Suzanne in Hydra No.9
Grèce 2017 © Juergen Teller
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Une pêche infernale, un look peu commun, affirmé et assumé, Suzanne Tarasieve ne correspond en rien à une galeriste traditionnelle. En plus, elle est pétillante, dynamique, attachante et très, très, très professionnelle. Ses artistes (Baselitz, de Reimpré, Kennett, Lapicque, Lüpertz, Renard, Pincemin, Texier…) l'adorent mais si elle s'occupe d'eux, les suit, les soutient, elle n'hésite pas non plus à dire ce qu'elle pense de tel ou tel travail. C'est bien sûr son rôle de galeriste mais elle a surtout du caractère, c'est sûr. Et une énergie… c'est bien simple : elle ne tient pas en place, elle court tout le temps, tout de zèbre ou de panthère vêtue. Tantôt dans les foires d'Art Paris, de Bâle, Berlin, Bruxelles, Londres... tantôt dans les ateliers des artistes à Paris, en province, à l'étranger, elle ne souffle jamais depuis 21 ans, depuis le vendredi 13 mai 1978, date de l'ouverture de sa première galerie à Barbizon (dix ans après, elle en ouvrait une deuxième !).
Sa vie, l'art, les artistes s'entremêlent inextricablement avec légèreté, complicité et tendresse. Elle veut toujours plus, toujours mieux comme le prouvent sa dernière exposition des uvres sur papier de Lapicque, et ses deux grandes expositions du moment : l'une fait dialoguer les deux monstres sacrés Jean-Pierre Pincemin et Helmut Middendorf. Le Français construit une uvre multiple et protéïforme entre l'ascèse théorique, telle que l'exprimait son appartenance au groupe Supports-Surfaces, et une liberté irrépressible qui se traduit par un champ expérimental très large. L'Allemand, Nouveau Fauve, s'il en est, peint des tableaux aux couleurs intenses avec une rage folle, dégagé néanmoins avec une certaine insolence du pathos de la génération des Expressionnistes du début du siècle.
L'autre exposition présente les nouveaux poulains de Suzanne Tarasieve : François Baerten, David Gista, Agnès Lévy, Laura Panno et Michaële-Andréa Schatt. Ce qui les réunit ? Une bonne dose de talent et un travail basé sur une certaine forme de figuration. Mention spéciale pour Gista (né en 1964) qui se joue des combinaisons ironiques entre le sens et la forme, le mot et l'image sur des bâches noires créant mystères et profondeurs : mon travail fait basculer indifféremment dans le drame ou la comédie. Pour cela, il travaille à partir d'images qui émergent de son quotidien qu'il triture et déforme, créant un rapport nouveau et personnel entre le sens et la matière. Il joue sur la confusion, le décalage et les paradoxes : il n'est pas étonnant de découvrir dans Promi Juré une tête de malfrat, sorti tout droit d'un polar américain des années 50, reliée par une fermeture éclair à la toge d'un prêtre aux mains jointes en prières. Lui donnerait-on le Bon Dieu sans confession ? Pas sûr… L'artiste rêve aussi : je suis un homme ordinaire mais j'aurais aimé être un héros, peut-être un shérif pour qu'il y ait plus de justice ? Sa pensée est imprégnée d'une imagerie politique dont il récupère des photos qu'il nous restitue après en avoir donné sa propre lecture : il y a toujours une seconde opinion aux choses. Ce sarcasme est un formidable outil de liberté, de lucidité pour lui. Avec son arme suprême Paint gun, il déverse sur la bâche noire des balles de peinture rougoyantes, bleutées, virevoltantes : la vie est ailleurs, sous-entendu, à nous de contribuer à faire notre propre monde… Un remède contre la morosité tout comme l'est Suzanne Tarasieve.
Muriel Carbonnet, Paris 2000
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