Picasso face à ses Maîtres
Maja desnuda, Francisco de Goya, 1797-1800
Odalisque en grisaille, Ingres Jean Auguste Dominique
Nu couché jouant avec un chat, Pablo
Picasso, mai 1964 |
L'exposition révèle les maîtres dans leur modernité, leur force, leur lumière. Ici la force du trait de Picasso révèle la ligne de force des œuvres auxquelles il se confronte. Car c'est de confrontation qu'il s'agit. Et le maître mot n'appartient pas au Maître que l'on espère mais aux Maîtres que l'on retrouve.
Une lame de fond contre la ligne de fond
Dans les sélections produites, des confusions se produisent hélas entre fond et forme. La ligne de fond ne prend pas le dessus, cette ligne en opposition au fond, cette ligne contre laquelle lutte âprement l'ami Matisse. Elle échappe au commissariat d'exposition, menotté à son principe de référence comme un délinquant à sa chaise. Pour tisser des liens il s'agrippe au fil, parfois ténu, de l'écho ou de l'hommage, sans s'attacher toujours à la composition. Il nous compose une mélodie toute autre, il nous mène à la baguette sans produire en nous le regard recherché, privilégiant l'exécution de l'œuvre à la composition du thème. Sous un enfer pavé d'inattentions, un pavé sans plage Le spectateur se retrouve sur le pavé, celui de la mauvaise attention portée au geste de peindre, face à l'intention du peintre. A la vision du peintre se substitue le regard du piètre. Au lieu de la plage espérée d'un Picasso libre interprète, le pavé indigeste d'un pique-assiette. L'allusion, voire la collusion, pourrait être un propos curieusement intéressant, s'il n'était inintéressant et sans curiosité. Quand est montrée l'empreinte thématique de l'absinthe, celle de la Buveuse de Degas, au lieu du trait vigoureux et coloré de Toulouse-Lautrec et de ses rues montmartroises également parfumées de vapeurs anisées, on titube sans s'enivrer, on coule plus qu'on ne chavire : de l'erreur de goût à la faute de sens, il n'y a qu'un (faux) pas. Méprises et reprises A de multiples reprises, l'exposition produit des glissements, aux multiples variables ; de la facture au thème, elle crée la fracture. Trop souvent ces glissements relèvent de la confusion, où le geste tendu de l'artiste perd de son élasticité ; il se casse ou se cache, devient le propos confus d'un faire dire plus que la révélation d'une création. Les exégèses brisent la verve du peintre, sa parole n'est plus que l'image d'elle-même. On en oublierait qu'il se penche sur « ses classiques » pour faire advenir physiquement leur lumière, pour retrouver les tensions de la couleur plus que les extensions de la surface peinte, les pressions contenues dans la trace du pinceau et non la trace d'une expression. Ascendance et dissonance L'exposition réunit ce qui se ressemble, au lieu d'unir ce qui s'assemble. On en sort les yeux emplis de la lumière et de la vigueur des œuvres majeures des maîtres, non de l'éclairage et de la force du Maître, les oreilles bourdonnantes des accords mineurs de l'exécution des œuvres, au lieu des accords majeurs de leurs compositions. Frédérique Boitel
Paris, novembre 2008 |