LE MAGAZINE
d'ExpoRevue


Lee Sang Won. Si l'éternité lui était donnée...


Lee Sang Won est venu du nord-est de la Corée du Sud jusqu'à Séoul. Il est toujours resté très lié à cette région de pêcheurs. Ses souvenirs ne l'ont pas quitté : il a gardé en lui ces images d'existences rudes, de la mer inviolée, des côtes sauvages, inhabitées. Ils apparaissent pourtant dans son œuvre sous un autre visage. Pourquoi n'ont-ils pas seulement subi l'érosion du temps ? Naturelle, inéluctable, mais faisant partie de l'ordre des choses, de l'harmonie de la vie. Car ici, ils trahissent les marques avalissantes de la société de consommation qui gaspille, jette, oublie ; société dans laquelle vit et évolue l'artiste. Constat amer ? Remords insidieux ? Désespoir troublant, s'il en est. Le peintre a ainsi croisé, peut-être tout simplement imaginé, des paysages de désolation, des rivages abandonnés, des filets de pêche emmêlés, des vieillards sans âge, éreintés.


Lee Sang Won - The East Sea People, 1998

Lee Sang Won - The East Sea People, 1998


Sur les toiles de Lee Sang Won, ce sont les vents de l'éternité qui balafrent les plages, déchirent les sacs de poissons, de journaux..., tracent des chemins vers nulle part, éventrent les sols maculés de neige. Ce n'est plus la nature : celle des processus et des métamorphoses, celle des changements, qui agit, qui décompose. Ce sont les hommes qui l'accélèrent, la meurtrissent, la dégénèrent. Ce sont eux qui font devenir les souffles d'Eole, assassins, ravageurs, pourrissants. Blessée, détruite, négligée, la nature porte en elle les stigmates de leurs passages et de leurs actions : des fruits et des légumes ont germé, se sont répandus çà-et-là, des cordes et des filets se sont enchevêtrés, des débris de toutes sortes se sont agglutinés, visqueux, gluants, des traces de pneus ont creusé des entailles profondes...

Lee Sang Won va au-delà d'un certain réalisme qui ne se limite pas juste à des nœuds, des amas ou des visages. Il cherche, il fouille le sable mouillé, il éventre les nasses de poissons, il dénoue les cordages, il s'arrache de la boue... et finit par exhiber, avec sa dernière série, Les Gens de Tonghae, une sérénité retrouvée ou plutôt la fin d'un voyage : celui du corps devenant esprit, absorbé dans une silencieuse méditation sur la vie et le temps. Méditation qui a mûri, qui est moins douloureuse chez l'artiste. On le sent réconcilié avec lui-même, grâce à ces personnages ridés, sans nom, sans répit - ou à l'idée qu'il s'en est faite. Car venu de cette même contrée de pêcheurs, bordée par la mer de l'Est, Tonghae, il y est finalement retourné - si tant est qu'il ne l'ait jamais quittée : empreintes du temps, des origines, retour au berceau de sa vie, bien des années plus tard...


M. C.

Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, Paris 13e, France, du 17 juin au 30 juin 1999.

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