LE MAGAZINE
d'ExpoRevue
Illusion : Pierre Ménard et André Raffray
 

A la Kunsthalle de Bonn, le peintre français André Raffray né en 1925 fait preuve d'une originalité, laquelle, par association d'idées, fait penser à une étrange nouvelle intitulée Pierre Ménard, auteur du Quichotte, écrite à Nîmes en 1939, par l'Argentin Jorge Luis Borges.

Comme Borges en littérature, Raffray pose dans sa peinture l'énigme de la copie. Non pas en tant que contrefaçon mécanique d'une œuvre originale, mais en tant qu'entreprise de réactualisation des œuvres des grands maîtres.

A l'aide de l'objectif photographique, de crayons de couleurs, d'une rupture au milieu des tableaux (pour sa série intitulée Les Déchirures) et d'un voyage (cheminement en apparence tout à fait en dehors de la peinture), André Raffray part à la recherche de Pablo Picasso, Robert Delaunay, Gustave Courbet, etc.

Pour les retrouver, il cherche à localiser l'emplacement exact où ces peintres illustres ont posé leur chevalet. Cette découverte, issue d'une démarche fétichiste lui procure une grande émotion, dit André Raffray.

Il photographie le lieu.

Dans son œuvre, il retranscrit d'après la photo le style de ses prédécesseurs donnant ainsi l'illusion d'avoir entrepris des copies. Ensuite, il repeint à sa propre manière, dans un style hyperréaliste, la même image. Honnêtement, il expose, côte à côte, ces deux résultats.

Son œuvre est profondément inintéressante pour ceux qui soutiennent qu'une œuvre, pour qu'elle soit originale doit sortir à la diable de l'imagination d'un créateur entraîné par la force d'inertie du langage et de l'invention. En revanche, elle peut sembler infiniment plus intéressante pour ceux qui pensent qu'une œuvre d'art modifie sa valeur au cours du temps. L'humanité changeant sans cesse et avec elle la manière d'appréhender les créations du passé et les personnages historiques, on s'aperçoit, écrit Ernesto Sabado avec clairvoyance, comment pour nos contemporains, le futur engendre le passé.
De même qu'on ne crée pas Don Quichotte comme au siècle de Cervantès, on ne refait pas non plus les Demoiselles d'Avignon comme en 1907.

L'œuvre d'André Raffray matérialise visuellement ces théories, lesquelles, loin d'empêcher le créateur de bâtir une œuvre individuelle, démontrent l'utilité de l'œuvre d'art réactualisée pour l'enrichissement de l'intelligence créatrice.

La dernière œuvre d'André Raffray est la reproduction sur papier transparent du Luxe d'Henri Matisse esquissée sur le vif à Saint Tropez.
Le Luxe d'André Raffray a l'air d'un tableau à part entière, mais en réalité, c'est un trucage cinématographique lequel, pour les gens du cinéma n'a rien d'invraisemblable quant à la technique utilisée pour sa réalisation. Mais, derrière les trois baigneuses grandeur nature d'André Raffray, en 1999 la mer bouge à l'emplacement exact où Henri Matisse a peint cette toile. Un bateau blanc passe, et le clapotis des vagues semble arroser les pieds nus de l'une des femmes d'origine matissienne.
En art, c'est le résultat qui compte.

Une seule immense œuvre, dont la profonde valeur serait sa mobilité durable. Et son essence qualitative, les milliers d'individualités d'artistes qui participent à son élaboration infinie. Qu'on en finisse une fois pour toute avec les affaires de mode, l'inconstance des goûts et les caprices agaçants des artistes !

Illusion, toujours de l'illusion, encore de l'illusion ! Quand l'art nous console de la vie, c'est pour faire semblant de se mélanger à elle, sa vérité ne peut pas se passer du mensonge.

I. C.

A la Kunst-und Ausstellungshalle à Bonn, Allemagne, jusqu'au 11 avril 1999. Catalogue 118 pages comprenant à part les reproductions des œuvres des textes et des photos concernant l'œuvre d'André Raffray, une curieuse correspondance entre le peintre et A. Raynolt, son professeur de dessin de l'école ABC de Dessin par correspondance fondée en 1913.

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