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Philippe Ramette présente à la galerie Xippas, un ensemble de prothèses-sculptures conçues et réalisées pour la prise de vue d'une douzaine de photographies montrées en parallèle et accompagnées par une série de dessins préparatoires. Une vidéo, où Philippe Ramette nous dévoile le périlleux processus technique qui précède ces prises de vue, complète le parcours initiatique dans l'univers, aussi étrange que familier, de l'artiste.
Les sculptures de Philippe Ramette nous apparaissent comme des instruments à mi-chemin entre la prothèse et l'objet de pénitence, de mortification corporelle.
Ces objets nous sont étrangement familiers, ils semblent surgir d'une mémoire collective ou, peut être, d'un "tiroir oublié" de notre propre passé : des réminiscences d'une culture judéo-chrétienne, qui trouve la rédemption par la souffrance, se mélangent au génie, cette aptitude de l'esprit qui rend l'Homme capable de créations, d'inventions qui paraissent extraordinaires.
Acte mental plus que geste physique la confrontation avec ces appareils, plus ou moins complexes, place celui qui s'en approche, dans une position inconfortable, sorte de "miroirs de l'âme" ils révèlent au spectateur ses propres faiblesses…
Peut-on voir dans ces objets, à la fois, humoristiques et tragiques des instruments cathartiques ?
L'œuvre "Eloge de la paresse I", montrée en 2001 lors de la première exposition personnelle de Ramette à la galerie Xippas, où l'artiste, la tête "hissée" par un gros ballon gonflé à l'hélium, se livre à la contemplation, résume bien cette double valence d'un instrument échafaudé pour atteindre, au moyen d'une mortification corporelle, une élévation, un affranchissement de l'esprit.
Mais les objets-sculptures actuellement présentés à la galerie sont, tout de même, plus discrets, presque minimaux. Toujours point de départ des "micro-performances" de l'artiste, ces prothèses demeurent, dans la série de portraits photographiques, "invisibles" : dissimulées sous son classique "costard-cravatte", elles sont cachées au regard du visiteur.
Philippe Ramette les nomme "prothèses à attitudes", il s'agit d'instruments qui lui permettent d'acquérir, en complet décalage par rapport aux contextes dans lesquels il est successivement inséré, un nouveau point de vue…
"Inversion de pesanteur" nous montre l'artiste harnaché "sous" une pelouse verte en train de contempler un magnifique ciel printanier, et je dis bien "sous" une pelouse car le cadre est renversé et Ramette s'accroche au plafond herbeux pour s'offrir une vue imprenable.
Dans "Contemplation irrationnelle", l'artiste est tranquillement assis sur un muret au sommet d'une colline et regarde, improbable "Penseur", la route parcourue qui s'ouvre sous ses pieds comme un gouffre…
Ce personnage élégant et méditatif nous rappelle à la mémoire l'image du héros romantique, envahit par un sentiment de solitude, aspirant à l'infini et pourtant prisonnier de son état de finitude.
Une ouverte référence au "Voyageur devant la mer de nuages" de Friedrich est revendiquée par l'artiste : une confrontation à la Nature qui relève du "sublime", un sentiment d'effarement face à cette puissance, mère ou marâtre (comme la nomme Leopardi) qui peut se montrer aussi docile que terrifiante.
Cette Nature, à laquelle Ramette se rapporte, nous paraît plus proche de celle, placide et paisible, que portraiture Constable et décrivent Wordsworth et Coleridge plutôt que celle, indomptable et effrayante, du "Naufrage de l'Espoir" de Friedrich.
Mais cette docilité n'est qu'apparente, complètement renversée, elle est inquiétante.
Une force de gravité qui n'obéît plus aux normes terrestres nous désarçonne et nous oblige à inventer une nouvelle façon de regarder le monde, un nouvel état contemplatif.
Ramette nous met face à une société qui a perdu ses repères : ces prothèses ne sont pas conçues pour remplacer ou se substituer à un membre ou à un organe du corps humain, elles ne viennent pas en aide à une déficience physique mais à une fragilité, une défaillance de l'esprit, des instruments conçus pour une improbable rédemption.
Martina Russo Paris, mars 2004
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