retrouvons :
Adam et Ève (1909), est œuvre audacieuse, bien que figurant dans le répertoire classique du nu académique. Elle revisite le mythe biblique en adoptant une perspective moderne et personnelle. Elle montre un couple non idéalisé dans un jardin évoquant le paradis. Les corps robustes et réalistes, marquent une rupture avec les représentations habituelles du sujet et dégagent une tension presque palpable. Inversion des rôles, vision de l'artiste sur les rapports des genres, Adam sous les traits d'André Utter, semble contemplatif, triste et distant, tandis qu'Eve, confiante, incarne l'initiative, le bonheur et la force. Dans une première version la nudité d'Adam n'était pas recouverte de feuilles de vigne rajoutées a posteriori ; La joie de vivre (1911) est une célébration de la liberté et de l'harmonie, de l'humain et de la nature. La toile présente plusieurs femmes nues dansant, courant ou s'étendant sur le sol d'un paysage luxuriant. Elles incarnent une féminité intemporelle, émancipée. Loin des standards idéalistes de l'époque ses femmes sont vigoureuses, réalistes. Valadon s'affranchit ici encore des conventions académiques en peignant des corps empreints de spontanéité et de vérité dont les contours puissants rappellent Gauguin et certains artistes postimpressionnistes. Les couleurs vibrantes et saturées, ou prédominent les verts, les bleus et les ocres, insufflent une énergie et une joie en résonance avec le titre de l'œuvre. A y regarder de plus près, il semblerait que le spectateur s'introduit dans l'œuvre comme un voyeur à l'image d'André Utter, son amant, le personnage masculin nu et presque statique sur la droite de l'œuvre qui lui aussi regarde les femmes en mouvement. Ces femmes ne seraient-elles pas à l'effigie de Suzanne Valadon au centre de la toile, elle-même présentée dans diverses positions ? Marie Coca et sa fille Gilberte (1913), dépeint un moment de complicité entre une mère et sa fille. L'artiste présente une scène domestique empreinte de tendresse et de naturalité. La composition du tableau est caractéristique de l'attention que Valadon porte aux relations humaines et à leur complexité émotionnelle. Les deux figures sont disposées de manière à souligner leur proximité physique et affective, avec des gestes doux et une expression calme sur leurs visages. La palette de couleurs, dominée par des tons chauds et terreux, renforce l'intimité de la scène, tandis que le décor est minimal, mettant l'accent sur les personnages. Tout l'intérêt de Valadon pour des sujets simples mais profondément humains est révélé ici. En peignant des femmes dans leur quotidien, elle met en lumière leur force, leur tendresse et leur authenticité. Marie Coca et sa fille Gilberte est une œuvre qui célèbre les liens familiaux tout en affirmant une vision moderne et sincère de la maternité. La Poupée Délaissée (1921) capte une scène à la fois simple et poignante, où une adolescente, assise, semble perdue dans ses pensées, tandis qu'une poupée gît abandonnée à ses côtés. Comme précédemment, cette scène illustre le talent de Valadon pour représenter des moments d'introspection, en insufflant une profondeur émotionnelle à une scène du quotidien. La scène nous projette dans le temps. Gilberte est devenue adolescente, sa poupée est abandonnée. Objet symbolique, elle pourrait évoquer l'abandon d'un monde enfantin ou une transition vers une maturité prématurée, thème récurrent dans les œuvres de Valadon qui transcende une apparente simplicité pour devenir une méditation sur la perte d'innocence et les états d'âme de l'enfance. La composition met en avant la solitude de l'enfant, accentuée par l'espace vide autour d'elle et par la posture légèrement voûtée, traduisant un sentiment de mélancolie ou de réflexion. Les couleurs utilisées sont à la fois douces et contrastées, créant une ambiance intime mais légèrement troublante. Valadon excelle ici à capturer une émotion universelle tout en restant fidèle à son style marqué par des formes solides et des contours affirmés. Le Lancement du filet (1914) qui met en scène des pêcheurs au travail, illustre l'intérêt de l'artiste pour les scènes de la vie quotidienne et sa capacité à capturer le mouvement. La toile est à mettre en regard de l'esquisse réalisée sur papier calque. La scène met en valeur les courbes athlétiques du modèle, André Utter, nu. Il est représenté dans la même position mais capturé sous des angles différents, un peu comme dans une chronophotographie de Jules-Etienne Marey. Contrairement à l'esquisse réalisée avant le tableau, le sexe du modèle est adroitement caché par le filet. Catherine nue allongée sur une peau de panthère (1923), où l'artiste présente une femme nue empreinte de puissance dans son intimité. Le modèle, sa petite-nièce Catherine, est représentée allongée sur une luxueuse peau de panthère, créant avec une composition soignée dans des tons chauds un contraste saisissant entre les matières, la douceur de la carnation du modèle et la texture de la fourrure qui ajoute une dimension exotique et symbolique, évoquant à la fois la féminité et la force. Le corps, loin des idéaux classiques, est réaliste et sensuel. Ce tableau illustre parfaitement lui aussi la manière dont Valadon s'affranchit des conventions pour célébrer le corps féminin avec vérité et originalité. C'est une sorte de manifeste du "style Valadon". Autoportrait aux seins nus (1931) qui révèle la perception que Valadon avait d'elle-même en tant qu'artiste et femme indépendante. Elle rompt avec les codes traditionnels de la peinture de portrait ; délaissant les habituelles idéalisations, elle se peint avec des traits sévères, les lèvres crispées et la poitrine tombante. A l'âge de 66 ans, elle signe ici son dernier portrait. Ces œuvres, parmi d'autres, témoignent de la diversité et de la profondeur de l'œuvre de l'artiste, offrant aux visiteurs une perspective riche sur son influence dans le paysage artistique de son époque. L'exposition explore différents aspects de l'œuvre de l'artiste et souligne également son rôle de pionnière dans la représentation du corps humain souvent nu, abordant avec une rare franchise des sujets encore tabous à son époque. "Suzanne Valadon est un symbole de liberté et d'audace. À travers ses œuvres, elle interroge les conventions sociales et artistiques, et c'est précisément ce qui résonne encore aujourd'hui", explique Xavier Rey commissaire de l'exposition. Pour "contextualiser" l'œuvre de Valadon, les commissaires de l'exposition présentent aussi le travail de ses rares contemporaines : Juliette Roche (1884-1980), Georgette Agutte (1867-1922) et Jacqueline Marval (1866-1932) et de quelques autres peintres de son entourage. Pour enrichir l'expérience des visiteurs, ils proposent également des ressources audios où sont partagées leurs réflexions sur les thématiques majeures de l'œuvre de Valadon et commentent certaines pièces maîtresses de l'exposition. En consacrant une monographie à Suzanne Valadon, le Centre Pompidou nous donne l'occasion unique de (re)découvrir une artiste qui, malgré les défis de son époque, a su imposer sa vision et son talent au monde. Une artiste singulière au cœur de l'histoire de l'art moderne Née Marie-Clémentine Valadon à Bessines-sur-Gartempe dans le Limousin, elle est l'une des figures les plus fascinantes de l'art moderne. À la fois muse, modèle, et peintre, elle a su s'imposer dans le monde de l'art largement dominé par les hommes et surtout au sein de l'École de Paris dont elle a été une personnalité marquante. En 1925, le critique André Warnod crée l'expression "École de Paris". Bien que peu définie, cette appellation regroupe des artistes venus du monde entier, attirés par la richesse culturelle et la liberté d'expression qu'offre la capitale française. Parmi eux, des figures majeures comme Utrillo, Soutine, Chagall, Marc, Foujita, Kisling, Modigliani, et Picasso. Ces artistes, tout en restant influencés par leurs prédécesseurs – Van Gogh, Cézanne, ou Degas – développent des styles singuliers, souvent en marge des grands courants établis. Ils se distinguent par une volonté farouche de s'affranchir des conventions académiques et des tendances dominantes. Leurs démarches reposent sur une exploration personnelle de la forme, de la couleur et de l'émotion, sans se rattacher à une école esthétique précise. Leurs œuvres traduisent un besoin de liberté, souvent associé aux quartiers emblématiques parisiens de Montmartre et Montparnasse, qui deviennent des foyers de créativité et des lieux de rencontres artistiques. Elles évoluent dans un contexte où les mouvements artistiques se multiplient (cubisme, expressionnisme, futurisme…) Bien que néanmoins influencée par ces courants, elles les réinterprètent avec une sensibilité propre, mettant en avant une quête d'identités individuelles. Ce foisonnement artistique s'inscrit dans un Paris bouillonnant, tiraillé entre traditions et modernités entre aspirations sociales et tensions nationalistes. Suzanne Valadon incarne parfaitement cet esprit parisien d'indépendance bohème. Elle réussit à s'imposer en développant un style unique marqué par une puissante expressivité et une approche novatrice du nu. C'est aussi la première femme à peindre en grand format un nu masculin de face. Son œuvre, bien que certainement influencée par Degas et quelques autres, reflète une vision profondément personnelle, à la fois audacieuse et sincère. Un parcours atypique Issue d'un milieu très modeste, Marie Valadon dite Suzanne est la fille naturelle de Madeleine Valadon une blanchisseuse dont le mari est au bagne lors de la naissance de l'enfant. Dès l'âge de onze ans, Suzanne travaille afin de subvenir aux besoins de sa famille. Elle occupe divers emplois : couturière, blanchisseuse, bonne d'enfant, serveuse, marchande de quatre saisons, et même trapéziste au cirque Molière. Après un accident qui met fin à sa carrière d'acrobate elle devient, sous le prénom italianisé de Maria, elle se rapproche du milieu artistique montmartrois et pose, dès l'âge de 14 ans, pour des peintres reconnus comme Henner, Puvis de Chavannes, Renoir, Bartolomé et devient la maîtresse de quelques-uns d'entre eux comme Toulouse-Lautrec, Miquel Utrillo (ce dernier reconnaitra bien plus tard qu'il est le père de son fils Maurice). Grâce à Toulouse-Lautrec, avec lequel elle partage un gout prononcé pour l'excentricité, elle rencontre Degas. Dans un premier temps Toulouse-Lautrec a dissimulé au grand maître, connu pour sa misogynie, que le travail de sa protégée était l'œuvre d'une femme. Degas, pour qui elle ne posera jamais, lui ouvrira les portes de son atelier et jouera un rôle déterminant dans son parcours artistique (il lui achètera de nombreux dessins). Edgar Degas, en effet, lui reconnaissant une maîtrise instinctive de la ligne, l'encourage à persévérer. "Vous avez du génie. N'écoutez jamais personne." lui dira-t-il. Très vite le talent de Suzanne pour le dessin, que le maître qualifie de "méchant et souple", se révèle. Suzanne, qui en amateur s'adonnait déjà à la peinture, passe du statut de modèle à celui d'artiste. En 1883, Suzanne Valadon, qui n'avait que 18 ans, peignait déjà. En témoigne l'Autoportrait à la mine graphite et pastel sur papier qu'elle réalise à cette époque. L'autoportrait jouera un rôle central dans son œuvre. Valadon se représentera toujours énergique, fière, parfois un peu sévère, sans aucune flatterie ni maniérisme. C'est très certainement l'artiste dont nous avons le plus de portraits tant elle s'est représentée et a été représentée. En 1995 elle s'initie à la gravure dans l'atelier de Degas. Sa proximité avec les plus grands lui permet de s'imprégner de diverses approches artistiques, tout en développant une vision profondément personnelle. Son expression plastique, résolument indépendante, se caractérise par une stylisation expressive, des lignes puissantes, des couleurs audacieuses et une vision personnelle du monde. À travers ses œuvres, elle explore des thèmes comme la féminité, l'intimité et la vie quotidienne, abordant souvent des sujets considérés comme tabous pour une femme de son époque. Guidée par son intuition plutôt que par des dogmes, Suzanne Valadon adopte une approche résolument indépendante. Elle privilégie une stylisation expressive, s'inspire de nus masculins ou féminins – qui faute de moyens pour payer des modèles sont basés sur sa propre image ou sur les figures de son quotidien, comme sa femme de ménage, son fils, sa mère, son second mari, son chien – présentés sans artifice ni voyeurisme. Pour exemple, son Portrait de famille (1912). Même si ses lignes rappellent parfois les cernes audacieux de Gauguin ou la puissance du trait de Van Gogh, l'artiste rejette toute appartenance stricte à un courant et devient l'antidote à l'impressionnisme par la fermeté de son dessin et une alternative instinctive au cubisme, s'inscrivant comme une image de liberté artistique. Son œuvre La Chambre bleue (1923) en est un exemple emblématique. Dans cette toile qui ostensiblement reprend les codes de l'odalisque orientaliste pour mieux les subvertir, elle y mêle réalisme et modernité, audace et sensibilité. La composition, reste classique mais saturée de couleurs intenses et de lignes incisives et affirmées, peut rappeler Matisse. En représentant une femme en pyjama allongée et fumant dans un intérieur cossu, Valadon développe un style unique, marqué par une puissance instinctive et un profond respect de la réalité. Au cœur du Paris artistique effervescent du tournant du XXᵉ siècle, Suzanne Valadon incarne l'âme libre et rebelle d'une époque marquée par des bouleversements esthétiques et sociaux. Elle illustre une trajectoire de vie hors du commun. Surnommée parfois "la terrible Maria", elle a su s'imposer en devenant à la fois muse et créatrice inégalée. C'est l'une des premières femmes à avoir été admise à la Société nationale des beaux-arts, brisant ainsi les barrières d'un milieu artistique quelque peu machiste. Une vie tumultueuse La vie personnelle de Suzanne Valadon est tout aussi hors du commun que son art. En 1883, elle n'a que dix-huit ans, mère célibataire elle met au monde un petit garçon, Maurice Utrillo (1883-1955) que son père dans un premier temps ne reconnaît pas. Installée à Montmartre avec sa mère, elle partage son temps entre son atelier, les scènes bohèmes du quartier et sa vie de famille complexe. Elle élève son fils Maurice, futur peintre célèbre mais tourmenté, dans une atmosphère où la réalité se mêle au roman. Leur existence, oscillant entre l'éclat d'une réussite artistique, les ombres de l'alcoolisme et les drames personnels, devient une légende montmartroise. En 1886 avec son fils et sa mère elle déménage dans un immeuble à l'angle de la rue de Tourlaque et du boulevard Caulaincourt. Toulouse-Lautrec y louait un atelier, elle devient son modèle et sa maîtresse. En 1893 Eric Satie devient lui aussi son amant. Leur relation est éphémère et il dira que d'elle qu'il ne lui reste "rien, à part une froide solitude qui remplit la tête avec du vide et le coeur avec de la peine". En 1896, elle épouse Paul Moussis un ami de Satie, banquier, homme aisé, qui lui permet de se consacrer pleinement à sa carrière artistique. La famille s'installe 12 rue Cortot dans les hauteurs de la butte de Montmartre. En 1905, elle le quitte mais conserve son atelier, et en 1909, à quarante-quatre ans, elle se met en ménage avec le jeune peintre André Utter (1886-1948), ami de son fils de vingt ans son cadet. Divorcée, elle l'épouse en 1914, mais cette union passionnée connaît des hauts et des bas, notamment lorsque la famille traverse des périodes de précarité pendant la Première Guerre mondiale. Forte d'une bonne connaissance du milieu des marchands et de la critique, elle entame dans les années 1920 une série de portraits de femmes de la haute société. Portrait de Geneviève Camax-Zoegger (1936), en est un bon exemple. Grâce à la vente croissante de ses œuvres et à celles de son fils, elle retrouve une certaine aisance financière. Toutefois, la fin de sa vie est marquée par l'éloignement d'Utter qui l'abandonne et une production artistique moins prolifique, se concentrant surtout sur des natures mortes. Un style sans compromis dont l'héritage est intemporel L'œuvre audacieuse de Suzanne Valadon reflète son tempérament instinctif, sensuel et déterminé. Ses formes robustes, ses lignes affirmées et ses couleurs vives lui valent une place unique dans le paysage artistique de l'époque. Ses compositions, bien qu'inspirées des techniques de l'École de Pont-Aven et de Matisse s'en distinguent par leur sincérité brutale et leur attachement à la réalité. Ses modèles, souvent issus de son entourage proche, incarnent une beauté simple et honnête, loin des idéalisations traditionnelles. Elle s'affirme comme une pionnière dans la représentation des corps, brisant les conventions sociales et artistiques de son époque. Elle incarne l'âme libre et rebelle de Montmartre au tournant du XXᵉ siècle. Son parcours, mêlant lumière et ombres, témoigne de la puissance de l'art comme moyen de transcender les difficultés de la vie. Pierre Mac Orlan (1882-1970), écrivain et critique, écrira "Valadon a réussi à s'affranchir des dogmes et des modes de son époque pour offrir une vision profondément personnelle et sans compromis." Quant à Max Jacob, poète et ami de l'artiste il écrira "Chez Suzanne Valadon, chaque trait de pinceau semble une affirmation de sa liberté." Une reconnaissance tardive Bien que reconnue de son vivant par des personnalités comme Apollinaire qui dira "Suzanne Valadon est une des rares femmes peintres à avoir imposé son style avec autant de vigueur et d'originalité." et Degas qui écrivait "Elle dessine comme un homme et voit comme une femme.", ce n'est qu'en 1937 que le Musée du Luxembourg achète plusieurs de ses œuvres majeures, dont Adam et Ève (1909) et Le Lancement du filet (1914). Cette reconnaissance officielle, grâce à l'intervention d'Édouard Herriot, marque une étape importante dans l'appréciation de son talent. Suzanne Valadon reste encore aujourd'hui une icône de la liberté et de la créativité. À travers ses œuvres et son parcours, elle incarne à la fois la lumière et les ombres de toute une époque, ses défis aux normes sociales et artistiques. Philippe Albou
Paris, janvier 2025
Suzanne Valadon (1865-1938), jusqu'au 26 mai 2025.
Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou 75004 Paris www.centrepompidou.fr
Suzanne Valadon, Anonyme, Portrait au tableau, Suzanne
Suzanne Valadon, Anonyme, Portrait de Suzanne Valadon entourée de deux chiens
Notes
(1) A l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Suzanne Valadon, le Musée de Montmartre, 12 rue Cortot, avait consacré à l'artiste une exposition du 16 octobre 2015 au 13 mars 2016. Une sculpture en bronze à son effigie, a plus tard été réalisée par l'artiste américain John Ed Nordina. Elle a été placée le 1er juillet 2024 dans les jardins du Musée de Montmartre qui abrite l'atelier de Valadon. (2) Le Musée national d'art moderne lui avait consacré une exposition en 1967. (3) La version de l'oeuvre présenté dans l'exposition montre un Adam plus pudique. Son sexe est caché par une ceinture de feuilles de vigne. Ce sont les rayons X qui ont révélé le premier état de la toile. (4) Les commissaires de l'exposition sont : Nathalie Ernoult, attaché de conservation au MNAM, Chiara Parisi directrice du Centre-Pompidou-Metz, et Xavier Rey, directeur du MNAM. (5) Il suffit de regarder l'autoportrait qu'elle réalise en 1918, avant d'entamer sa "carrière" de modèle, pour s'en convaincre. Il est présenté en début de parcours de l'exposition. (6) En 1893, elle aborde la peinture et en 1895, la gravure dans l'atelier de Degas. (7) Ce pseudonyme lui est donné par Henri de Toulouse-Lautrec (8) Patrice Delbourg, Les Jongleurs de Mots : De François Villon à Raymond Devos, Ecriture 2018, 600 pages (9) Commissariat de l'exposition : Nathalie Ernoult, attachée de conservation au Musée national d'art moderne ; Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz ; Xavier Rey, directeur du Musée national d'art moderne. Catalogue Centre Pompidou Metz - Centre Pompidou. 280 pages. 240 illustrations. 42 €. Ce livre est l'édition augmentée du catalogue édité par le Centre Pompidou-Metz, aujourd'hui épuisé. Enrichi de 16 pages, il comporte deux essais supplémentaires et le corpus d'Œuvres est aussi plus important et adapté à l'exposition parisienne. Le texte de Nathalie Ernoult est issu du colloque "Le clan Valadon" sur la question de Suzanne Valadon femme artiste, qui s'est déroulé au Centre Pompidou-Metz en 2023. "Je peins les gens pour apprendre à les connaître", "La vraie théorie, c'est la nature qui l'impose." Suzanne Valadon Informations pratiques • Dates : Du 15 janvier au 15 mai 2025. • Lieu : Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou 75004 Paris • Horaires : Tous les jours sauf le mardi, de 11h à 21h • Tarifs : 14 € (plein tarif), 11 € (tarif réduit) Visuels Suzanne Valadon, Adam et Ève (1909) Huile sur toile, 162 x 131 cm Achat de l'Etat, 1937, Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne. Inv. AM 2325 P Crédit Photo : Cette Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. GrandPalaisRMN Suzanne Valadon, La joie de vivre (1911) Huile sur toile 122,9 x 205,7 cm Leg de Mademoiselle Adélaïde Miltonde Groot (1876-1967), 1967 Métropolitan Museum of Art, inv. 67.187.113 Photo @ The Métropolitan Museum of Art. List. GrandPalaisRMN : image of the MMA Suzanne Valadon, Portraits de famille (1912) Huile sur toile, 97 × 73 cm Don aux Musées nationaux de M. Cahen-Salvador en souvenir de Mme Fontenelle-Pomaret, 1976 Paris, musée d'Orsay, en dépôt au Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, RF 1976 22 Photo © GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Christian Jean / Jean Popovitch Suzanne Valadon, Le Lancement du filet (1914) Huile sur toile, 201 x 301 cm Achat de l'Etat, 1937, Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne. Inv. AM 2325 P Crédit Photo : Cette Pompidou, MNAM-CCI/Jacqueline Hyde/Dist. GrandPalaisRMN Suzanne Valadon, Marie Coca et sa fille Gilberte (1913) Huile sur toile 162 x 129,5 cm Lyon, musée des beaux-Arts 1935-51 Crédit Image @ Lyon MBA - Photo Alain Basset Suzanne VALADON Etude pour le lancement du filet (1914) Fusain sur papier calque 62 x 82 cm Acquisition de l'Etat, 1937 Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Inv. AM 1492 D Crédit Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dist. GrandPalaisRmn Suzanne Valadon, La Poupée Délaissée (1921) Huile sur toile, 135 x 95 cm National Museum of Women in the Arts, Washington D.C, gift of Wallace and Wilhelmina Holladay, Inv. 1986.336 Photo © National Museum of Women in the Arts, Washington, D.C. Photograph by Lee Stalsworth Suzanne Valadon, Catherine nue allongée sur une peau de panthère (1923) Huile sur toile, 64,6 x 91,8 cm Lucien Arkas Collection Photo @ Hadiye Cangokce Suzanne Valadon, La Chambre bleue (1923) Domaine public - Crédit photographique : Centre Pompidou - MNAM-CCI//jacqueline Hyde/Dist. GrandPalaisRMN Suzanne Valadon, Autoportrait aux seins nus (1931) Huile sur toile 46 x 38 cm Collection particulière Suisse - Photo @ Aki - image Suzanne Valadon Portrait de Geneviève Camax-Zoegger (1936) Huile sur toile, 56 × 46 cm Italie, Bergame, collection particulière Photo © Galleria Michelangelo Visuels S. Valdon en pdf |