Consulter 150 dossiers et nen sélectionner quun seul, telle est la dure tâche qui incombe aux critiques dart participant au Salon de la Jeune Création. Etudes attentives, coups de cur, hésitations, confrontations, lourd dilemme et enfin, choix définitif.
Pourquoi Nicole Tran Ba Vang ? Peut-on sinterroger ?
Parce que ses photos, ses corps habillés de vêtements de nudité, ont interpellé non seulement la critique mais aussi la femme que je suis. Jouer sur lêtre et le paraître par le biais du détournement de la mode et fondre lhabillement avec la peau mont à la fois intriguée et séduite. Je me suis alors demandée, comme tout un chacun à un moment ou à un autre :
Est-on vraiment soi-même nu ou vêtu ?
Est-ce le corps qui est un écran ou le vêtement lui-même ?
Futilités peut-être pour certains, mais au fond lharmonie humaine ne tient-elle pas sur la parfaite symbiose de lêtre et du paraître ? Le corps nu, souvent mal aimé, mal traité, toujours soumis aux canons esthétiques, aux critères de la mode, reste incompris, dissimulé, inféodé à des normes extérieures imposées qui font confondre régulièrement pudeur et honte, nudité et exhibition. Mais au-delà de toutes ces conjonctures, on oublie que la façon dont chacun shabille est davantage quun phénomène éphémère, artificiel ou quune représentation sociale, un mode dexpression à part entière qui devrait permettre cette fusion. En est-il réellement ainsi ? Cest peu probable...
Le travail de Nicole Tran Ba Vang vise à répondre à ces questions récurrentes qui animent les hommes dans leur quotidien, qui agitent le monde du prêt-à-porter et de la haute-couture et rentrent en compte dans lesthétique de lart. Styliste de formation et de premier métier, Nicole Tran Ba Vang a dérapé, si lon peut dire, vers la peinture puis, vers la photographie et la vidéo pour exprimer ces paradoxes. Elle sest dabord appropriée des photos de mode, trouvées au hasard de ses lectures : elle avait besoin quon les reconnaisse au premier regard pour mieux en montrer lambiguïté. Grâce à linfographie, elle les a retravaillées, questionnant la nature du vêtement et son apparence : les tee-shirts, les vestes, les manteaux... nétant plus en laine, en lycra mais en peau avec des seins, des grains de beauté, des nombrils. Il en était de même pour les pantalons, les shorts, les jupes, les maillots de bains... qui arboraient des pubis. Puis, lartiste sest mise en scène, cest son visage qui sincruste sur les corps des mannequins : je suis nue mais pas vraiment, je me déshabille mais pas vraiment non plus. Elle samuse de cette ambivalence et souligne que ce que lhomme a de plus profond cest lépiderme, cet épiderme qui est au-delà de la peau, se meut en apparat. Etre ou ne paraître ? mon travail se définit par ce jeu de mots, insiste Nicole Tran Ba Vang.
Elle fonctionne comme la mode en collection, alternant Printemps/Eté et Automne/Hiver. Elle sempare des visages, des corps, des vêtements, des chaussures même, comme si le modèle était finalement dans les pieds dune autre ! Passionnée, lartiste court les défilés, dévore les magazines : je subis lair du temps, il passe par mon regard. Ca me gêne parfois car je ne le contrôle pas, confie-t-elle. Elle décortique tous les subterfuges des apparences, elle examine toutes les tendances et triture ensuite ces corps. Il nest pas étonnant de voir des froissages de parures de nudité en mouvement. Ici, une femme est en train denlever un top et dessous apparaît sa vraie peau. Là, une autre tire sur sa combinaison moulante, on croirait presque que sa peau est élastique. Cest pour le moins troublant.
Dans sa prochaine collection été 2000, Nicole Tran Ba Vang présente des corps nus portant la trace dhabits, des habits de bronzage cette fois-ci, véritables empreintes sur lépiderme apparent, au grain presque palpable qui attire la lumière. Rien na été réalisé par hasard : lartiste a dabord photographié une femme nue, puis habillée. Sur son ordinateur, elle a travaillé ensuite la forme exacte des vêtements et des accessoires (maillots de bain, lunettes de soleil...) et les a disposés méticuleusement sur les corps qui semblent ne faire plus quun. Ces empreintes créent ainsi des doublures qui, finalement, les déchirent de leur ressemblance, les isoleraient pour un peu. Ces ombres ne sont pas à comprendre seulement comme des silhouettes ou des projections car elles en sont, en fait, le devenir, lontologique transformation. Nicole Tran Ba Vang nous dit peut-être tout simplement quil ne faut en rien sarrêter aux apparences. Futilités peut-être, mais quil est bon de souligner et de redire encore et toujours ! Ses photos reconduisent en effet le visible au lieu de ces multiples questionnements et constatations, à sa nostalgie, à ses espoirs pour nous inciter à aller au-delà, pour nous extirper de notre enveloppe charnelle, pour que le paraître et lêtre ne fassent plus quun, enfin... Un a-corps trouvé en quelque sorte !
M. C.
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